Trudeau ne veut pas serrer la vis aux voyageurs

Ne partez pas : Justin Trudeau a ajouté mercredi sa voix à celles de François Legault et de Doug Ford en Ontario en invitant fortement les Canadiens à ne pas voyager à l’extérieur du pays pendant la période des Fêtes. Mais il n’a pas répondu à leurs demandes d’instaurer des tests de dépistage obligatoires dans les aéroports. Et il n’envisage pas non plus d’interdire aux citoyens de quitter le Canada.
« Vous ne devriez pas voyager à l’étranger en ce moment, a déclaré M. Trudeau en point de presse mercredi. Les aéroports ne devraient pas être achalandés. Si vous avez réservé un voyage, repensez-y. Même si vous partez en vacances à l’étranger chaque année, les circonstances sont bien différentes présentement. »
M. Trudeau réagissait ainsi aux reportages des derniers jours faisant état de Québécois téméraires partis malgré la pandémie se faire dorer au soleil des Caraïbes. Mais même s’il est « effectivement préoccupé par le nombre de gens qui considèrent d’aller dans le Sud », le premier ministre estime qu’il n’y a pas lieu de renforcer les mesures qui sont imposées aux voyageurs de retour : elles sont parmi les « plus strictes au monde », a-t-il fait valoir.
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Lorsque les voyageurs arrivent ou reviennent au Canada, ils se font interroger par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui est aussi « formé pour observer les signes visibles de la maladie ». Les questions de contrôle sanitaire incluent de savoir où la personne entend passer sa quarantaine.
Toutes les personnes qui entrent au Canada doivent ensuite s’isoler ou se mettre en quarantaine pendant 14 jours (selon qu’ils ont des symptômes ou pas). Mais les voyageurs respectent-ils tous la consigne dument signifiée à l’aéroport ? C’est l’une des craintes exprimée par Québec dans les derniers jours.
C’est l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) qui est chargée de faire le suivi des voyageurs — aidée notamment par la Gendarmerie royale du Canada. Concrètement, les agents de contrôle effectuent des appels téléphoniques de « vérification de conformité » auprès des voyageurs. Les forces de l’ordre, quant à elles, font des « visites de conformité », qui consistent à s’assurer que la personne est bien à l’endroit désigné.
Ces appels et visites peuvent survenir à tout moment, mais ils ne sont pas systématiques.
Selon l’ASPC, un total de 123 contraventions et 200 avertissements ont été donnés à travers le pays depuis le 25 mars.
Ne pas interdire
Aux yeux de Justin Trudeau, cet ensemble de mesures est donc suffisant. Et il n’est pas question de régler une partie du problème à la source et d’interdire aux Canadiens de quitter le pays, a confirmé son entourage mercredi — le premier ministre avait esquivé la question en point de presse.
Il faut savoir qu’un tel interdit contreviendrait à la Charte canadienne des droits et libertés, dont l’article 6 garantit que « tout citoyen a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir ».
Le constitutionnaliste Benoît Pelletier rappelle toutefois que le droit de quitter le pays n’est pas inattaquable : une loi ou un décret pourrait le limiter. Il faudrait alors invoquer l’article 1 de la Charte, qui permet la suspension des droits d’une manière « raisonnable », si l’on peut démontrer qu’il existe un motif « réel et urgent » pour agir ainsi.
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Les offres de voyages au rabais abondentMais vu le faible nombre de contaminations recensées à la COVID-19 qui sont imputables à des voyageurs, M. Pelletier doute que les tribunaux iraient de l’avant. Ceux-ci seraient « exigeants, parce que le droit de quitter le pays est un droit encore plus fondamental » que ne l’était, par exemple, celui de ne pas porter un masque, dit-il.
Selon Ottawa, seulement 1,8 % de tous les cas de COVID-19 recensés au pays sont le fruit d’un retour de l’étranger, alors que 98,2 % découlent d’une contamination communautaire.
Concernant la demande de Québec et de Toronto pour qu’Ottawa impose dans les aéroports un test de dépistage rapide à tous les voyageurs, Justin Trudeau a rappelé que le fédéral a déjà des discussions avec les deux provinces pour « envisager d’introduire ces protocoles de tests rapides ».
Projet pilote
Un projet pilote est en cours à l’aéroport international de Calgary : les voyageurs passent un test rapide et demeurent en quarantaine 24 ou 48 heures, le temps d’obtenir leur résultat. Si le test est négatif, ils peuvent sortir de quarantaine, mais doivent se faire tester une seconde fois au sixième jour de leur retour. En cas de deuxième résultat négatif, ils n’ont plus de quarantaine à respecter. Les résultats préliminaires de ce projet pilote font état d’un taux de positivité combiné aux deux tests de 1,15 %.
Au cabinet de François Legault, on indique que les « discussions [sur les tests rapides] se passent bien »… mais qu’il est trop tôt pour envisager un échéancier. « Notre premier objectif, c’est de s’assurer que les gens font leur quarantaine obligatoire, et que les suivis sont faits », dit-on.
Québec reste flou sur les mesures qui pourraient être prises si les réponses d’Ottawa et de l’ASPC ne sont pas suffisantes. « S’ils ne peuvent pas mettre en œuvre les ressources nécessaires pour le suivi de cette quarantaine et que ceci entraîne des menaces au sens de la Loi sur la santé publique, le Québec peut déployer les mesures nécessaires », affirmait mercredi le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.
En Ontario, le premier ministre Ford est allé plus loin lundi en disant avoir « demandé à [ses] fonctionnaires de commencer à préparer l’infrastructure nécessaire pour tester aux aéroports ». « J’espère que nous n’aurons pas à agir seuls, mais nous sommes prêts à le faire s’il le faut. »
Les aéroports étant de juridiction fédérale, l’Ontario n’aurait pas autorité pour faire passer des tests aux voyageurs avant qu’ils franchissent les douanes. Il faudrait donc trouver un moyen de les intercepter après, une fois qu’ils ont quitté la zone contrôlée, ce qui serait plus compliqué.