L’entente sur les tiers pays sûrs est maintenue

L’entente sur les tiers pays sûrs a notamment eu pour conséquence de favoriser l’entrée de nombreux migrants de manière irrégulière au Québec, via le chemin Roxham, tout près de Lacolle. En entrant au pays de cette manière, les personnes peuvent demander l’asile sans être refoulées.
Photo: Geoff Robins Agence France-Presse L’entente sur les tiers pays sûrs a notamment eu pour conséquence de favoriser l’entrée de nombreux migrants de manière irrégulière au Québec, via le chemin Roxham, tout près de Lacolle. En entrant au pays de cette manière, les personnes peuvent demander l’asile sans être refoulées.

L’entente sur les tiers pays sûrs demeurera en vigueur. Une décision de la Cour d’appel fédérale rendue jeudi renverse un jugement de la Cour fédérale présenté en juillet 2020, qui l’avait déclarée inconstitutionnelle. Le gouvernement fédéral s’est montré satisfait de cette décision, tandis que de nombreux organismes et défenseurs des droits des migrants l’ont accueillie avec une profonde déception.

En vigueur depuis 2004, cette entente stipule que le Canada et les États-Unis se reconnaissent comme étant deux pays pouvant offrir une protection adéquate aux demandeurs d’asile qui s’y réfugient. Dans les faits, elle permet au Canada de refouler tout demandeur d’asile qui arrive à un poste officiel de la frontière canado-américaine sous prétexte que les États-Unis sont un pays « sûr » et qu’il est possible d’y demander refuge.

Cette entente a notamment eu pour conséquence de favoriser l’entrée de nombreux migrants de manière irrégulière au Québec, via le chemin Roxham, tout près de Lacolle. En entrant de cette manière, les personnes peuvent demander l’asile sans être refoulées.

C’est la deuxième fois que l’entente est soumise à un long processus de contestation devant les tribunaux. Cette fois, lors du processus judiciaire entamé en 2017, le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) et Amnistie internationale, qui font partie des groupes qui attaquent l’entente, ont fait valoir qu’elle contrevenait aux articles 7 et 15 de la Charte. Les États-Unis, surtout pendant la présidence de Trump, étaient loin d’être un pays « sûr » pour les demandeurs d’asile, en regard des problèmes avec la détention et la protection des femmes qui fuient la persécution fondée sur le genre.

« Les réfugiés sont des personnes dont les droits sont bafoués dans le pays d’origine, où l’État ne protégeait pas leurs droits. Ils viennent au Canada et on ne protège pas plus leurs droits en les renvoyant aux États-Unis », soutient Janet Dench, directrice du CCR. Selon elle, le gouvernement canadien actuel « qui se dit féministe » devrait créer des exemptions à l’entente pour ces femmes et ne les renverrait pas chez nos voisins du Sud.

Une preuve incomplète

 

Le jugement unanime de la Cour d’appel fédérale reproche aux demandeurs une preuve incomplète en se fondant sur des « anecdotes », qui ne permet pas « de trancher de manière éclairée, à la lumière de la Charte, les questions qui importent véritablement », a écrit le juge David Stratas, qui a écrit les motifs de la décision. « Les demandeurs ont érigé des moulins à vent et s’attendent à ce que nous nous prononcions sur leur constitutionnalité », lance-t-il.

Selon le tribunal, pour juger l’effet de l’entente sur les demandeurs d’asile renvoyés aux États-Unis, il aurait fallu vérifier de quelle manière le gouvernement canadien a examiné la situation, régulièrement, pour maintenir la désignation de pays sûr pour les États-Unis. Or, rien de la sorte n’a été offert en preuve, a-t-il indiqué.

En réponse à la Cour fédérale, qui avait estimé que le traitement des personnes renvoyées aux États-Unis « choque la conscience », le tribunal supérieur estime que « le dossier comporte des éléments relatant des traitements inférieurs aux normes, mais rien qui “choque la conscience” ».

Janet Dench n’est pas d’accord et estime que la Cour d’appel s’est trop attardée à comment la preuve a été présentée plutôt que de se prononcer sur le fond. « Est-ce possible qu’elle se prononce sur la substance plutôt que sur les aspects juridiques ? On parle d’êtres humains ici et de violations de leurs droits et on a l’impression que la Cour n’est pas intéressée par l’argument central et à affronter les faits humains. »

Roxham restera la voie

 

L’avocat en droit de l’immigration Stéphane Handfield se dit déçu de ce revirement de situation. « Je considérais que la décision de la Cour fédérale était solide et bien étoffée. Je trouve ça dommage que la Cour d’appel l’ait lu autrement. » Selon lui, c’est le Québec qui ressent le plus les effets de l’entente sur les tiers pays sûrs. « On n’a qu’à penser aux entrées irrégulières massives par le chemin Roxham. Dès que la frontière va rouvrir, cette situation risque de reprendre comme avant », continue-t-il. « Ça voudrait dire qu’on a accepté d’emblée que des gens puissent traverser nos frontières de manière irrégulière. On ne peut pas tolérer ça. »

Pour la députée du Bloc québécois, Christine Normandin, que l’entente soit constitutionnelle ou pas ne signifie pas qu’elle est « bonne ». « Nous, on souhaite qu’elle ne soit pas appliquée pour des raisons humanitaires. On ne devrait plus imposer à des personnes souhaitant faire une demande d’asile de devoir le faire à un point d’entrée irrégulier parce que si elles le font à Lacolle, [un point d’entrée officiel], elles vont se faire virer de bord. C’est déshumanisant », dit celle qui fait partie du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Elle souligne que la quasi-totalité des personnes entrées au Canada de manière irrégulière l’ont fait au Québec, par le chemin Roxham.

Le Conseil canadien pour les réfugiés et les autres organismes n’excluent pas de tenter de porter le dossier à la Cour suprême, un accès qui avait déjà été refusé lors d’une première contestation.

Avec La Presse canadienne

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