L'eau potable promise aux autochtones ne passera pas «nécessairement» par le robinet

L’« eau potable de qualité » promise par le gouvernement Trudeau aux communautés autochtones du pays ne coulera pas « nécessairement » du robinet, a admis mardi le ministre fédéral des Services aux Autochtones, Marc Miller, dans un entretien avec Le Devoir.
« L’engagement du gouvernement, c’est d’avoir de l’eau potable qui est accessible », a-t-il déclaré. « La question que vous me posez, c’est si cette eau potable, c’est un accès au robinet. Et [à] ça, la réponse, c’est que ce n’est pas nécessairement le cas », a-t-il reconnu.
Et pourtant. Dans sa plateforme électorale 2019, le Parti libéral du Canada notait que « de nombreuses communautés autochtones ne peuvent toujours pas boire l’eau du robinet ou prendre un bain ». « Cela doit changer », promettait le parti.
En 2017, la ministre Carolyn Bennett formulait une promesse semblable aux leaders de l’Association des Premières Nations (APN). « Vous devriez avoir les mêmes droits que nous, au centre-ville de Toronto, ouvrir le robinet et y boire l’eau ; y baigner vos enfants sans danger », avait-elle déclaré.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement Trudeau a investi deux milliards afin de lever les avis à long terme sur la qualité de l’eau potable dans les communautés autochtones. La levée de la totalité de ces avis, d’ici le printemps 2021, est au cœur du mandat du ministre Miller.
À ce jour, 87 avis ont été levés, tandis que 58 autres sont encore en vigueur.
Avis levés, eau contaminée
Or, si 87 nouvelles communautés apparaissent en vert sur la carte mise en ligne par Services aux Autochtones Canada, cela ne veut pas dire que l’eau qui s’y retrouve n’est plus contaminée. Seuls les systèmes publics d’eau potable, situés dans des communautés « reconnues » par Ottawa, sont comptabilisés. Dans des communautés comme celle de Kitigan Zibi, voisine de Maniwaki, la moitié des résidents doivent donc encore s’approvisionner en bouteilles d’eau puisque leurs puits, individuels, ne sont pas visés par les mesures d’Ottawa.
Et puis, les standards du gouvernement Trudeau sont remis en question par certaines communautés de l’ouest du pays, qui poursuivent Ottawa en réclamant l’accès à de l’eau aussi « potable » que celle que l’on retrouve ailleurs au Canada — et donc dénuée de coliformes ou d’odeurs nauséabondes.
« Évidemment, les bouteilles d’eau, ce n’est pas une solution à long terme », a déclaré Marc Miller. « Pour moi, [le répertoire sur les avis d’ébullition d’eau] représente quelque chose qui existe, qui n’aurait jamais dû arriver. C’est clair qu’il restera, après mars 2021, beaucoup de travail à faire », a-t-il reconnu.
La loi du Québec n’est pas caduque
Marc Miller s’est par ailleurs engagé à faire des demandes pour le budget 2020 afin d’associer du financement à sa Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuit et des Métis (C-92), qui doit permettre aux Autochtones d’assumer leurs pleines compétences au chapitre des services à l’enfance et à la famille. À l’APN, qui estime que la loi devrait être assortie d’un montant de 3,5 milliards sur 5 ans, le ministre a réclamé des « justifications » afin de faire les recommandations nécessaires à ses collègues.
« Il y aura certainement des conversations difficiles avec les provinces, avec les communautés », a avancé le ministre.
Déjà, les relations sont tendues : Québec s’est adressé en décembre à la Cour d’appel afin de contester la constitutionnalité de cette loi, qui empiète à son avis sur ses compétences exclusives.
La Loi québécoise sur la protection de la jeunesse (LPJ) autorise le Québec à conclure des ententes établissant des « régimes particuliers de protection de la jeunesse » avec des nations autochtones. En 2018, le Conseil de la Nation atikamekw s’est ainsi affranchi de la DPJ en prenant en charge ses services de protection de la jeunesse.
Or, malgré ces provisions, Ottawa a souhaité faire appliquer C-92 au Québec pour « établir un standard national minimal pour la protection de l’enfance », a expliqué Marc Miller. À son avis, la loi fédérale ne rend pas les dispositions de la LPJ caduques. « Dans la mesure où ça protège le jeune Autochtone mieux que le standard qui a été établi au fédéral, je ne vois pas pourquoi [ce serait le cas] », a-t-il avancé.