La taxe carbone fédérale est constitutionnelle, juge la Cour suprême du Canada

Le gouvernement de Justin Trudeau remporte la manche ultime dans le long débat entourant la constitutionnalité de sa taxe carbone imposée aux provinces. La Cour suprême a tranché : sa loi l’instaurant est bel et bien constitutionnelle. C’est un important revers pour les provinces — et les politiciens conservateurs — qui s’y opposent farouchement.

La Cour suprême a statué jeudi, dans une décision qui était fort attendue, que le Parlement canadien a le droit de mettre en place un programme national de tarification du carbone et de l’imposer aux provinces qui n’ont pas de programme jugé équivalent par Ottawa.

« Les changements climatiques sont réels », écrit la majorité des magistrats dans le jugement signé par le juge en chef, Richard Wagner. Ils posent « une menace de la plus haute importance pour le pays et, de fait, pour le monde entier », laquelle « ne saurait être ignorée ». Cette menace justifie donc que le fédéral invoque la « théorie de l’intérêt national » prévu à la Constitution pour lui permettre d’intervenir dans ce champ, de l’avis du plus haut tribunal au pays.

C’est l’interprétation de ce partage des compétences entre le fédéral et les provinces qui était au cœur du litige.

Ottawa affirmait que le fédéral a le droit d’imposer un prix carbone aux provinces en vertu de cette doctrine de l’intérêt national, car elle confère au Parlement fédéral le pouvoir « de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement ».

L’Alberta, la Saskatchewan et l’Ontario affirmaient au contraire — avec l’appui d’une majorité des provinces, dont le Québec — que le fédéral outrepasse les limites de ses compétences. Bien que le Québec ait sa propre Bourse du carbone, reconnue par Ottawa, le gouvernement s’opposait comme ses collègues à tout empiétement du fédéral.

Mais la Cour suprême a donné raison à Ottawa.

Le ministre fédéral de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, s’est réjoui que tout ce débat soit maintenant clos. « Il est temps pour nous tous, quelle que soit notre affiliation politique, de nous atteler à la tâche de faire avancer les solutions climatiques que les Canadiens réclament », a-t-il lancé, sans pouvoir s’empêcher de s’en prendre à ses rivaux conservateurs.

M. Wilkinson s’est néanmoins dit disposé à discuter avec les « provinces récalcitrantes » afin qu’elles mettent en œuvre leur propre plan de tarification du carbone. L’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba et l’Ontario sont soumis à la taxe carbone fédérale pour les contribuables, tandis que le plan d’Ottawa pour les grands émetteurs industriels (moins contesté) s’applique au Manitoba, à la Saskatchewan, à l’Ontario, au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard.

Dangereux précédent

 

Tour à tour, les premiers ministres des provinces des Prairies se sont avoués déçus de la décision de la Cour suprême. Jason Kenney, de l’Alberta, a dit que le jugement « met en évidence […] le fait que les élites d’Ottawa sont beaucoup plus sensibles aux compétences provinciales et aux tensions au sein de la Fédération lorsque celles-ci viennent du Québec que lorsqu’elles viennent de l’Ouest ».

M. Kenney a préféré s’en remettre aux jugements des trois juges dissidents, qui confirment à ses yeux l’empiétement du fédéral, mais qui lui font également craindre qu’Ottawa récidive grâce au jugement de la majorité. « Nous craignons fortement que la porte ait été grande ouverte à un exercice potentiellement illimité des pouvoirs fédéraux dans des champs de compétence exclusifs aux provinces », a dit le premier ministre albertain.

Son homologue de la Saskatchewan, Scott Moe, a quant à lui dit craindre que le gouvernement de Justin Trudeau se serve maintenant de cette décision pour imposer des normes nationales aux provinces en matière de santé.

Une « inquiétude injustifiée », écrit cependant le juge en chef, Richard Wagner, en réplique aux dissidences de ses collègues.

Le juge Russell Brown a notamment rejeté l’idée qu’une telle intervention du fédéral soit justifiée, car elle représente un « empiétement réglementaire profond » et « un modèle de fédéralisme qui rejette notre Constitution et qui réécrit les règles de la Confédération », a-t-il écrit.

Bien qu’ils persistent à dénoncer la taxe carbone fédérale, M. Moe et M. Kenney ont néanmoins annoncé qu’ils plancheront sur leur propre plan de tarification du carbone afin de remplacer celui d’Ottawa, forcés d’admettre que la décision du tribunal ne leur laissait plus d’autre choix.

Brian Pallister, du Manitoba, attend quant à lui la décision de la Cour fédérale dans sa propre contestation judiciaire, qui devrait arriver dans les prochains mois. En Ontario, le ministre de l’Environnement, Jeff Yurek, s’est contenté de se dire déçu lui aussi.

La ministre québécoise des Relations canadiennes, Sonia LeBel, souhaitait prendre le temps d’étudier le jugement, mais s’est inquiétée qu’il puisse « venir déstabiliser certains [des] mécanismes de contrôle » des émissions de GES du Québec.

L’action climatique garantie ?

Le verdict de la Cour suprême n’a toutefois pas convaincu le chef fédéral conservateur, Erin O’Toole, d’accepter une tarification du carbone comme ses collègues provinciaux. M. O’Toole a réitéré que son parti abolira la taxe fédérale s’il est élu, promettant de protéger l’environnement d’une autre façon qui reste à être annoncée.

Or, la professeure de politique environnementale à l’Université de Sherbrooke Annie Chaloux croit que le jugement de la Cour suprême vient de lier les mains de tout futur gouvernement fédéral. Car la Cour stipule qu’une « intervention fédérale est indispensable, et [que] la tarification des GES en particulier fait partie intégrante de tout régime de réduction des émissions de ces gaz ».

« Si un nouveau gouvernement fédéral arrivait — un gouvernement conservateur par exemple — et retirait cette tarification, il irait contre cette idée que le fédéral est indispensable dans les actions climatiques », estime Mme Chaloux.

Les groupes environnementaux se sont de leur côté permis d’espérer que les provinces travailleront toutes maintenant de concert avec Ottawa pour accélérer la lutte contre les changements climatiques. « Le message est clair : les provinces et le fédéral doivent travailler ensemble », a dit Geneviève Paul, la directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement, qui était intervenue en faveur de la loi fédérale devant le tribunal. « Nous espérons donc que cette décision servira de tremplin à un réel travail collectif pour lutter contre la crise climatique et que les gouvernements s’attelleront pour prendre les mesures additionnelles nécessaires pour faire face à la crise. »

Le néodémocrate Alexandre Boulerice a lui aussi sommé le gouvernement de Justin Trudeau d’en faire plus, affirmant qu’une taxation du carbone « n’est pas une solution miracle ».

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