Justifier une campagne électorale fédérale pandémique

« C’est ça, la démocratie. » Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a choisi la mi-août marquée par une quatrième vague de COVID-19 pour lancer une campagne électorale qui vise, dit-il, à valider auprès des électeurs les choix pris durant la pandémie de COVID-19 et ceux à venir sur la reprise postpandémique.
Le chef du gouvernement canadien depuis 2015 a confirmé les rumeurs persistantes d’élections en demandant dimanche à la gouverneure générale, Mary Simon, de dissoudre le Parlement. Elle a accepté, plongeant le pays en campagne électorale pour un scrutin le 20 septembre. M. Trudeau s’est ainsi expliqué pour une première fois quant à la justification derrière la tenue d’un scrutin anticipé deux ans avant la date limite du mandat, qui devait se terminer en octobre 2023.
« On est en train de réfléchir à comment on va rebâtir en mieux notre société. On a un gouvernement et un Parlement qui, depuis 17 mois, ont pris d’énormes décisions qui vont avoir des impacts sur la vie des Canadiens pour des années à venir. Je pense qu’on est à un moment où les Canadiens méritent de se faire entendre », a-t-il précisé aux journalistes en sortant de Rideau Hall, où il s’était entretenu avec la gouverneure générale durant près d’une heure.
Justin Trudeau a même évoqué l’obligation vaccinale prévue pour les fonctionnaires et les passagers aériens, tel qu’il l’a annoncé pour une toute première fois l’avant-veille, parmi les décisions « qui vont définir l’avenir dans lequel vos enfants et vos petits-enfants vont grandir ». Aux critiques de ces décisions, comme aux parlementaires conservateurs qui auraient qualifié ces mesures de « tyranniques », il réplique être un bon démocrate. « La réponse à la tyrannie, c’est de tenir une élection. Et je pense que les gens qui ne sont pas d’accord avec ce gouvernement, ou ne sont pas d’accord avec cette direction, devraient avoir une occasion de se faire entendre. C’est la raison de cette élection. »
M. Trudeau souhaite récupérer la majorité parlementaire perdue à la suite des élections de 2019, dans laquelle sa députation au Québec est passée de 40 à 35. Il a toutefois refusé, dimanche, de répondre aux questions concernant son avenir politique s’il n’y arrivait pas. Depuis le printemps, il a répété que « personne ne veut une élection avant la fin de cette pandémie ». Il avait toutefois évoqué le besoin de « livrer toute l’aide » promise sans interférence des partis d’opposition.
L’opposition scandalisée
Tous les autres chefs de l’opposition ont tour à tour souligné à quel point il était inapproprié, voire dangereux, de plonger le pays dans une campagne électorale à ce moment.
« Les Québécois et les Québécoises ne veulent pas d’une élection, parce que c’est évident, a soutenu le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, à Montréal. Parce qu’on est au milieu de l’été, parce qu’on est encore dans une pandémie dont l’avenir est très inconnu et parce que les gens ont bien constaté que le parlement fédéral ne fonctionnait pas exactement comment monsieur Trudeau le veut, mais cette allergie à la démocratie finira par jouer contre lui. »
Sous le leadership de M. Blanchet, le Bloc québécois a progressé en passant de 10 à 32 députés à la Chambre des communes, lors de l’élection de 2019. Le chef a énuméré dimanche les thèmes qu’il mettra de l’avant en campagne, notamment les traités économiques, l’industrie agricole et celle de l’aluminium, le soutien au secteur pharmaceutique, la pénurie de main-d’œuvre et la diminution de la production de pétrole au Canada.
Le chef conservateur Erin O’Toole a lui aussi fait valoir qu’il est inopportun d’organiser un scrutin alors que la pandémie n’est pas terminée. « Il ne faut pas mettre en péril tous nos efforts pour des jeux ou des gains politiques. […] C’est le choix de Justin Trudeau de déclencher des élections. J’ose espérer que sa décision ne coûtera pas des vies canadiennes. »
Il s’agit de la première campagne électorale en tant que chef pour le politicien ontarien qui a succédé à Andrew Scheer il y a un an. Son parti compte 10 élus au Québec. M. O’Toole a fait face à de nombreuses questions sur son refus d’exiger la vaccination de ses troupes durant la campagne, dimanche. Il se lance dans la course en promettant principalement une relance économique forte, tout en présentant tous ses rivaux comme très dépensiers.
« L’élection portera sur le futur. Et le choix est le suivant : à qui croyez-vous pour agir pour votre avenir économique ? Il y a cinq partis, mais deux choix : les conservateurs du Canada ; ou plus de la même chose. »
Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a lui aussi lancé sa campagne à Montréal. Le NPD a fait élire 59 députés au Québec en 2011, mais il n’est représenté que par un seul élu dans la province depuis 2019. M. Singh a dit croire en l’inutilité des élections, dans un contexte où le gouvernement libéral minoritaire de Justin Trudeau a toujours réussi à trouver un parti d’opposition prêt à l’appuyer.
Le NPD a notamment appuyé le discours du trône, les conservateurs ont fait passer un vote de confiance sur le budget (même si le parti s’est plus tard opposé au budget), et le Bloc québécois a aidé le gouvernement à faire adopter aux Communes sous le bâillon le projet de loi C-10 sur la radiodiffusion.
« Pendant ces temps difficiles [de la pandémie de COVID-19], il y avait d’autres crises aussi : la crise climatique, avec notamment les feux de forêt dans l’Ouest qui impactent tout le pays ; la crise du logement ; le manque de ressources dans notre système de santé ; les Autochtones qui n’ont pas accès aux droits fondamentaux », a indiqué le chef qui se présente pour une seconde fois aux élections à la tête du quatrième parti fédéral aux Communes.
Morts au feuilleton
La dissolution du Parlement signifie aussi que tous les projets de loi qui n’ont pas reçu la sanction royale sont automatiquement morts au feuilleton, dimanche. C’est notamment le cas du projet de loi C-10 sur la radiodiffusion, qui a été envoyé à la toute dernière minute aux sénateurs avant l’été après une longue bataille avec les conservateurs aux Communes. Le projet de loi C-6, qui criminalise les thérapies de conversion, prendra lui aussi le chemin de la corbeille. Le prochain gouvernement décidera s’il souhaite soumettre les textes de nouveau aux élus de l’élection du 20 septembre.
Les partis n’ont pas attendu le déclenchement officiel de la campagne pour couvrir de pancartes électorales les poteaux de téléphone du pays, samedi soir. Les conservateurs ont également commencé les hostilités vendredi en diffusant une publicité préélectorale sous forme d’un collage humoristique tiré du film Charlie et la chocolaterie (2005) qui présente le premier ministre comme un enfant gâté qui ne souhaite qu’une majorité.
Avec Jean-Louis Bordeleau Des groupes n’ont pas tardé à réagir au déclenchement des élections fédérales, dimanche, en publiant leurs revendications. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) souhaite que les formations politiques s’engagent notamment à bonifier le régime d’assurance-emploi et à moderniser les lois fédérales sur les briseurs de grève, le retrait préventif des travailleuses enceintes ou la protection des régimes de retraite en cas de faillite des entreprises. Le Conseil du patronat du Québec, qui juge que le retour à l’équilibre budgétaire est essentiel, souhaite pour sa part que la priorité soit accordée au développement du capital humain et au rattrapage en matière d’investissement et d’intégration technologique. Il demande notamment de restreindre l’accessibilité à la Prestation canadienne de relance économique pour encourager le retour au travail. Il demande que la réforme à venir du régime d’assurance-emploi comprenne des mesures pour inciter les prestataires à suivre des formations. La Presse canadienne
Des revendications de la FTQ et du CPQ