Ottawa livre un budget mi-COVID mi-électoral

Budget COVID ou budget préélectoral ? Entre les deux, le coeur d’Ottawa balance. Sans surprise, le budget présenté par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, en est un de sortie de crise. Mais il ne lésine pas non plus sur les grandes annonces, comme la création d’un système pancanadien de garderies, à l’image de celui du Québec.

Pas d’équilibre budgétaire à l’horizon

Dans ses budgets, le gouvernement Trudeau a rarement fait du retour à l’équilibre une priorité. Une tendance qui se poursuit, COVID-19 oblige. Et bien qu’on soit loin du monstrueux déficit observé en 2020-2021 -- 354,2 milliards de dollars --, les prévisions budgétaires demeurent écrites à l’encre rouge. Le Canada devrait ainsi afficher un déficit de 154,7 milliards à la fin de l’exercice 2021-2022.

Un montant qui, si on en croit les prévisions du fédéral, sera réduit progressivement à 30,7 milliards de dollars en 2025-2026

La pandémie actuelle a également fait mal au produit intérieur brut (PIB) canadien : il a baissé de 5,4 % l’an dernier. Il devrait toutefois augmenter de 5,8 % en 2021, selon les prévisions, et atteindre son niveau d’avant la pandémie avant la fin de l’année.

La combinaison de cette pause économique forcée et de ce budget déficitaire fait d’ailleurs exploser le ratio de la dette. En 2019-2020, la dette fédérale équivalait à environ 30 % du PIB ; à la fin de l’exercice 2021-2022, ce sera 51,2 %, un ratio jamais vu depuis le début des années 2000.

 

La facture de la pandémie, et de la suite des choses

365,7 milliards de dollars. C’est ce qu’aura coûté la COVID-19 au gouvernement fédéral une fois la crise terminée, selon le budget Freeland.

Les plus importants postes de dépense ont été, sans surprise, celui des multiples programmes d’aide annoncés en catastrophe l’an dernier. Des prestations qui verront d’ailleurs leur durée prolongée alors que la troisième vague de la pandémie s’abat sur plusieurs parties du pays.

La Prestation canadienne de relance économique (la PCRE, qui a remplacé la PCU l’an dernier) sera prolongée de 12 semaines, pour un total maximal de 50 semaines, d’ici au 25 septembre. Elle sera toutefois graduellement réduite à moins de 300 $ par semaine d’ici l’automne, puisque le gouvernement Trudeau anticipe une reprise économique. La Prestation canadienne de relance économique pour les proches aidants sera quant à elle prolongée de quatre semaines, et demeurera de 500 $ par semaine.

À elles deux, ces prolongations coûteront 2,5 milliards de dollars de plus au fédéral.

Les employeurs ne seront pas en reste : la subvention salariale sera elle aussi prolongée jusqu’au 25 septembre prochain. Mais elle sera progressivement de moins en moins généreuse, à compter du 4 juillet, passant d’un maximum de 847 $ par semaine par travailleur à 226 $ en septembre.

Le programme reste très populaire auprès des employeurs depuis le début de la pandémie, et l’ajout de quatre mois supplémentaires ajoutera 10,1 milliards de dollars à sa facture finale.

L’aide au loyer commercial sera elle aussi disponible jusqu’à la fin septembre.

 

Bâtir l’après-COVID

Le gouvernement Trudeau ne veut pas se contenter de garder la tête des travailleurs hors de l’eau. Disant vouloir prévenir que la COVID laisse des cicatrices trop profondes, il entend aussi jeter les bases de la reprise économique.

« Le fait d’assurer la relance n’est pas suffisant », explique le gouvernement Trudeau dans son budget. « Les défis et les changements fondamentaux auxquels le Canada était aux prises avant la pandémie ne disparaîtront pas. »

Pour ce faire, Ottawa promet notamment aux entreprises un investissement supplémentaire de 16 milliards sur cinq ans. Le quart de ce montant sera destiné spécifiquement aux PME pour, entre autres, en aider 160 000 à intégrer les nouvelles technologies à leur travail et former leurs employés. Le gouvernement voudrait aussi ajouter plus de 7 milliards sur 7 ans à l’innovation industrielle, dont 5 milliards pour aider la décarbonisation des industries lourdes.

Des centaines de millions de dollars iront aussi au développement de secteurs de pointe, comme ceux de l’intelligence artificielle, des technologies quantiques et de la génomique.

 

L’opération charme

Les rumeurs d’élections se faisant persistantes, la réponse du gouvernement Trudeau à la crise économique provoquée par la COVID passe aussi par une opération charme visant une clientèle bien précise : les électeurs progressistes qui auraient été tentés d’accorder leur confiance au NPD.

Son approche risque toutefois de faire grincer des dents au Québec, car elle passe par les champs de compétence des provinces : la santé et la petite enfance.

À la lumière du désastreux bilan de la pandémie en CHSLD, le fédéral imposera ainsi des normes nationales… sans augmenter de manière durable les transferts en santé, comme le réclame les provinces depuis des années

Et comme mesure phare, le gouvernement Trudeau entend créer un programme pancanadien de garderies -- un engagement de plus de 30 milliards sur 5 ans. Son application au Québec, largement cité en exemple dans le document budgétaire, demeure incertaine. La ministre Freeland promet toutefois un « accord asymétrique » pour la province, sans préciser ce qui sera exigé en échange.

Toujours dans la même veine, le fédéral bonifiera l’Allocation canadienne pour les travailleurs, au coût de 8,9 milliards sur 5 ans, pour venir en aide à près d’un million de travailleurs en difficulté. Les prestations de maladie de l’assurance-emploi passeront aussi de 15 à 26 semaines, et un salaire minimum à 15 $ sera aussi instauré pour les travailleurs sous juridiction fédérale.

 

Un coup de main de plus au tourisme et à la culture

Peu de secteurs auront subi plus souffert les effets de la pandémie que ceux du tourisme (les déplacements) et de la culture (les rassemblements). Le premier budget Freeland y fait écho avec une série de mesures d’aide.

Au total, Ottawa prévoit investir 1,9 milliard d’ici 2025-2026 pour le grand thème du « rétablissement du tourisme, des arts, de la culture et du sport », un montant qui comprend toutefois certaines sommes déjà annoncées. En concentrant la lecture sur trois ans et sur les nouvelles mesures de soutien, le budget injectera un milliard d’argent neuf pour les industries du tourisme et de la culture.

En culture, Ottawa prévoit un nouvel investissement de 300 millions sur deux ans pour que Patrimoine canadien « mette sur pied un fonds de relance ». On note des sommes prévues pour le Fonds de la musique du Canada (70 millions), Téléfilm Canada (105 millions) et le secteur du livre (40 millions).

Par le biais de la relance du secteur touristique, Ottawa prévoit aussi un investissement de 200 millions pour soutenir les grands festivals, et une autre somme de 200 millions pour appuyer les festivals locaux et les organismes culturels communautaires. Le coup de pouce au secteur touristique comprend d’ailleurs un fonds d’aide de 500 millions pour appuyer les entreprises touristiques locales à se « remettre de la pandémie et à se positionner pour une croissance future ».

Finalement, dans l’attente de la présentation d’un projet de loi qui modernisera la Loi sur les langues officielles, le budget de lundi prévoit une somme de 392 millions sur trois ans pour la promotion des deux langues officielles — principalement pour l’amélioration des programmes d’immersion française.

Avec Boris Proulx, Marie Vastel, Guillaume Bourgault-Coté et Éric Desrosiers

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