Une relance économique sans garderies à 10 $

Si Justin Trudeau voulait d’une campagne électorale pour débattre du meilleur plan de relance économique à adopter une fois la pandémie passée, le chef conservateur Erin O’Toole l’a servi. Le parti a dévoilé toute sa plateforme électorale dès le deuxième jour de la campagne fédérale. Un plan qui prévoit une série de mesures pour encourager la réembauche de travailleurs et pour aider les PME ainsi que les secteurs encore mis à mal par la pandémie. Le tout en permettant un retour à l’équilibre budgétaire d’ici dix ans.
Le Québec perdrait cependant, comme les autres provinces, les sommes promises par le gouvernement Trudeau pour réduire les frais de garderie au pays et devrait se contenter de hausses de transferts en santé en deçà de ses attentes.
« En limitant les dépenses continues à quelques domaines clés et en stimulant la croissance économique, nous allons éliminer le déficit au cours des dix prochaines années, de manière responsable », plaide la plateforme électorale du Parti conservateur.
Le parti créerait ainsi une sorte de subvention salariale 2.0, pour faire suite à celle du fédéral qui se terminera en octobre, laquelle couvrirait de 25 % à 50 % des salaires d’employés réembauchés pendant encore six mois. Un gouvernement O’Toole créerait en outre un crédit d’impôt de 5 % pour tout investissement de capitaux en 2022 et 2023 ; un crédit d’impôt de 25 % pour les investissements personnels d’un maximum de 100 000 $ que seraient prêts à faire les Canadiens dans une petite ou moyenne entreprise ; et des prêts de jusqu’à 200 000 $ pour les entreprises des secteurs hôtelier, touristique et du commerce de détail, qui seraient pardonnables à 25 %.
Les contribuables ne seraient pas en reste. En effet, pour aider ces secteurs, ils pourraient profiter d’un rabais de 50 % dans les restaurants canadiens pendant le premier mois suivant la fin de la pandémie (du lundi au mercredi), de même que d’un crédit d’impôt de 15 % pour leurs dépenses de vacances s’ils demeurent au Canada l’an prochain (jusqu’à concurrence de 1000 $ par vacancier).
Un panier de mesures qui ont du bon, mais qui pourraient ne se révéler en partie que de simples mesures libérales remâchées, note Jennifer Robson, professeure associée en gestion politique à l’Université Carleton. Le gouvernement Trudeau offre déjà un programme d’embauche pour la relance économique quasi identique à la subvention promise par Erin O’Toole, rappelle-t-elle, qui a été prolongé lundi jusqu’à la fin mars. Idem pour le crédit d’impôt pour les investissements en capitaux.
La facture totale que forment ces milliards de dollars promis au fil des 168 pages de la plateforme conservatrice n’est pas chiffrée. Les troupes de M. O’Toole ont préféré attendre que le directeur parlementaire du budget puisse l’analyser pour offrir ses propres projections. Si les conservateurs ne comptent que modifier certaines mesures libérales, ou s’ils prévoient carrément les bonifier avec leurs propres ajouts, le coût des mesures promises variera, note la professeure Robson.
Afin de pallier une possible récession, les conservateurs créeraient une « super assurance-emploi » temporaire, qui hausserait les prestations à 75 % du salaire dans les provinces où le taux de chômage augmente d’au moins 0,5 %. Les prestations seraient ramenées au niveau de 55 % après trois mois de gains d’emplois.
Les travailleurs les moins payés verraient quant à eux l’Allocation canadienne pour les travailleurs doublée, ce qui offrirait jusqu’à l’équivalent d’une hausse salariale de 1 $ l’heure aux travailleurs gagnant 28 000 $ ou moins par année.
Autre vision des garderies
Erin O’Toole est en outre venu confirmer qu’il renierait les ententes du gouvernement Trudeau avec les provinces visant à réduire les frais de garde à 10 $ au pays d’ici 2026. Un gouvernement conservateur bonifierait plutôt le crédit d’impôt remboursable du fédéral pour la garde d’enfants. Les parents les moins nantis profiteraient des plus gros remboursements (jusqu’à 75% des frais de garde).
Le chef conservateur n’a cependant pas expliqué comment cette mesure s’appliquerait au Québec, qui compte déjà un crédit d’impôt pour les places non subventionnées.
Le gouvernement québécois perdrait ainsi les 6 milliards de dollars promis par Ottawa sur cinq ans. Le cabinet du premier ministre François Legault n’a pas voulu commenter, se disant simplement « fier » d’avoir négocié et signé une entente « sans conditions » avec le fédéral.
Le crédit d’impôt ciblé des conservateurs tranche avec les prestations directes qu’il préférait jusqu’ici promettre aux parents. Le parti reconnaît que les familles souhaitent avant tout des places en garderie abordables, a-t-on admis en coulisse. Un crédit d’impôt ne viendra cependant pas offrir ces places aux parents, prévient la professeure Robson, qui rappelle que ces mesures fiscales sont utiles seulement si elles sont accompagnées d’investissements pour créer des places en garderies.
Justin Trudeau a accusé les conservateurs de « lâcher complètement les femmes » et « de ne pas reconnaître les besoins des familles ». « C’est typique. Mais c’est surprenant, même pour moi qui les connais bien », a lâché le chef libéral à Longueuil.
Yves-François Blanchet, du Bloc québécois, et Jagmeet Singh, du NPD, n’ont pas commenté.
Erin O’Toole a, en revanche, réitéré une série de promesses pour le Québec : offrir une déclaration d’impôt unique aux Québécois ; offrir plus de pouvoirs en matière d’immigration ; ne pas intervenir ou financer toute contestation de la loi 21 sur la laïcité.
Les transferts fédéraux en santé seraient également haussés de 6 % par année, tel que le réclament les provinces. Mais leur niveau de financement ne serait pas bonifié pour atteindre 70 milliards l’an prochain, plutôt que 42 milliards actuellement, comme l’exigeaient aussi les premiers ministres provinciaux.
Reprise de dadas conservateurs
Fidèle à ses traditions, le parti conservateur enchaîne les promesses de crédits d’impôt, s’engage à réviser le régime fiscal pour le simplifier et à réduire la paperasse. Une « incohérence idéologique » soulevée par la professeure Robson, puisque l’accumulation de crédits d’impôt complexifie justement ces deux derniers enjeux ciblés par le parti.
La plateforme conservatrice reprend enfin le plan environnemental du parti dévoilé le printemps dernier, de même que ses grandes promesses pour prévenir une future pandémie, pour hausser les peines prévues à la Loi sur les conflits d’intérêts et pour resserrer les règles de lobbying.
En matière d’immigration, un gouvernement conservateur permettrait aux ressortissants étrangers de payer pour accélérer le traitement de leur dossier.
L’accès à l’aide médicale à mourir serait resserré pour réinstaurer un délai de dix jours aux personnes en fin de vie, qu’avait réduit le gouvernement libéral.
L’accès aux armes à feu, lui, serait quelque peu assoupli avec l’abrogation de la loi C-71, qui resserrait notamment les règles de transport d’armes à feu et celles de vérifications d’antécédents pour les demandeurs de nouveaux permis.
O’Toole préfère des tests de dépistage aux vaccins obligatoires
Le chef conservateur s’oppose à l’idée d’imposer le vaccin contre la COVID-19 aux fonctionnaires fédéraux. Erin O’Toole privilégie plutôt des tests de dépistage pour ceux qui refuseraient de se faire vacciner. « On va respecter les décisions des Canadiens en ce qui concerne leur santé », a-t-il plaidé lundi, après avoir offert une réponse plus floue la veille. Le chef libéral Justin Trudeau a critiqué cette position de son rival, sur laquelle il misait en début de campagne électorale après avoir annoncé qu’il exigerait la double vaccination de ses fonctionnaires. La directrice des ressources humaines du fédéral a cependant reconnu, dans une note interne, qu’il faudra « considérer des mesures de rechange, comme les tests de dépistage », pour ceux qui refuseront de se faire vacciner. Une position qui reprend donc celle de M. O’Toole.