Cinq chefs sur les blocs de départ
Moins de deux ans se sont écoulés depuis la dernière campagne électorale fédérale, mais deux des cinq chefs de partis représentés à la Chambre des communes ont changé. Pour certains, l’objectif sera cette fois de consolider les acquis, voire de faire des gains, mais pour d’autres, il faudra calmer la grogne et rallier les partisans.
Tout ça au moment où beaucoup de Canadiens profitent encore des chaleurs de l’été et où une quatrième vague de COVID-19 semble déjà bien entamée. Voici les portraits de ceux qui se battront pour votre vote. Textes de Mylène Crête.

REVENIR PLUS FORT
Justin Trudeau, chef du Parti libéral du Canada
L’attrait de la majorité est fort pour tout gouvernement minoritaire. Celui de Justin Trudeau n’y fait pas exception. En choisissant de tenir une élection estivale dans l’espoir de regagner les sièges perdus en 2019, le premier ministre joue quitte ou double. Les électeurs lui en tiendront-ils rigueur ?
La population a peu d’appétit pour un scrutin en septembre, selon plusieurs sondages réalisés en juillet. Justin Trudeau a préparé le terrain en répétant au cours des derniers mois que le Parlement est dysfonctionnel et l’empêche de faire adopter ses projets de loi, ce que réfutent les partis d’opposition. La population semble aussi avoir oublié les ratés en début de pandémie depuis qu’il y a abondance de vaccins contre la COVID-19.
Le chef libéral se présente désormais comme le dirigeant d’un gouvernement qui soutient les gens en temps de crise. Le budget présenté par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, donne un avant-goût de la feuille de route d’un troisième mandat libéral avec ses 101 milliards pour la relance économique, répartis sur trois ans.
Parmi les mesures phares : des services de garde à 10 $ d’ici 2026, la prolongation des subventions d’urgence créées durant la pandémie, une relance économique verte et la bonification de la Sécurité de la vieillesse. Les personnes âgées de 75 ans et plus recevront également un chèque de 500 $ à la mi-août, soit quelques semaines avant le scrutin du 20 septembre.
Poussé par la crise, le gouvernement Trudeau a délié les cordons de la bourse une fois de plus, faisant gonfler le déficit à un sommet historique, lui qui n’a jamais fait une priorité du retour à l’équilibre budgétaire.
En 2019, les libéraux s’étaient lancés en élection dans la foulée du scandale de SNC-Lavalin. Cette fois-ci, ils traînent celui de l’organisme UNIS qui a coûté le poste, il y a près d’un an, au ministre des Finances, Bill Morneau, et qui a renforcé l’image d’un gouvernement qui prend des libertés avec l’éthique. Plus récemment, la mauvaise gestion du ministre de la Défense, Harjit Sajjan, des allégations d’inconduites sexuelles à l’endroit du général Jonathan Vance a terni la marque féministe du gouvernement Trudeau. Son deuxième mandat a également été ponctué par son incapacité à regagner un siège au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU).
À la dissolution de la Chambre des communes, le gouvernement Trudeau comptait 155 députés. Les libéraux auront besoin d’au moins 15 députés supplémentaires pour obtenir un mandat majoritaire. À ce jour, au moins 12 ont indiqué qu’ils ne se représenteraient pas. Ils estiment pouvoir rafler quelques circonscriptions bloquistes, notamment dans la région de Trois-Rivières, et peut-être même tirer parti des déboires des conservateurs sur la scène provinciale en Alberta, y refaire une percée.
Les libéraux miseront encore une fois sur le vote progressiste et feront valoir que les conservateurs d’Erin O’Toole n’auraient pas offert un soutien financier aussi généreux à la population durant la pandémie, qu’ils nient toujours les impacts des changements climatiques et qu’ils annuleront l’interdiction de posséder des armes d’assaut militaires.

RALLIER
Erin O’Toole, chef du Parti conservateur
Près d’un an après avoir été élu à la tête du Parti conservateur, Erin O’Toole demeure toujours méconnu des électeurs, et ce, même s’il est chef de l’opposition officielle. À peine 11 % des Canadiens estiment qu’il ferait un bon premier ministre, selon un récent sondage Léger. Il faut dire que la pandémie qui a limité les rassemblements ne l’a pas aidé pour aller à la rencontre des citoyens.
L’ex-ministre des Anciens Combattants sous Stephen Harper tente de se débarrasser de certains fantômes qui ont mené à la défaite de son prédécesseur. N’en déplaise aux conservateurs sociaux, il se dit pour le mariage gai et reconnaît le droit des femmes à l’avortement. Il a également présenté sa propre tarification pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, lui qui avait promis durant la course à la direction d’éliminer la taxe sur le carbone des libéraux.
De quoi plaire aux conservateurs du Québec, mais pas à ceux de l’Alberta ou de la Saskatchewan. En voulant ménager la chèvre et le chou, Erin O’Toole se met à dos des militants de la grande famille conservatrice. Certains souhaiteraient même qu’il perde ses élections, selon le Toronto Star.
Il faut dire qu’une majorité de militants avaient refusé de reconnaître l’existence des changements climatiques lors du congrès du parti en mars. La résolution avait été présentée par des délégués québécois.
La question de l’avortement lui a également donné du fil à retordre. Erin O’Toole avait voté contre le projet de loi de la députée saskatchewanaise Cathay Wagantall, qui visait à criminaliser les interruptions volontaires de grossesse sexo-sélectives, mais il avait laissé son caucus voter librement. Cette initiative avait été rejetée en deuxième lecture, mais elle a permis aux libéraux, aux néo-démocrates et aux bloquistes de la dénoncer comme une tentative déguisée de limiter le droit des femmes à l’avortement.
Au Québec, les conservateurs veulent reprendre des circonscriptions perdues au profit du Bloc québécois en 2019. C’est le cas de Beauport-Limoilou où l’ex-député Alupa Clark tentera de ravoir son siège, et du comté voisin de Beauport–Côte-de-Beaupré–Île d’Orléans–Charlevoix. Les intentions de vote pour le Parti populaire de Maxime Bernier, qui aurait pu diviser le vote, demeurent marginales dans les sondages.
Erin O’Toole opposera l’approche décentralisatrice de son parti à celle plus interventionniste des libéraux de Justin Trudeau, comme dans le dossier des transferts en santé. Il est également en faveur de l’application de la loi 101 aux entreprises à charte fédérale. Son slogan « Agir pour le Québec » vise à rappeler aux électeurs que les bloquistes sont voués à demeurer dans l’opposition.
Le chef conservateur compte séduire les électeurs avec son plan de relance économique qui prévoit récupérer le million d’emplois perdus durant la pandémie. Il tourne également le dos à l’austérité pour proposer un plan de retour à l’équilibre budgétaire échelonné sur dix ans. Son « Plan de rétablissement » prévoit aussi l’adoption d’une loi sur la corruption, un plan d’action nationale pour la santé mentale ainsi que la création d’une réserve de produits essentiels en cas de nouvelle pandémie et l’augmentation de la capacité de fabrication de vaccins au pays.

FORTIFIER
Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois
Bien avant le déclenchement de la campagne, il était difficile de manquer les gros panneaux publicitaires du Bloc québécois au Québec… Tout l’été, on y a vu le chef de la formation politique en gros plan et le slogan « Cet été, le Québec passe en zone bleue », un clin d’œil aux paliers d’alerte instaurés par le gouvernement québécois durant la pandémie.
Si la formation souverainiste disait ne pas souhaiter d’élections, elle s’y est préparée. Son chef, Yves-François Blanchet, a fait une tournée estivale aux quatre coins du Québec pour prendre le pouls de la population et présenter ses candidats. Deux députés ont choisi de ne pas se représenter, Simon Marcil dans Mirabel et Louise Charbonneau dans Trois-Rivières.
Un troisième élu, Michel Boudrias, a été écarté par le Bureau national au profit de la candidate Nathalie Sinclair-Desgagné. Cette décision a ravivé des tensions au sein du parti, une trentaine de militants incitant les indépendantistes dans une lettre ouverte à s’abstenir de voter. Ils ont accusé au passage Yves-François Blanchet de faire du Bloc québécois le « meilleur allié des fédéralistes ».
Lorsqu’il a pris la direction de la formation, l’ex-ministre péquiste avait tout un défi. Le parti était sous respirateur artificiel après deux ans de guerres fratricides. Il avait réussi à redresser la barre après le départ de Martine Ouellet et à faire élire 32 députés en 2019, soit trois fois plus qu’en 2015. ll tentera cette fois de consolider ses acquis et de rafler quelques circonscriptions supplémentaires, entre autres au Saguenay et dans l’est du Québec.
L’élection d’un gouvernement libéral minoritaire lui a en quelque sorte offert un scénario idéal au cours des deux dernières années. Le Bloc québécois pouvait ainsi négocier des politiques avantageuses pour le Québec tout en laissant le soin au NPD, qui détient la balance du pouvoir, de soutenir le gouvernement lors des votes de confiance.
Le Bloc a notamment utilisé cette situation pour obtenir une hausse de la pension de la Sécurité de vieillesse et pour présenter des motions nationalistes. Par exemple, le parti a forcé les députés de la Chambre des communes à se prononcer sur le projet de loi 96 du gouvernement Legault, qui ferait du français la langue commune du Québec en modifiant la Constitution. Seuls deux députés indépendants s’y sont opposés, mais de nombreux élus — autant libéraux, conservateurs, néo-démocrates que verts — se sont abstenus.
Le Bloc québécois récolte aujourd’hui 29 % des intentions de vote au Québec selon un récent sondage de la firme Léger, ce qui le place entre les libéraux de Justin Trudeau et les conservateurs d’Erin O’Toole. Au plus fort de la crise qui l’avait secoué en 2018, le parti récoltait seulement 12 % d’appui. Un creux historique.
Ses adversaires ne manqueront pas d’attaquer son talon d’Achille. En effet, le parti est condamné à demeurer dans l’opposition puisqu’il présente uniquement des candidats au Québec.

SE DISTINGUER
Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique
Le résultat du scrutin de 2019 avait été décevant à plusieurs égards pour Jagmeet Singh. Peu connu du grand public, le nouveau chef du Nouveau Parti démocratique avait perdu 20 circonscriptions.
La vague orange s’était ainsi définitivement brisée au Québec. Un seul député — Alexandre Boulerice — avait pu conserver son siège sur les 16 que le parti détenait avant l’élection. Seule consolation : celle d’avoir gagné la balance du pouvoir.
C’est ce qui a permis au parti de gauche de se démarquer depuis. Jagmeet Singh continuera de mettre en valeur les gains qu’il a obtenus contre son appui au gouvernement minoritaire de Justin Trudeau. Il y a les 2000 $ mensuels de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) que les libéraux voulaient d’abord fixer à 1000 $, la prestation d’urgence pour les étudiants obtenue grâce aux pressions des néo-démocrates, la Subvention salariale d’urgence du Canada pour les entreprises, passée de 10 % à 75 % du salaire des employés, et les dix congés de maladie payés pour les travailleurs qui n’en avaient pas.
Or, le défi pour le chef néo-démocrate durant la campagne électorale sera de se distinguer par rapport aux libéraux qui ont l’habitude de jouer dans les plates-bandes progressistes. Le programme national de garderies à 10 $ par jour annoncé dans le budget en est un bon exemple.
Le parti va miser sur la popularité de son chef, avide des réseaux sociaux, pour convaincre les électeurs. Un récent sondage Léger place Jagmeet Singh en deuxième position derrière Justin Trudeau comme meilleur premier ministre. Fait étonnant, les Albertains estiment qu’il serait non seulement meilleur que le chef libéral, mais aussi mieux que le chef conservateur Erin O’Toole. Les stratèges néo-démocrates se sont pincés lorsqu’ils ont vu ces résultats improbables dus aux déboires du Parti conservateur uni de Jason Kenney sur la scène provinciale. Ils rêvent désormais d’un deuxième siège dans la région d’Edmonton.
Le NPD veut courtiser le vote des jeunes, des personnes racisées et des femmes, particulièrement en milieu urbain. Il compte sur la désillusion des progressistes quant aux promesses non réalisées de Justin Trudeau, comme son incapacité à faire respecter sa cible de réduction des gaz à effets de serre.
Les circonscriptions de Sherbrooke, ainsi qu’Outremont, Hochelaga, Laurier-Sainte-Marie à Montréal et Beauport-Limoilou à Québec, feront partie de ses principaux champs de bataille au Québec. Le Parti vert embourbé dans des querelles intestines risque moins de diviser le vote de gauche, cette fois.
Les stratèges font le pari que le turban de Jagmeet Singh ne sera plus un facteur aussi déterminant qu’en 2019, alors que le débat sur la laïcité de l’État faisait toujours rage. Les gens s’y sont habitués et le considèrent désormais comme une marque d’authenticité, dit-on en coulisse.
Reste à voir s’ils lui pardonneront d’avoir excusé les sympathies de l’un de ses députés aux propos controversés d’Amir Attaran. Ce professeur de l’Université d’Ottawa avait traité les Québécois de racistes en mars en qualifiant le gouvernement de François Legault de « suprémaciste blanc » et le Québec de l’« Alabama du Nord ».

SURVIVRE
Annamie Paul, cheffe du Parti vert
Le Parti vert entre en campagne électorale en bien mauvaise posture. Ses déchirements internes ont failli coûter son poste à sa nouvelle cheffe, Annamie Paul, en plus de plomber ses finances. Ils pourraient également gâcher les chances de celle-ci d’être élue dans Toronto-Centre, un bastion libéral.
Pourtant, 2021 semblait être une année prometteuse pour les verts. Les vagues de chaleur, incendies de forêt et tornades des derniers mois ont fait réaliser à de nombreux Canadiens l’urgence de s’attaquer aux changements climatiques.
Lors de la dernière élection fédérale, le Parti vert avait réussi à faire élire trois députés, dont Elizabeth May. Cette dernière avait par la suite décidé de quitter la tête de la formation politique après 13 ans, avec le sentiment du devoir accompli. Sa successeure, Annamie Paul, est devenue la première femme noire à diriger l’un des grands partis fédéraux. Cette avocate spécialisée en droit international maîtrise bien le français, ce qui laissait entrevoir des débats des chefs plus intéressants au Québec. Or, au lieu de surfer sur cette vague, le parti divisé s’entredéchire dans des querelles intestines.
Le passage de la députée Jenica Atwin des verts aux libéraux, en juin, sur fond de divergences sur la question israélo-palestinienne, a été la bougie d’allumage. Mme Paul, de confession juive, avait refusé de sévir à l’endroit d’un de ses proches conseillers qui avait traité Mme Atwin et un autre député vert d’antisémites. Des militants ont tenté d’évincer la cheffe, inspirant un chroniqueur du Globe and Mail à comparer les instances du parti à une association d’appartements en copropriété…
La crédibilité de la formation politique durement gagnée s’en trouve entachée, ce qui se reflète dans les intentions de vote. Ses appuis oscillent entre 3 % et 5 %, tout juste au-dessus du Parti populaire de Maxime Bernier.
Maxime Bernier, chef du PPC
Le chef du Parti populaire du Canada (PPC), Maxime Bernier, n’est pas inclus dans cette présentation des chefs de partis, car le PPC n’est plus un parti représenté à la Chambre des communes, alors que c’était le cas en 2019. Par ailleurs, pour être invité aux débats des chefs, Maxime Bernier devra donc répondre à deux autres critères : présenter des candidats dans au moins 90 % des 338 circonscriptions et obtenir au moins 4 % des intentions de vote ou être en mesure de démontrer que son parti a « une chance légitime de remporter des sièges ».