L'heure juste: une bouffée d'oxygène financier venant d'Ottawa

Le premier ministre Justin Trudeau
En moins de dix jours, le gouvernement fédéral a présenté, revu et bonifié ses programmes d’aide directe aux travailleurs et aux entreprises affectés par la pandémie de COVID-19. Si on doutait de l’accélération de la crise, les chiffres illustrent bien son ampleur. Le coût anticipé de ce soutien direct est passé de 27 milliards, le 18 mars, à environ 52 milliards jeudi et à au-delà de 65 milliards vendredi.
À chaque étape, le gouvernement a resserré les mailles du filet. Après avoir allégé les conditions de l’assurance-emploi (AE), il a proposé il y a une semaine deux allocations pour aider tous ceux n’ayant pas droit à l’AE. Jeudi, ces deux allocations, avec leurs conditions différentes, étaient jumelées, leurs critères assouplis et les montants augmentés. La nouvelle Prestation canadienne d’urgence (PCU), qui offre 2000 $ par mois pendant quatre mois, visera plus large. En fait, quiconque a plus de 15 ans, a eu des revenus d’au moins 5000 $ l’an dernier et se retrouve depuis 14 jours consécutifs sans revenus à cause de circonstances liées à la COVID-19 devrait pouvoir y avoir droit.
Mais libellée de la sorte, la mesure exclut les travailleurs acceptant de travailler quelques heures par semaine. Et si on s’en tient au texte de la loi adoptée aux Communes, seraient aussi exclues les personnes qui quittent volontairement leur emploi parce que leur milieu de travail n’est pas sécuritaire ou parce que leur employeur refuse de leur donner congé pour prendre soin des enfants. Les règlements, critères et formulaires nous diront si c’est bien le cas, mais les réponses restent confuses pour l’instant.
Vendredi, le gouvernement a répondu aux appels du milieu des affaires et de plusieurs syndicats en offrant une subvention salariale plus généreuse. De 10 %, elle passera à 75 % de la masse salariale des entreprises admissibles. On n’en sait pas beaucoup plus. Le gouvernement « espère », selon le premier ministre Justin Trudeau, clarifier d’ici lundi toutes les modalités, dont la définition des entreprises admissibles. L’annonce, elle, servait à alerter les entreprises afin de freiner les licenciements.
Le gouvernement tient à ce que les entreprises maintiennent le plus possible le lien d’emploi avec leurs salariés afin de pouvoir redémarrer dès que la situation le permettra. La PCU, par exemple, n’exige pas qu’une personne soit mise à pied pour en profiter, seulement qu’elle ne reçoive plus de salaire, ce qui répond, explique-t-on, aux besoins de très petites entreprises qui n’ont même pas les moyens de payer 25 % des salaires. La subvention salariale permettra, pour sa part, à un employeur capable de combler l’écart de vraiment garder son personnel ou encore de maintenir une partie des opérations essentielles de son entreprise.
Professeur à l’Université de Sherbrooke et chercheur en fiscalité et finances publiques, l’économiste Luc Godbout attend de voir les règlements et la mise en œuvre des différents programmes avant de porter un jugement définitif sur la performance du gouvernement. Sa première réaction est toutefois positive. En plus des deux mesures citées plus haut, elle prévoit, pour les petites et moyennes entreprises, des prêts sans intérêts pour un an, le report des versements de TPS / TVQ et d’impôt et ainsi de suite. Tout cela permet de répondre au besoin urgent de liquidités des entreprises. Avec la subvention salariale, note-t-il, on réduit aussi la pression sur les programmes de l’AE et de la PCU.
Avec la PCU, les citoyens peuvent de leur côté se plier aux exigences de la santé publique sans être étranglés financièrement. Mais ce n’est pas parfait et cela pourrait prendre encore deux semaines avant que les gens reçoivent leur première prestation.
Il aurait été évidemment plus simple d’envoyer un chèque à tout le monde, comme le suggérait le NPD, mais la facture aurait été « salée », explique-t-on en privé, dans l’entourage du président du Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos. « Cela n’était pas envisageable, cela n’aurait pas eu de sens pour l’avenir. Cette crise va prendre fin et il faudra pouvoir aider les gens à reprendre pied. »
Luc Godbout note que si l’atteinte de l’équilibre budgétaire n’est pas dans le viseur du gouvernement Trudeau, cela ne va pas dire que le trésor public soit un puits sans fond. « Il faut agir, mais il faut être le plus efficace possible avec chaque dollar dépensé. Envoyer un chèque à tout le monde voudrait dire en verser à des gens qui n’en ont pas besoin et, surtout, de verser des montants plus petits. Le vrai enjeu est de bien cibler ceux qui ont perdu leurs revenus et d’être plus généreux avec eux. »
Une critique fréquente est le temps qu’il faudra attendre pour bénéficier de cette aide. Luc Godbout se montre un peu plus indulgent. Le défi d’un gouvernement en situation de crise — et celle-ci est d’une complexité inouïe — est « d’arriver à faire beaucoup d’arbitrages dans un contexte où tout évolue très vite », explique l’économiste, rappelant au passage qu’il y a seulement 17 jours, c’était le budget du Québec qui faisait les manchettes. « Si le gouvernement avait offert 2000 $ par mois il y a deux semaines, on l’aurait accusé d’être trop généreux. Les gouvernements naviguent à vue dans des situations comme celle-là et doivent chercher un équilibre entre l’équité et la simplicité afin de pouvoir mettre en œuvre aussi rapidement que possible de nouveaux programmes complexes. »
Dans une version précédente de ce texte, paru le 28 mars 2020, le professeur Luc Godbout est erronément identifié à quelques reprises Luc Dupont. Il s’agit bien tout au long de M. Godbout. Nos excuses.