Justin Trudeau sert un avertissement aux États-Unis

Justin Trudeau hausse le ton contre les États-Unis, qui essaient de jouer les durs dans la quête du matériel médical. Le premier ministre prévient que ce serait « une erreur » si Washington confirmait la fin des exportations de masques N95 au Canada. Une menace à l’approvisionnement canadien qui s’ajoute à la surenchère à laquelle se livrent les États-Unis en rapatriant chez eux tout l’équipement possible pour lutter contre le coronavirus.
L’entreprise américaine 3M a révélé vendredi que le gouvernement américain lui a demandé de cesser d’exporter les masques N95 qu’elle produit vers le Canada et l’Amérique latine. Le décret lui ordonne également de rapatrier aux États-Unis davantage de ses masques fabriqués à l’étranger.
M. Trudeau ne s’est pas gêné pour rappeler que de nombreuses infirmières et des produits médicaux essentiels traversent tous les jours la frontière canado-américaine entre Windsor et Détroit.
« Ce serait une erreur pour nos deux pays de limiter l’accès de l’un et de l’autre à des produits et du personnel nécessaires de l’autre côté de la frontière. C’est ce qu’on est en train de souligner très clairement au gouvernement américain », a averti M. Trudeau.
Le Canada tente de peine et de misère d’éviter des pénuries d’équipement médical et de protection personnelle. Ottawa a commandé 65 millions de masques N95, dont un nombre non révélé auprès de l’entreprise 3M. En coulisses, on décrit 3M comme un « fournisseur important » pour le Canada.
Représailles possibles
L’entreprise 3M a elle-même évoqué les « conséquences humanitaires importantes » si elle cessait d’envoyer ses masques au Canada et en Amérique latine, pour qui la compagnie s’est qualifiée de « fournisseur essentiel ».
« De plus, cesser toute exportation des masques produits aux États-Unis mènerait probablement d’autres pays à riposter et à faire de même, comme l’ont déjà fait certains d’entre eux. Si cela se produisait, dans les faits le nombre de masques rendus disponibles pour les États-Unis diminuerait », prévient en outre la compagnie dans une déclaration écrite.
M. Trudeau n’a pas été jusqu’à expliciter une telle menace de riposte. Sa vice-première ministre Chrystia Freeland a préféré répéter comme lui que jusqu’à présent Ottawa et Washington ont réussi à régler leurs différends en marge de l’épidémie de COVID-19.
« Mais je veux assurer aux Canadiens que notre gouvernement […] est prêt à faire tout ce qu’il faut pour défendre l’intérêt national », a-t-elle averti.
Ford exprime sa déception
Le premier ministre ontarien, Doug Ford, qui attend la livraison d’une demande de « quelques millions » de masques N95 de chez 3M, n’a pas caché sa colère.
« Je ne peux pas dire assez à quel point je suis déçu de la décision du président Trump, a-t-il scandé. Je comprends. Il se dit qu’il faut qu’il s’occupe de son monde. Mais nous sommes connectés. Mais plus jamais, je ne serai dépendant du président Trump, d’un premier ministre ou d’un président d’aucun pays. »
La compagnie 3M n’a pas précisé si elle obtempérerait à la demande du président Trump ou non.
Le gouvernement américain a invoqué sa Loi sur la protection de défense pour ordonner à 3M de traiter en priorité les commandes nationales de masques N95 — qui sont en demande partout dans le monde, puisqu’ils permettent de bloquer les particules du coronavirus.
Cette stratégie de Washington est permise en vertu des règles du commerce international. « La plupart des pays détestent cela, mais c’est permis », consent Richard Ouellet, spécialiste de droit international économique à l’Université Laval.
Chaude lutte
Les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de la plupart des autres accords de libre-échange (y compris l’ALENA), permettent d’établir des restrictions temporaires lorsqu’une pénurie frappe des produits essentiels. Et puisque la définition de ce qui constitue une pénurie ou un produit essentiel est largement laissée aux pays qui invoquent cette clause, ces derniers peuvent le faire sans trop de contraintes, note M. Ouellet.
Avant même ce différend au sujet du fournisseur 3M, les États-Unis livraient aussi une chaude lutte contre le reste du monde en payant le prix fort pour acquérir les équipements médicaux nécessaires pour combattre la pandémie.
Contrarié par la situation, M. Trudeau tentait déjà de convaincre Washington de jouer franc-jeu. La situation ne semblait pas encore réglée vendredi. « Nous allons toujours faire des suivis sur les préoccupations sur les livraisons. Mais pour l’instant, on a confiance qu’on continue à recevoir ce dont on a besoin. »