Les orphelins de Jody Wilson-Raybould

La porte est verrouillée, la grille de métal est tirée, des boîtes chargées d’objets de toute sorte jonchent le sol, une petite échelle est couchée devant le comptoir d’accueil : Jody Wilson-Raybould prépare son départ de la circonscription de Vancouver Granville, qu’elle représente à la Chambre des communes depuis 2015. Mais, la première femme autochtone à avoir accédé à la fonction de ministre de la Justice du Canada n’a pas dit son dernier mot.
Ses mémoires coiffées du titre “Indian” in the Cabinet : Speaking Truth to Power envahiront les rayons des libraires de Vancouver — et du pays — mardi prochain, soit à six jours du scrutin. À elle seule, la succursale Indigo, sise à l’intersection de la route 99 et de Broadway Ouest, a passé une première commande de plus de 400 exemplaires. « C’est une grande quantité », lance le libraire tout en détournant le regard de son écran d’ordinateur. « Nous en ferons la promotion, c’est sûr. »
Le livre de 350 pages trouvera une place de choix dans le vaste magasin, ajoute-t-il. Le commis pointe une table ronde posée à l’entrée du commerce à laquelle « les livres, les auteurs et les tendances dont tout le monde parle » ont droit. Les mémoires de l’ex-ministre fédérale y rejoindront notamment les titres The Madness of Crowds, de Louise Penny, et La fille du président, de Bill Clinton et James Patterson.
Dans “Indian” in the Cabinet, Jody Wilson-Raybould s’affaire à « raconter des histoires », dont celle de sa prise de fonctions de ministre de la Justice à l’automne 2015 et celle de sa « sortie » fracassante du gouvernement Trudeau trois ans et deux mois plus tard, après avoir subi, selon elle, des pressions indues et répétées du bureau du premier ministre afin de la convaincre d’intervenir pour éviter un procès criminel à SNC-Lavalin. M. Trudeau et sa garde rapprochée ont, eux, répété, y compris durant la campagne électorale de 2019, avoir respecté la loi en tout temps. « J’espère contribuer à notre tâche commune qui consiste à bâtir un Canada encore plus fort, un Canada où notre culture politique et nos pratiques de gouvernance peuvent évoluer pour faire face aux problèmes les plus urgents, les problèmes de notre temps, tels que la justice raciale et les changements climatiques », indiquait Jody Wilson-Raybould en prévision de la sortie de son livre au printemps dernier.
Un appui important
La date du lancement des mémoires de la membre de la nation We Wai Kai est encerclée dans le calendrier de l’équipe de campagne de la candidate conservatrice, Kailin Che, dont le local de campagne est situé à quelques pas du magasin Indigo. « On l’attend ! » lance Annie derrière un masque noir portant le logo du Parti conservateur du Canada (PCC). « Ici, [Jody Wilson-Raybould] bénéficie d’un appui important. Les gens l’admirent beaucoup », souligne la bénévole d’origine québécoise assise derrière une table chargée de documents.
Jody Wilson-Raybould était parvenue, il y a deux ans, à convaincre les électeurs de Vancouver Granville de lui confier un second mandat au Parlement fédéral, et ce, quelques mois à peine après avoir claqué la porte de l’équipe de Justin Trudeau. Pas moins de 32 % des votants avaient alors pris le parti de la candidate indépendante, contre 26,6 % pour la recrue du Parti libéral du Canada, Taleeb Noormohamed. Le PCC et le Nouveau parti démocratique (NPD) avaient quant à eux obtenu l’appui de respectivement 22,1 % et 13,1 % des électeurs.
Annie, qui se décrit comme une habituée des campagnes électorales dans Vancouver Granville, anticipe une fin de course serrée dans la circonscription traditionnellement libérale. Maintenant orphelins, les sympathisants de Jody Wilson-Raybould ne rentreront pas nécessairement tous au bercail libéral, est d’avis la native de Saint-Jean-sur-Richelieu. Les femmes ont été particulièrement choquées par sa mise à l’écart du ministère de la Justice par Justin Trudeau en janvier 2019, poursuit-elle. « Elles le sont encore. »
La marque de commerce du PLC dans la circonscription libérale en a pris pour son rhume, selon 338Canada. Les électeurs y seraient toutefois toujours « enclins » à appuyer le candidat libéral, indiquent les dernières projections électorales du modèle statistique de Philippe J. Fournier.
Janet a, elle, tourné le dos au PLC de Justin Trudeau. L’ex-sympathisante libérale dit avoir, avec le temps, pu passer l’éponge sur l’affaire We Charity, mais pas sur l’affaire SNC-Lavalin. La professeure de psychologie avait appuyé le PLC en 2015, mais Jody Wilson-Raybould, en 2019. Elle se ralliera au NPD le 20 septembre prochain, fait-elle remarquer après avoir vu sa marche interrompue par Le Devoir.
Par ailleurs, elle a une dent contre Justin Trudeau. Il s’est révélé un premier ministre « faible », y compris en temps de crise, souligne Janet. « Je ne trouve pas qu’il est fort. Je n’aime vraiment pas Justin Trudeau », lance-t-elle avant de reprendre sa marche à travers un quartier parsemé de chantiers de construction. « Mais, j’aimais son père. »
De son côté, Debbie désapprouve la « façon dont elle [Jody Wilson-Raybould] s’est comportée dans toute cette affaire. Elle aurait dû se ressaisir », fait-elle valoir, avant de confier au Devoir être née à Québec où son père militaire — et sa famille — avait été déployé pendant la Crise d’octobre de 1970.
Susan est aussi persuadée qu’avec de la bonne foi, Jody Wilson-Raybould aurait pu régler ses différends avec Justin Trudeau. « Je suis à 100 % derrière les femmes indépendantes. Elle était le choix parfait pour la job de ministre de la Justice. C’est dommage », dit-elle tout en jetant un coup d’œil à la vitrine de la librairie indépendante Entrepôt de livres, où la littérature autochtone a la part belle. « Nous attendons une quantité hors du commun du livre de Jody Wilson-Raybould », spécifie une employée à l’intérieur du magasin.
Profil bas
Jody Wilson-Raybould a gardé profil bas depuis le début de la campagne électorale, ce qui ne l’a pas empêché d’attirer l’attention sur les Canadiens et leurs alliés laissés derrière en Afghanistan et de dénoncer la candidature libérale, en Ontario, de Raj Saini malgré les allégations d’inconduites sexuelles le visant. « Quiconque a la responsabilité de régler ce problème et ne le fait pas n’est pas apte à diriger. Quiconque reste là et ne fait rien est complice. Quiconque est surpris n’y a pas prêté attention », avait écrit l’ex-procureure générale du Canada sur Twitter le 1er septembre dernier. Raj Saini a plus tard déclaré forfait.
Dans l’attente de la sortie du livre de Jody Wilson-Raybould, Taleeb Noormohamed, qui tente à nouveau de se faire élire dans Vancouver Granville sous la bannière du PLC, continue de se poser en homme de la situation de Justin Trudeau pour régler la crise du logement, particulièrement aiguë dans la métropole de la Colombie-Britannique, après avoir acheté, rénové et vendu 41 propriétés depuis 2005. Ce faisant, il a engrangé des profits de près de 5 millions de dollars.
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