
La liste quasi définitive des politiciens canadiens blâmés pour avoir voyagé

Tous ont en commun de siéger au Parlement, soit au fédéral, soit au provincial, et d’être actuellement sous les feux des projecteurs pour avoir voyagé à l’extérieur du pays, alors que les autorités publiques martèlent que l’on doit éviter les déplacements non essentiels. Les raisons de leur voyage varient, tout comme le moment de leur absence et, plus généralement, la légitimité de leur départ du pays en pleine deuxième vague de la pandémie mondiale de COVID-19.
Le Devoir a fait appel à deux spécialistes de l’éthique pour distinguer quels voyages représentent une entorse au principe selon lequel les élus doivent donner l’exemple à la population, et, au contraire, quelles sorties du pays sont justifiables.
Selon Daniel Weinstock, philosophe et directeur de l’Institut de recherche sur les politiques sociales et de santé de l’Université McGill, on doit d’abord observer la raison du voyage, puis se demander si les règles étaient clairement établies, tant par les autorités que par leur parti.
« On peut avoir un avis un peu plus sévère à l’endroit des gens qui sont partis tout en sachant qu’il fallait éviter les déplacements [et] qui voulaient simplement se changer les idées au bord de la plage », tranche le spécialiste de l’éthique, qui passerait l’éponge sur les voyages ayant pour but la réunification avec un conjoint (comme le député québécois Youri Chassin) ou la visite à un proche mourant (comme la députée fédérale Niki Ashton). Selon lui, les chefs de ces députés doivent aussi assumer une part de responsabilité s’ils n’ont pas édicté des règles claires sur les voyages hors du Canada. Finalement, il estime entre la fin de septembre et le début d’octobre le moment après lequel il n’était plus sage de voyager, compte tenu de l’imminence d’une seconde vague de COVID-19.
Exemplarité
Plus sévère, l’auteur et éthicien René Villemure s’en remet à la consigne, qui déconseille tout voyage. « Il n’y a personne [dans cette liste] qui est un délinquant solide. Compte tenu du fait qu’un élu doit être exemplaire, sauf lors de cas exceptionnels, j’aurais de la difficulté à dire qu’un seul de ces voyages était essentiel, et que ces cas [médiatisés] ne représentent pas des manques d’éthique. »
Il admet que certaines situations, comme la mort d’un proche, peuvent représenter des drames personnels et des situations très tristes. Mais puisque, dans une pandémie, « chaque petite délinquance met la population à risque », il croit que les plus hauts standards de l’éthique doivent s’appliquer aux élus. « Quand on est élu, ça suppose qu’on s’oublie un petit peu pour le bien public », conclut l’éthicien. Il place toutefois le moment à partir duquel un voyage ne devient plus acceptable à la fin du mois de novembre, estimation du moment où les gouvernements ont commencé à rappeler les consignes sur les voyages.
Au fédéral
Sameer Zuberi, député libéral de Pierrefonds—Dollard (Québec)
Voyage : du 18 au 31 décembre, au Delaware (États-Unis)
Raison du voyage : visite du grand-père de sa conjointe dont l’état de santé s’était détérioré
Conséquences : perte de ses responsabilités au sein de deux comités parlementaires
Kamal Khera, députée libérale de Brampton-Ouest (Ontario)
Voyage : du 23 au 31 décembre, à Seattle (États-Unis)
Raison du voyage : assister au service commémoratif pour son père et son oncle, décédés plus tôt dans l’année
Conséquences : perte de ses fonctions de secrétaire parlementaire de la ministre du Développement international
Alexandra Mendès, députée libérale de Brossard—Saint-Lambert (Québec)
Voyage : en juillet, au Portugal
Raison du voyage : régler des détails administratifs en lien avec la mort de la mère de son conjoint
Autorisation : Mme Mendès dit avoir avisé le whip libéral et le président de la Chambre des communes
Lyne Bessette, députée libérale de Brome—Missisquoi (Québec)
Voyage : en août, au Mexique
Raison du voyage : s’occuper des biens d’un parent hospitalisé
Patricia Lattanzio, députée libérale de Saint-Léonard—Saint-Michel (Québec)
Voyage : en septembre, en Irlande
Raison du voyage : aider sa fille à déménager
Ron Liepert, député conservateur de Calgary Signal Hill (Alberta)
Voyage : à deux reprises depuis mars, en Californie (États-Unis)
Raison du voyage : s’occuper d’une « réparation urgente » dans une propriété qu’il possède
David Sweet, député conservateur de Flamborough—Glanbrook (Alberta)
Voyage : date inconnue, États-Unis
Raison du voyage : une « question de propriété »
Conséquences : démission à présidence du comité parlementaire de l’éthique
Niki Ashton, députée néodémocrate de Churchill—Keewatinook Aski (Manitoba)
Voyage : fin décembre, en Grèce
Raison du voyage : visite à sa grand-mère malade
Conséquences : perte de son rôle de porte-parole pour les questions de transport et de langues officielles
À l'Assemblée nationale
Pierre Arcand, député libéral de Mont-Royal–Outremont
Voyage : durant les Fêtes, à la Barbade
Raison du voyage : tourisme
Conséquences : démis de ses fonctions au sein du cabinet fantôme du PLQ
Youri Chassin, député de la CAQ de Saint-Jérôme
Voyage : durant les Fêtes, au Pérou
Raison du voyage : visite à son mari, qu’il n’avait pas vu depuis un an
Autorisation : M. Chassin dit avoir obtenu l’approbation du whip et du bureau du premier ministre
Dans les législatures provinciales du reste du pays
Rod Phillips, (ex-)ministre des Finances de l’Ontario
Voyage : du 13 au 31 décembre, Saint-Barthélemy (Antilles françaises)
Raison du voyage : tourisme
Conséquences : a perdu son poste de ministre du gouvernement Ford
Joe Hargrave, ministre des Transports de la Saskatchewan
Voyage : depuis le 22 décembre, en Californie (États-Unis)
Raison du voyage : vente d’une propriété
Conséquences : a perdu son poste de ministre du gouvernement Moe
Tracy Allard, ministre des Affaires municipales de l’Alberta
Voyage : en décembre, à Hawaï (États-Unis)
Raison du voyage : congé du temps des Fêtes en famille
Conséquences : perte de son poste de ministre du gouvernement Kenney
En plus, 5 députés albertains du Parti conservateur uni de Jason Kenney ont dû démissionner ou ont perdu leurs responsabilités parlementaires pour avoir eux aussi voyagé à l’extérieur du Canada. Il s’agit des députés Jeremy Nixon, Jason Stephan, Tanya Fir, Pat Rehn et Tany Yao. Le chef de cabinet du premier ministre de l’Alberta, Jamie Huckabay, a également dû présenter sa démission, lundi, après avoir été sous le feu des critiques pour un voyage en Grande-Bretagne.
Avec Hélène Lequitte et La Presse canadienne