Les chefs divisés sur le climat et la santé
Justin Trudeau a justifié ses aides aux entreprises pétrolières, Erin O’Toole a précisé qu’il n’imposera pas de pipeline au Québec et Yves-François Blanchet a dû défendre ses propos sur le troisième lien. La question de l’environnement a animé le débat entre les cinq principaux partis fédéraux, questionnés un à un sur le plateau de Radio-Canada dimanche.
Justin Trudeau assure être « en train de mettre fin aux subventions » aux compagnies pétrolières, tout en maintenant que les sommes accordées actuellement sont importantes afin de faire diminuer les émissions de gaz à effet de serre de cette industrie. Le pipeline Trans Mountain, dit-il, est compatible avec cet objectif. Et s’il n’a toujours pas planté les deux milliards d’arbres promis, c’est pour des considérations horticoles : « On ne peut pas que planter des graines, il faut planter des arbustes. »
Vêtu sobrement d’un complet gris assorti d’une cravate foncée, Justin Trudeau a été le premier chef bombardé de questions par les journalistes Anne-Marie Dussault, Patrice Roy et Céline Galipeau.
Le premier ministre n’a rien promis au sujet de la demande des provinces de bonifier les transferts fédéraux en santé, à commencer par les 28 milliards de rattrapage exigés par ses homologues. « On va en discuter, mais on a démontré qu’on était là pendant la crise, on va être là dans l’avenir. »
Au chapitre des dépenses, Justin Trudeau défend toujours mordicus son choix d’endetter le pays à des niveaux records durant la pandémie. « On s’est endettés pour que les gens n’aient pas à s’endetter », a lâché le chef libéral, illustrant le fait que le taux d’emprunt du Canada est plus faible que celui du simple citoyen qui met « son loyer sur la carte de crédit ».
Le premier ministre n’en a pas dit beaucoup plus sur les conséquences auxquelles feront face les fonctionnaires qui refuseront d’être vaccinés contre la COVID-19, sinon qu’il a l’intention d’en discuter avec les syndicats. Est-ce que ce serait de ne pas se présenter au travail ? « Oui, ça met les autres à risque », évoque-t-il.
Finalement, Justin Trudeau a rejeté l’idée que cette élection fasse office de référendum sur son leadership. « Je ne pense pas. Oui, je vois la vague de rage. Des gens sont en train de manifester de manière intense, même violente, mais c’est une petite minorité », a-t-il ajouté en référence aux manifestations hostiles qui ont accompagné ses rassemblements ce week-end — et qui ont réussi à faire annuler un événement de campagne en Ontario vendredi.
Deux pipelines pour Erin O’Toole
Second chef mis sur la sellette, le chef conservateur, Erin O’Toole, a assuré qu’il allait limiter à deux les grands chantiers de pipelines à travers le pays : Trans Mountain et Northern Gateway. Et s’il est élu premier ministre, il n’imposera pas un tracé au Québec, promet-il. « Non, je vais travailler avec les [dirigeants des] provinces, comme M. Legault. »
M. O’Toole a dû défendre le fait que son parti n’ait pas entériné une motion visant à reconnaître l’existence des changements climatiques en mars dernier. Il a souligné à grands traits — et à plusieurs reprises — avoir un plan pour respecter les cibles de l’Accord de Paris et a assuré que tous ses candidats « sont en accord ».
Il a dû se défendre après la réémergence d’étranges allégations lancées par sa députée de Renfrew-Nipissing-Pembroke, dans la région d’Ottawa, Cheryl Gallant. Dans un dépliant remis à ses commettants, elle leur demande de « transformer les prochaines élections en un référendum sur un nombre croissant de confinements », dont un « confinement climatique ». Sur le plateau de Radio-Canada, Erin O’Toole n’a pas voulu condamner ses propos.
Le chef conservateur a expliqué son appui sans réserve au troisième lien routier entre Québec et Lévis. « C’est un exemple de fédéralisme de partenariat, a-t-il dit. C’est très important de respecter les priorités sur le terrain. » Il a mentionné l’appui de municipalités et du premier ministre François Legault pour démontrer que ce projet est important localement.
Erin O’Toole a répété être contre la vaccination obligatoire des fonctionnaires, puisque d’autres options sécuritaires existent. Même s’il promet de bonifier sans condition les transferts en santé de 6 % par an, il ne s’engage pas à verser d’abord un paiement de 28 milliards exigé par les provinces, mais n’a pas fermé complètement la porte non plus. « Si on a une croissance économique, 6 % est le minimum. Mais c’est important de respecter les compétences. »
Le troisième lien d’Yves-François Blanchet
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a dû défendre sa position « personnelle » favorable au troisième lien entre Québec et Lévis, qui a fait vivement réagir le milieu environnementaliste la semaine dernière. M. Blanchet ne regrette rien de sa sortie : « Mon travail n’est pas de m’ingérer [dans la décision de Québec d’aller de l’avant avec ce projet], mais je sais que ça peut être fait de manière passablement plus écologique », avance-t-il.
Il a rappelé son passé de ministre de l’Environnement du Québec et a soutenu avoir toujours œuvré pour concilier l’environnement et le développement. Il illustre sa vision par sa proposition de ne pas limiter le transport maritime dans le fjord du Saguenay pour ne pas condamner le développement économique de cette région.
Yves-François Blanchet n’a pas voulu dire s’il préférait travailler avec un gouvernement libéral ou conservateur. « Tant que c’est pour servir le Québec, je suis prêt à travailler avec n’importe qui. J’aurais de la misère avec ceux qui font un fonds de commerce de mépriser les Québécois », dit-il, avant de critiquer le Parti conservateur sur diverses positions économiques et sociales. « Que ce soit libéral ou conservateur, si c’est minoritaire, je pense qu’on va tirer notre épingle du jeu. »
Le chef bloquiste a critiqué la proposition mise en avant par Justin Trudeau d’obliger la vaccination des fonctionnaires fédéraux, un « coup d’éclat de démarrage » de la campagne libérale, selon lui. « La santé publique est une juridiction de la Santé publique du Québec », dit-il, soutenant que des sanctions aux fonctionnaires non vaccinés seraient impossibles. Le chef bloquiste a aussi expliqué qu’il ne parlait pas de souveraineté du Québec parce qu’« il n’y a pas eu de changement à l’Assemblée nationale » ces deux dernières années.
Jagmeet Singh incertain sur le pipeline
Si Jagmeet Singh s’est toujours opposé à l’achat par le gouvernement fédéral du pipeline Trans Mountain, il ne veut pas dire ce qu’en ferait un gouvernement néodémocrate. « On doit évaluer la situation, mais, comme je dis : je suis contre, mais je vais prendre une bonne décision pour les Canadiens et les Canadiennes. »
Le chef du Nouveau Parti démocratique, qui était lui aussi présent sur le plateau de télévision montréalais, promet de mettre fin aux subventions pétrolières. Dans un second temps, il ne ferme pas la porte à des aides s’il y a des « garanties fermes » pour des investissements visant à réduire les émissions, comme la restauration des sites pétroliers. « C’est une approche qu’on appuie. »
Il dit se différencier de Justin Trudeau par son honnêteté dans ses promesses. « Pour nous, ce ne sont pas des belles paroles, ce sont des convictions. » Jagmeet Singh veut apporter une nuance aux propos du premier ministre François Legault, selon lesquels son parti est « centralisateur ». « Je comprends ça la question des compétences. J’ai été juriste, j’ai été avocat », dit-il, précisant qu’un bon leader fédéral doit trouver des solutions qui impliquent un certain empiétement dans les compétences des provinces, « tout en travaillant ensemble ». Par exemple, il souhaite nationaliser des centres de soins de longue durée privés, de la même manière que les hôpitaux privés n’existent plus au Canada. Le NPD propose aussi un passeport vaccinal entièrement conçu par le fédéral.
M. Singh se positionne nettement en faveur de la vaccination obligatoire des fonctionnaires, au risque de sanctions disciplinaires pour les contrevenants. « Je suis quelqu’un qui a défendu les droits de la personne, mais en même temps je respecte les droits collectifs, et je veux protéger les gens. »
Annamie Paul promet un plan réaliste
Seule leader absente physiquement des studios montréalais de Radio-Canada dimanche, la cheffe du Parti vert, Annamie Paul, a dû se défendre au sujet de la crise interne qui secoue son parti depuis quelques mois. Elle n’a toutefois offert que peu de détails supplémentaires sur cette situation, sinon que son parti a « beaucoup de militants », « beaucoup de points de vue » et « beaucoup de passion ». « Quand c’est important, comme les élections, nous sommes un parti qui n’hésite pas à s’unifier », conclut-elle.
Annamie Paul a aussi expliqué sa décision de passer l’intégralité de la campagne électorale jusqu’ici dans la circonscription de Toronto-Centre, où elle tente de se faire élire. « Je n’ai pas dit que je ne ferai pas de tournée, juste que je vais passer la majorité de mon temps dans ma circonscription », a-t-elle nuancé. Elle assure que son objectif est de faire élire des candidats verts partout au Canada.
Annamie Paul a refusé de dire quel autre parti était le meilleur — ou le moins mauvais — au chapitre de l’environnement. « Surtout en ce moment, en ce qui concerne le climat, nous sommes le seul parti qui propose un plan crédible, un parti qui suit la science. » Elle considère que tous les autres partis soutiennent les oléoducs et les projets pétroliers, ce qui est incompatible avec l’urgence climatique.
Pour preuve que son plan est réaliste, elle cite les pays d’Europe, et même les États-Unis, comme autres pays qui ont des cibles plus ambitieuses que le Canada. « Ce n’est pas possible de continuer à investir dans les projets pétroliers et de penser qu’on va atteindre les cibles, même modestes. » « Il n’y a pas de deuxième [choix] quand on parle de l’avenir de notre planète », a-t-elle répondu à Patrice Roy après qu’il lui eut demandé quel parti serait le meilleur pour l’environnement après le Parti vert.
Les candidats au poste de premier ministre seront de nouveau appelés à défendre leurs idées ce jeudi, cette fois en débattant avec leurs adversaires lors du « face-à-face » de TVA. Puis, le mercredi 8 septembre, ils croiseront encore une fois le fer en français lors du débat organisé par la Commission des débats des chefs ; le débat en anglais est prévu le lendemain, le 9 septembre.