Ottawa annonce la suspension des vols vers le Sud et une quarantaine aux frais des voyageurs
Après des semaines à se faire reprocher son inaction, le premier ministre Justin Trudeau a dévoilé vendredi les règles qui s’appliqueront pour juguler les voyages non essentiels, règles qui font le bonheur de Québec. Les vols vers les destinations soleil seront réduits à peau de chagrin et les Canadiens de retour de l’étranger devront passer un autre test de dépistage de la COVID puis attendre leur résultat dans un hôtel désigné, à leurs frais.
À compter de dimanche, Air Canada, WestJet, Sunwing et Air Transat suspendront volontairement tous leurs vols vers les Caraïbes et le Mexique (mais pas vers la Floride), et ce, jusqu’au 30 avril prochain. Ils prendront aussi des mesures pour rapatrier leurs clients qui s’y trouvent déjà. On ignore toutefois si les voyageurs seront dédommagés. Ottawa dit qu’il n’a pas eu à promettre une aide financière à l’industrie aérienne pour obtenir ces suspensions de vols. Les discussions à cet égard se poursuivent.
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L'éditorial de Brian Myles, Il était temps !Les voyageurs qui auront quand même fait une escapade outre-frontièredevront revenir au pays par l’un des quatre aéroports approuvés, soit ceux de Vancouver, Toronto, Calgary et Montréal. Là, ils ne pourront pas immédiatement prendre un vol de correspondance vers leur destination finale. Ils devront d’abord se soumettre à un test obligatoire de dépistage de la COVID-19 qu’Ottawa entend instaurer « le plus tôt possible en février », selon M. Trudeau. Ils devront attendre leur résultat jusqu’à trois jours dans un hôtel supervisé, qu’ils auront dû réserver à l’avance.
Le coût, a dit M. Trudeau, pourrait atteindre 2000 $. « Ce n’est pas seulement le coût de la chambre, a expliqué le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair. [Ça inclut] les mesures significatives que nous devrons mettre en place pour protéger la santé de ceux qui travaillent dans ces hôtels. » Ce tarif inclura aussi le prix du test de dépistage effectué dans le privé.
Si le résultat du test est positif, les voyageurs devront poursuivre leur isolement dans des installations de quarantaine de la Santé publique fédérale, sans aucuns frais additionnels.
Si le résultat est négatif, les voyageurs pourront retourner à la maison pour y continuer leur quarantaine. La surveillance en sera rehaussée. Ottawa a retenu les services de firmes de sécurité privées qui effectueront plus de visites et le nombre d’appels de vérification doublera. De plus, les voyageurs devront passer un autre test de dépistage (le troisième en comptant celui qu’ils ont dû faire avant de s’envoler) au dixième jour de leur isolement. En cas de résultat positif, le compteur de leur quarantaine sera remis à zéro.
En point de presse, M. Trudeau a rappelé que les contaminations attribuables aux voyageurs étaient peu nombreuses. « Toutefois, même un cas est un cas de trop. Surtout que maintenant, on doit tenir compte des nouveaux variants du virus. »
Il s’est défendu d’avoir trop tardé avant d’agir. « Il y a plusieurs raisons légales, logistiques et pratiques qui font en sorte que des décisions comme celles-ci ne doivent pas être prises à la légère ou sur le coin d’une table. » Il a servi une pique à ses homologues provinciaux qui lui avaient adressé des reproches. « Les gens ne veulent pas voir de chicanes politiques sur le dos de la pandémie. »
Québec applaudit
Québec s’est réjoui de l’annonce, qualifiée de « très positive » par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault. Les mesures, a-t-elle dit, « vont dans le sens de ce que nous souhaitions depuis plusieurs jours ». Elle demandera quand même à Ottawa de clarifier la date exacte d’entrée en vigueur de la quarantaine à l’hôtel.
Pour tout savoir sur la COVID-19
Depuis le 25 mars 2020, le Canada impose aux voyageurs de retour au pays de se placer en isolement chez eux pendant 14 jours, qu’ils aient des symptômes de la COVID ou pas. La peine encourue pour non-respect de la quarantaine peut atteindre 750 000 $ ou six mois d’emprisonnement bien qu’en réalité, les amendes remises oscillent entre 275 $ et 1000 $.
C’était un secret de Polichinelle que cette quarantaine n’était pas toujours respectée. L’enquête internationale Icare (qui a interrogé 60 000 personnes à travers le monde sur leur perception de la pandémie et leur comportement) a découvert que de 12 à 13 % des voyageurs la violent.
Au Canada, de nombreuses critiques ont été formulées envers la surveillance des quarantaines, jugée déficiente. Les voyageurs reçoivent surtout des appels automatisés, et ils peuvent fournir un numéro de téléphone portable, ce qui leur permet de ne pas manquer l’appel de surveillance même s’ils ne sont pas à la maison comme ils le devraient. Ce n’est que depuis une semaine que la Sûreté du Québec (SQ) effectue des visites physiques.
Quant aux amendes, très peu ont été remises aux contrevenants : en date du 5 janvier, il y en avait eu 126 dans tout le pays. Au Québec, c’est à compter de lundi que la SQ pourra commencer à en donner, a confirmé la ministre Guilbault. À Ottawa, on n’a pas manqué de critiquer — subtilement — la lenteur de Québec à agir. « Comme Québécois j’ai été surpris d’apprendre que, contrairement à l’Ontario qui le fait depuis le début de la pandémie, le gouvernement du Québec n’avait pas permis jusqu’à récemment à la SQ de faire respecter la Loi sur la quarantaine sur le territoire québécois », a lancé le ministre Jean-Yves Duclos. « Comme Québécois, nous souhaitons évidemment que la Loi sur la quarantaine soit aussi bien appliquée chez nous qu’en Ontario. »
Le premier ministre ontarien, Doug Ford, a déploré que les mesures d’Ottawa rentrent en vigueur seulement dans quelques semaines. « C’est quelques semaines trop tard », a dit M. Ford. La province imposera elle-même des tests obligatoires à l’aéroport de Toronto jusqu’à ce que la mesure d’Ottawa s’enclenche.
Il y a plusieurs raisons légales, logistiques et pratiques qui font en sorte que des décisions comme celles-ci ne doivent pas être prises à la légère ou sur le coin d’une table
Hésitation
Ottawa a longtemps hésité à imposer de telles restrictions de peur de nuire à l’industrie aérienne, déjà financièrement très malmenée par la pandémie. Les compagnies aériennes avaient fait valoir que l’interdiction de tous les voyages non essentiels aurait eu pour effet de diminuer l’offre de vols, devenus non rentables. Les voyages considérés comme essentiels n’auraient donc plus été possibles.
M. Trudeau avait aussi fait valoir plus tôt cette semaine que des mesures trop contraignantes réduisant l’offre de vols auraient affecté le transport de biens. Les vols de passagers sont effectivement aussi utilisés pour transporter de la marchandise. Le transport de fret a représenté 26 % des revenus de l’industrie mondiale en 2020. Air Transat a indiqué au Devoir qu’un vol standard en Airbus A330 peut transporter de 5 à 15 tonnes de marchandises, en particulier des produits périssables ayant besoin d’être acheminés rapidement, comme le poisson.
M. Trudeau a indiqué vendredi que les vols vers le sud annulés n’auront pas un effet important sur la chaîne d’approvisionnement. « Il n’y a pas énormément de denrées ou de biens qui pourraient être affectés avec ces vols vers le sud, les destinations soleil, mais on est toujours en train de s’assurer que les déplacements essentiels puissent se faire. »
Les contaminations liées au coronavirus découlant d’un voyage demeurent très marginales. Selon les données de l’Agence de la santé publique du Canada, les cas reliés à des voyageurs (6734) représentent seulement 1,5 % des cas totaux dont l’origine a pu être déterminée. La vaste majorité de ces cas sont survenus en mars dernier au retour de la relâche scolaire (3963 cas). Il y a eu 486 cas reliés à des voyageurs en décembre, soit 0,4 % des cas de COVID recensés ce mois-là et pour lesquels on connaît la source de contamination. À titre de repère, quelque 271 000 personnes sont revenues de voyage pendant ce mois.
Avec Marie Vastel
En données
Québec a rapporté vendredi 1295 nouveaux cas de COVID-19 et a ajouté 50 décès au bilan. 9 décès sont survenus dans les dernières 24 heures, 35 entre le 22 et le 27 janvier et 6 avant le 22 janvier. Le nombre d’hospitalisations continue de diminuer. Elles ont reculé de 47 par rapport à jeudi, pour un cumul de 1217. Parmi ces patients, le nombre de personnes se trouvant aux soins intensifs a diminué de 3, pour un total de 209.
La Presse canadienne