Les camionneurs sikhs devront porter le casque au port de Montréal

Les camionneurs sikhs portant le turban devront se coiffer d’un casque de protection pour charger et décharger leur cargaison au port de Montréal.
Photo: CMM Les camionneurs sikhs portant le turban devront se coiffer d’un casque de protection pour charger et décharger leur cargaison au port de Montréal.

C’est la fin d’une longue saga judiciaire au port de Montréal. Les camionneurs sikhs portant le turban devront bel et bien se coiffer d’un casque de protection pour y charger et décharger leur cargaison. L’obligation de porter le casque brime peut-être leur liberté religieuse, mais cet accroc est justifié par les impératifs de sécurité.

La Cour suprême du Canada a en effet refusé jeudi matin d’entendre la cause de trois camionneurs sikhs, faisant en sorte que le jugement rendu en 2016 par la Cour supérieure du Québec – et confirmé en Cour d’appel par la suite — prévaut. Comme cela est son habitude, le plus haut tribunal du pays n’a pas fourni d’argumentaire en appui de sa décision.

L’affaire remonte à juillet 2005. La Montreal Gateway Terminals (MGT), qui opère des terminaux au port de Montréal, rend obligatoire le port du casque pour toute personne circulant hors de son véhicule. Trois camionneurs portant le turban sikh et refusant d’y superposer un casque intentent une poursuite contre MGT l’année suivante au motif que leurs croyances religieuses sont brimées.

MGT avait mis en place une mesure d’accommodement : elle permettait aux camionneurs sikhs de demeurer dans leur véhicule et d’appeler un vérificateur pour qu’il procède à leur place à l’identification du conteneur devant être récupéré puis guide la grue pendant la récupération. Mais comme le vérificateur n’était pas toujours disponible, l’opération d’une durée habituelle de 10 à 20 minutes s’en trouvait prolongée de jusqu’à deux heures.

Dans son jugement rendu en septembre 2016, la Cour supérieure du Québec avait tranché que « bien que les demandeurs aient démontré une atteinte plus que négligeable ou insignifiante à leur droit à la liberté de religion, cette entrave est justifiée » au nom de la disposition de la charte québécoise des droits et libertés prévoyant que les droits doivent s’exercer dans le respect de « l’ordre public » et du « bien-être général ». « Les effets bénéfiques de la Politique, soit assurer la sécurité des personnes travaillant aux terminaux [de MGT], surpassent les effets préjudiciables subis par les demandeurs, soit le port du casque protecteur pendant les cinq à dix minutes où ils circulent à pied pendant leur présence au port lors d’un transport ou, alternativement, leur décision de ne plus effectuer de transport de conteneurs aux terminaux exploités par les défenderesses », avait écrit le juge André Prévost.

Ce jugement devient donc final.

 

Pas de surprise

L’avocate représentant MGT, Justine Laurier, dit ne pas être surprise par le refus du plus haut tribunal du pays de se pencher sur cette cause. « La jurisprudence est constante », dit-elle au Devoir. Non pas qu’il y a eu beaucoup de causes relatives au port du casque par des Sikhs en situation portuaire : il y a eu seulement un jugement arbitral (favorable au port du casque obligatoire) rendu en 2006 en Colombie-Britannique. C’est plutôt la façon dont la charte québécoise a été appliquée à la cause qui respecte les précédents, selon l’avocate.

L’avocat des plaignants, Julius Grey, s’est montré philosophe dans la défaite. « Il faut accepter que ce n’est pas la question qui prédomine dans notre monde juridique aujourd’hui. […] Je ne sais pas si les accommodements raisonnables sont réglés pour toujours, car on ne sait jamais, mais si on regarde, dans les années 1980, 1990 et 2000, il y avait un grand nombre de ces causes […] et il y en a moins maintenant. »

Me Grey avait aussi défendu la cause du jeune Gurbaj Singh Multani, qui réclamait le droit de porter son kirpan – le couteau cérémonial des sikhs — à l’école. Il avait remporté sa bataille en Cour suprême en 2006. Selon Me Grey, « le degré de danger était à peu près semblable » dans les deux situations. Dans un cas, un élève aurait théoriquement pu être blessé par le couteau, dans l’autre, le camionneur aurait pu théoriquement recevoir un objet lourd sur la tête. « Il n’y avait pas de cas de problème. C’était un danger qui pourrait théoriquement [arriver], tout le monde peut l’imaginer, mais il n’y avait pas de preuve empirique de danger. » Selon lui, le fait que la Cour ait penché d’un côté en 2006 et de l’autre en 2020 démontre que dans les deux cas, « on était assez près de la frontière », soit que la cause aurait pu être tranchée en faveur de l’une ou l’autre des parties.

Me Laurier n’est pas d’accord. « Dans la cause Multani, il n’y avait pas de rapport qu’il y avait des blessures en raison du kirpan dans la commission scolaire ou dans l’école. Et le contexte global est différent. Dans un contexte scolaire, les gens se connaissent, il y a une supervision, c’est beaucoup plus encadré que dans un contexte de terminaux maritimes où c’est un free for all. C’est une fourmilière. […] Dans notre cas, il y avait des statistiques qu’il y a des blessures à la tête. »

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