Le projet de loi de Rona Ambrose ressuscité… mais bloqué par les conservateurs

Le gouvernement Trudeau est revenu à la charge pour obliger les juges fédéraux à suivre des formations sur les agressions sexuelles, en reprenant à son compte le projet de loi de l’ancienne conservatrice Rona Ambrose. La nouvelle mouture du projet prend même acte des critiques dont il avait fait l’objet. Mais son étude expéditive a été refusée par nul autre que les anciens collègues de Mme Ambrose.
« La partisanerie n’a pas raison d’être lorsque nous parlons de protection des victimes d’actes criminels et, dans le cas qui nous préoccupe aujourd’hui, des victimes d’agression sexuelle », a rappelé le ministre de la Justice David Lametti mardi, en présentant le projet de loi C-5. Rona Ambrose avait même fait le voyage jusqu’à Ottawa pour être à ses côtés et sommer tous les députés et sénateurs d’adopter cette seconde version de son propre projet de loi privé C-337. Déposé il y a trois ans et adopté à l’unanimité aux Communes, il est cependant mort au feuilleton au Sénat avec l’élection.
L’ancienne cheffe intérimaire du Parti conservateur a rappelé que tous les partis fédéraux ont promis en campagne électorale de reprendre son initiative législative. « Je crois que ce projet de loi a démontré que cet enjeu est au-dessus de la politique de parti », a-t-elle clamé, optimiste. Or, à peine quelques heures plus tard, les députés conservateurs aux Communes ont refusé d’accorder leur consentement unanime à ce que le projet de loi C-5 soit expédié au Sénat immédiatement et que son étude aux Communes soit exemptée.
« Il n’y a aucune raison de retarder tout ça », a déploré le chef néodémocrate Jagmeet Singh, qui avait proposé cette idée. Le Bloc québécois l’appuyait, tout comme le gouvernement libéral qui a déposé le C-5. Mais les conservateurs ont refusé, en prétextant qu’ils veulent désormais profiter du retour du projet de loi en Chambre pour l’amender et y obliger aussi les agents et les commissaires de libération conditionnelle à suivre une formation sur les mythes et les stéréotypes liés aux plaintes pour agression sexuelle.
Lacunes corrigées
Le ministre Lametti propose, avec son projet de loi C-5, une formation pour les juges fédéraux qui tient compte des critiques émises lors de l’étude de l’ancien C-337 par le Conseil canadien de la magistrature (CCM), l’Association du Barreau canadien et des sénateurs.
Ainsi, la formation ne serait plus imposée à tout aspirant juge. Les candidats à la magistrature s’engageraient plutôt à suivre une formation continue, s’ils sont nommés, sur les « questions liées au droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social ». Le CCM s’était inquiété qu’une formation imposée à tous les candidats soit trop onéreuse étant donné que seuls 10 % des postulants sont nommés juges.
Le ministre Lametti a en outre estimé que ce changement répondrait aux craintes d’une atteinte à l’indépendance judiciaire, puisque les candidats à la magistrature s’engageraient volontairement à suivre la formation plutôt que d’y être ordonnés par une loi fédérale.
Le C-5 n’exige plus non plus que le CCM rapporte chaque année le nombre de causes d’agression sexuelle qui ont été présidées par un juge n’ayant pas suivi ce type de formation.
Les juges sont encore sommés d’expliciter les raisons de leurs décisions, mais il n’est plus exigé que ce soit par écrit. L’Institut national de la magistrature s’était inquiété que cela engendre des délais aux tribunaux déjà surchargés, a expliqué la juge Adele Kent au Devoir.
Le CCM et l’ABC n’ont pas voulu commenter le projet de loi à chaud mardi.
Le sénateur indépendant Pierre Dalphond, qui avait participé à l’amendement du projet de loi de Mme Ambrose, s’est dit « très satisfait » de la nouvelle version « parce qu’elle tient compte de tous les amendements que le Sénat a proposés ». Cet ancien juge « n’anticipe plus de problèmes au niveau du Sénat », où le C-337 avait poireauté pendant deux ans.
Puisque la majorité du Sénat est maintenant composée de trois caucus d’indépendants, il est difficile de prévoir de quelle façon ces sénateurs voteront le moment venu. Le leader des conservateurs au Sénat, Don Plett, n’a quant à lui pas précisé sa position en indiquant que le C-5 venait à peine d’être déposé.