Legault, le perdant du débat des chefs en anglais?

Les chefs fédéraux lors du débat des chefs en anglais, le 9 septembre 2021.
Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne Les chefs fédéraux lors du débat des chefs en anglais, le 9 septembre 2021.

Douze jours avant le scrutin fédéral, François Legault voulait s’assurer cette semaine que son appel au vote nationaliste permette l’élection d’un gouvernement conservateur minoritaire. Après avoir laissé entendre qu’il s’agissait de son choix, il y a deux semaines, il s’est montré moins subtil jeudi. Mais c’était sans savoir que le débat des chefs en anglais viendrait contrer sa stratégie à peine quelques heures plus tard, en donnant un coup de pouce inespéré au bloquiste Yves-François Blanchet.

Le souhait de François Legault faisait peu de doutes jeudi. « Pour la nation québécoise, ce serait mieux », a-t-il dit, quant à savoir s’il espérait l’élection d’un gouvernement minoritaire. « Pour récupérer plus de pouvoirs pour le Québec, ça semble plus facile avec M. [Erin] O’Toole que M. [Justin] Trudeau », admettait-il au sujet des chefs conservateur et libéral. Et lorsque les journalistes lui ont souligné qu’il n’avait pas mentionné le Bloc québécois une seule fois, « M. Blanchet ne peut pas former le prochain gouvernement », a-t-il tranché.

Difficile d’interpréter cette sortie autrement que comme une invitation pour les nationalistes québécois à voter conservateur le 20 septembre.

François Legault a cependant été forcé d’admettre, vendredi, que c’est le chef bloquiste qui « nous a défendus » sur la scène du débat des chefs en anglais.

Dans les premières minutes, la modératrice Shachi Kurl a demandé à M. Blanchet pourquoi, s’il « nie que le Québec a des problèmes liés au racisme », le Bloc défend-il alors la Loi sur la laïcité de l’État et le projet de loi 96 sur la langue française, qui seraient « discriminatoires ». Le chef bloquiste s’est emporté. Et à l’issue du débat, il a accusé l’équipe d’avoir déversé « une chaudière d’insultes au visage des Québécois ».

« La question de la modératrice était un vrai cadeau pour M. Blanchet », résume l’analyste de sondages Éric Grenier. « Parce qu’il peut maintenant parler d’enjeux identitaires pour la dernière semaine de la campagne. Et, curieusement, M. Blanchet pourrait être le chef qui aura le plus profité du débat en anglais », explique l’auteur du site d’analyse de sondage The Writ.

Un cadeau pour les nationalistes

 

Pour le politologue de l’Université Laval Eric Montigny, il ne fait aucun doute que la journée de jeudi aura été « une journée pivot » de la campagne électorale.

Ce qui explique peut-être que Justin Trudeau et Erin O’Toole, qui étaient restés muets lors du débat jeudi soir car n’ayant pas droit de parole lors de l’échange corsé, aient tour à tour pris soin d’assurer vendredi qu’à leurs yeux, « les Québécois ne sont pas racistes ». Le chef néodémocrate Jagmeet Singh est resté plus circonspect, affirmant simplement que le racisme systémique existe dans toutes les provinces.

« Sur le plan du momentum, M. Blanchet pourra parler aux électeurs de l’enjeu qu’il souhaitait aborder depuis le début de la campagne et qui n’avait pas décollé », observe lui aussi M. Montigny, qui a vu dans la question dénoncée une « attaque » à l’endroit du chef bloquiste.

« C’est une belle illustration de ce qu’on peut qualifier de Quebec-bashing », renchérit François Rocher, professeur de sciences politiques à l’Université d’Ottawa.

Si François Legault refusait cette semaine d’appeler également au vote bloquiste pour contrer les trois partis fédéraux centralisateurs qu’il dénonce, le débat anglophone est venu le contourner. « Cela va venir confirmer, pour bien des électeurs, la pertinence du Bloc québécois à Ottawa », estime M. Rocher, qui a également été agacé lors du débat par la cheffe du Parti vert, Annamie Paul, et son offre « d’éduquer » M. Blanchet sur le racisme systémique.

À qui les votes ?

Les experts ne s’entendent pas, cependant, sur l’effet potentiel de ce débat sur l’électorat.

Le professeur de sciences politiques Eric Montigny estime que le débat anglophone pourrait confirmer la lancée des conservateurs dans le Canada anglais. Et le traitement réservé à M. Blanchet pourrait en donner un aussi au Bloc québécois au Québec. Ce qui pourrait favoriser l’élection du gouvernement minoritaire espéré par François Legault.

Les grands perdants, selon M. Montigny, auront été les libéraux, qui avaient réussi à stabiliser quelque peu leur recul dans les sondages depuis le déclenchement impopulaire de l’élection.

L’analyste de sondages Éric Grenier n’est toutefois pas convaincu que le Bloc soit l’unique gagnant au Québec. Car Erin O’Toole a tout de même défendu le Québec et a promis de ne pas participer à une contestation de la Loi sur la laïcité de l’État. Difficile de prédire, donc, si un coup de pouce au Bloc québécois pourrait faire perdre quelques sièges espérés au Parti conservateur ou, au contraire, permettre la division du vote nationaliste, et quelques victoires libérales dans certaines régions.

Les sondages du début de la semaine prochaine viendront préciser si les débats de mercredi et jeudi sont venus modifier les intentions de vote.

 

Éric Grenier note que les chiffres peuvent encore bouger. Le Parti libéral avait pris un élan dans la dernière semaine de la campagne de 2015, rappelle-t-il, et la vague orange de 2011 s’était consolidée dans les derniers jours de la campagne.

« Les Québécois n’ont en général pas un attachement profond à l’endroit des partis fédéraux », note M. Grenier.

Les intentions de vote n’ont presque pas bougé au Québec depuis un mois. Le Parti libéral récolte aujourd’hui 33 % d’appuis ; le Bloc, 25 % ; le Parti conservateur, 20 % ; et le NPD, 14 %, selon le site d’agrégation de sondages de CBC piloté par Éric Grenier.

Au national, les conservateurs reçoivent 33,5 % d’appuis ; les libéraux, 31,6 % ; le NPD, 20 % ; le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier, 5,3 % ; et le Parti vert, 3 %. Si les conservateurs demeuraient en tête, Éric Grenier estime que cela pourrait convaincre certains électeurs qui hésitent entre le NPD et le Parti libéral à voter pour ce dernier, afin d’empêcher l’élection d’un gouvernement conservateur minoritaire.

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