La situation s’envenime sur les rails du pays

À Kahnawake, les manifestants ont renforcé leur barrage en faisant livrer des chargements de gravier sur la route qui mène au blocus.
Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne À Kahnawake, les manifestants ont renforcé leur barrage en faisant livrer des chargements de gravier sur la route qui mène au blocus.

Alors qu’Ottawa a espéré en vain toute la journée pouvoir enfin entamer ses discussions avec les chefs héréditaires de la nation wet’suwet’en mercredi, ceux-ci ont annulé en soirée la rencontre prévue jeudi. Ailleurs au Canada, la situation s’est envenimée. Les manifestants mohawks de Kahnawake ont renforcé leur barrage érigé en appui à ces leaders autochtones, tandis que ceux de Tyendinaga ont incendié la voie ferrée.

Le CN a tenté de reprendre son trafic de marchandises entre Ottawa et Toronto, deux jours après le démantèlement d’un premier barrage à Tyendinaga lundi. Mais des manifestants ont allumé deux feux sur la voie ferrée, certains ont lancé des projectiles en direction des wagons, et d’autres se sont mis eux-mêmes sur la voie pour ne s’en retirer qu’à la toute dernière minute à l’arrivée d’un train.

La Police provinciale de l’Ontario était sur place, postée d’un côté de la voie ferrée — qui n’est pas en territoire autochtone — en face de manifestants mohawks qui tenaient le fort de l’autre côté des rails. Les agents ne sont pas intervenus.

Le premier ministre Justin Trudeau a dénoncé, à Ottawa, des gestes « inacceptables ». Son ministre des Transports, Marc Garneau, a renchéri en les qualifiant d'« extrêmement dangereux »et « totalement irresponsables », car ils auraient pu être dramatiques si les trains visés avaient transporté des matières inflammables.

Kahnawake armée ?

À 350 km de Tyendinaga, dans la communauté de Kahnawake, les manifestants étaient nombreux — peut-être une quarantaine en fin d’avant-midi — et ils ont renforcé leur propre barrage en faisant livrer par camion des chargements de gravier sur la route qui mène au blocus.

Au 17e jour de ce barrage, les médias ont une fois de plus été tenus à l’écart. Le Devoir n’a constaté la présence d’aucune force policière en cours de journée — ni mohawk, ni provinciale.

Le premier ministre François Legault a allégué que c’était parce que des Warriors de la réserve ont en main des armes d’assaut que la Sûreté du Québec tarde à intervenir.

« On a des renseignements qui nous confirment qu’il y a des armes, des AK-47 pour les nommer, donc des armes très dangereuses », a-t-il avancé. « On essaie de trouver quelqu’un pour signifier l’injonction. La SQ a un plan pour démanteler, mais évidemment, il y a des gens qui sont armés et c’est très délicat. »

Une allégation qu’a réfutée le conseil de bande de Kahnawake, en accusant M. Legault d’enflammer la situation. « Il n’y a pas d’AK-47 ici sur la barricade », a rétorqué le secrétaire de la nation mohawk, Kenneth Deer, selon La Presse canadienne.

« S’il y a des carabines à plomb ou des .22 ou des fusils de chasse dans la ville ou ailleurs, nous ne pouvons le dire », a-t-il cependant affirmé.

Le territoire autochtone se trouve sous juridiction des Peacekeepers, et non pas de la SQ. Si les Peacekeepers ne sont pas en mesure d’y maintenir l’ordre et la sécurité, ou s’ils sont dépassés par les événements, ils peuvent demander l’aide de la police provinciale, explique l’ancien directeur adjoint de la SQ Marcel Savard.

Mais il précise que l’État et la police provinciale disposent aussi d’une certaine marge de manoeuvre pour intervenir sans y être invités.

« Si un service de police est incapable de faire sa job pour une raison ou une autre, il est évident que le ministre de la Sécurité publique et le gouvernement peuvent dire à la SQ de prendre le relais tant que le problème ne sera pas réglé », relate M. Savard au Devoir.

Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair, s’est montré du même avis, en ajoutant que les tribunaux peuvent ajouter des conditions à une injonction afin de la faire respecter.

Marcel Savard nuance toutefois la situation qui est loin d’être assez critique à Kahnawake pour que la SQ s’en mêle sans la collaboration des Peacekeepers. Il faudrait pour ce faire, selon lui, que des vies soient en danger. Pour l’instant, les résistants subissent de la pression, mais ne sont pas en confrontation physique avec qui que ce soit, explique l’ex-policier. « Le premier ministre peut donner des indications, mais c’est la SQ qui va décider. »

Le manifestant Taiaiake Alfred croit quant à lui que la SQ hésite à intervenir parce que l’appui de la population a changé depuis la crise d’Oka.

« J’étais dans le coin en 1990 et, en tant qu’éducateur et activiste politique pendant plus de 30 ans, je vois un changement clair. À l’époque, c’était nous contre tout le monde. Maintenant, il y a une armée de jeunes Blancs, de jeunes Canadiens, qui nous soutient. Et qui réalise que ce n’est pas juste une lutte autochtone. »

En attendant les chefs

 

Pendant ce temps, à Ottawa, le gouvernement de Justin Trudeau a passé la journée à laisser présager une entente avec les chefs héréditaires wet’suwet’en qui sont au coeur de toute cette crise.

Les ministres prédisaient une sortie de crise : que les chefs s’étaient entendus avec la GRC quant à sa présence sur leur territoire et qu’ils inviteraient les ministres à une rencontre dès ce jeudi.

Or, en fin de soirée, les chefs héréditaires ont retiré cette option. La ministre des Relations Couronne-Autochtones avait dit espérer, en cours de journée, que les chefs acceptent d’inviter les nations qui les appuient à démanteler leurs barricades pour permettre aux pourparlers de débuter.

« On ne peut pas faire ça », a affirmé le chef Na’Moks à Radio-Canada. « Nous en avons parlé aux autres nations et elles nous ont dit qu’elles prenaient leurs propres décisions », a fait valoir le chef en se disant d’accord avec ces communautés mohawks qui ont des barrages en Ontario et au Québec.

Le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan, a parlé d’un dénouement « regrettable » sur Twitter et dit toujours espérer une rencontre avec les chefs et Ottawa.

La majorité des conseils de bande élus appuient le projet de gazoduc Coastal GasLink, mais certains des chefs héréditaires s’y opposent, car il traverserait leur territoire. Ces derniers réclament que la GRC — qui est la police provinciale en Colombie-Britannique — retire son poste de commandement de leur territoire (ce qui a été fait), que la police y cesse de patrouiller et que les travaux de Coastal GasLink soient cessés.

Avec Isabelle Porter



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