Les derniers jours de la session parlementaire fédérale souffrent d’obstruction

Avec à peine une dizaine de jours restant à la session parlementaire avant sa levée pour l’été, la Chambre des communes était encore embourbée dans d’interminables pertes de temps, jeudi, ce qui amenuise encore l’espoir de voir adopter les projets de loi chers au gouvernement Trudeau. Une situation qui pourrait lui servir de prétexte pour déclencher des élections, selon des experts.
Des députés conservateurs ont monopolisé le temps imparti aux débats, jeudi, en multipliant les rappels au règlement et les questions de privilèges, en passant par une tentative sans espoir de suspendre la séance. Ce, alors que le premier ministre a évoqué plusieurs fois au cours des derniers mois la possibilité de déclencher des élections si le Parlement devenait dysfonctionnel.
« À un moment donné, on sait qu’on ne pourra plus fonctionner en tant que Parlement comme ça », a déclaré Justin Trudeau vendredi dernier, lorsqu’on lui a demandé ce qui le pousserait à utiliser son pouvoir de lancer le pays en campagne électorale.
Même si le premier ministre a bien précisé que « personne [ne] veut des élections pour l’instant », il pourrait théoriquement déclencher la prochaine campagne électorale dès cet été, soit deux ans avant la fin de son mandat minoritaire. Ce scénario a été jugé assez crédible pour que tous les partis se mettent d’accord pour réserver du temps, mardi prochain, afin d’entendre les discours de députés qui ne comptent pas se représenter.
La Chambre n’est même pas parvenue à s’entendre, jeudi, sur le prolongement des débats à temps pour ajouter quelques heures de délibérations à la journée de vendredi. La proposition du gouvernement visait à prolonger les séances en soirée les lundis et mercredis des deux prochaines semaines, ainsi que l’après-midi du vendredi. Sans ce temps supplémentaire, le gouvernement risque de ne pas arriver à faire adopter ses projets de loi phares avant la fin de la session, le 23 juin.
Des élections ?
Aucun parti ne veut porter l’odieux de lancer le pays en campagne électorale, croit Geneviève Tellier, professeure de science politique à l’Université d’Ottawa. L’obstruction parlementaire pourrait ainsi être un prétexte au gouvernement pour tenter de faire élire une majorité.
« Je sens que les libéraux sont prêts, mais quelle serait leur raison de déclencher les élections ? Il serait valable de dire : “On a essayé de faire avancer des projets de loi, mais on n’est pas capables, alors on voudrait un mandat clair” », dit la politologue.
« Ça devient effectivement un argument supplémentaire pour les libéraux pour aller chercher une nouvelle légitimité avec une élection », estime aussi Frédéric Boily, professeur de science politique à l’Université de l’Alberta. « Le Parlement est dysfonctionnel depuis un bon bout de temps déjà. Il a été moins dysfonctionnel que dans d’autres gouvernements minoritaires, mais c’est la caractéristique des parlements minoritaires de mal fonctionner », ajoute-t-il.
C’est précisément la raison pour laquelle les mandats minoritaires accomplissent très rarement leur mandat complet de quatre ans et survivent plutôt deux ans en moyenne, selon M. Boily. De plus, les élections provinciales qui ont eu lieu durant la dernière année de pandémie de COVID-19, en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et à Terre-Neuve-et-Labrador, ont entraîné la réélection majoritaire des gouvernements sortants.
Pour leur part, les conservateurs rejettent tout blâme quant aux retards parlementaires, qu’ils imputent au gouvernement Trudeau, notamment pour avoir prorogé le Parlement l’an dernier. En conférence de presse jeudi matin, le député Gérard Deltell a indiqué que le « zèle extraordinaire » des libéraux a fait perdre 167 heures de travail dans différents comités parlementaires. Il s’oppose à toute prolongation des travaux de la Chambre qui ne prolonge pas aussi ceux des comités.
Peu avant, le leader du gouvernement, Pablo Rodriguez, a accusé les conservateurs d’être les seuls responsables du blocage actuel. « Malheureusement, il y a un parti, à la Chambre, qui fait obstacle au progrès. Un parti qui utilise sa minorité en Chambre pour bloquer la volonté de la majorité. C’est le Parti conservateur d’Erin O’Toole. » Selon lui, il reste toutefois de l’espoir de voir adopter trois importants textes législatifs avant l’été.
Il s’agit d’abord du projet de loi C-12, déposé en novembre et qui vise la carboneutralité du Canada d’ici 2050. Le texte est sorti de l’étape du comité, mercredi, et doit revenir en Chambre pour une troisième lecture avant d’être envoyé au Sénat. Le gouvernement a aussi l’espoir de voir adopter C-6, qui vise à criminaliser les thérapies de conversion, aussi à l’étape de la troisième lecture.
Finalement, tous les projecteurs sont tournés vers le controversé projet de loi C-10, qui vise à contraindre les géants du Web à partager leurs revenus et à augmenter la portée du contenu canadien, au même titre que les télédiffuseurs traditionnels. Les conservateurs y voient plutôt une attaque contre la liberté d’expression.
Avec l’aide du Bloc québécois, les libéraux ont réussi à imposer un bâillon pour limiter les débats au Comité parlementaire du patrimoine, qui devrait achever son étude de C-10 vendredi, après six semaines de pénibles débats procéduraux. Comme pour les autres projets de loi, il devra passer par tout le processus du Sénat avant d’obtenir la sanction royale. Le succès est loin d’être garanti. En cas de déclenchement d’une campagne électorale cet été, tous les textes législatifs encore en examen devront être jetés, rejoignant la longue liste des projets de loi morts au feuilleton.