Trudeau irrite Trump… de nouveau

Mercredi, Justin Trudeau s’est approché de Donald Trump, apparemment pour s’expliquer sur la vidéo de la veille, mais le président des États-Unis n’a pas paru souhaiter prolonger l’échange avec le premier ministre canadien.
Photo: Nicholas Kamm Agence France-Presse Mercredi, Justin Trudeau s’est approché de Donald Trump, apparemment pour s’expliquer sur la vidéo de la veille, mais le président des États-Unis n’a pas paru souhaiter prolonger l’échange avec le premier ministre canadien.

Justin Trudeau a le don d’irriter Donald Trump dans les sommets internationaux. Celui que le président américain avait qualifié de « malhonnête » à La Malbaie en 2018 s’est fait traiter d'« hypocrite » mercredi à Londres. Incident sérieux ou simple anecdote témoignant de la rupture des codes diplomatiques traditionnels ? Les experts penchent pour la seconde option.

« Les relations entre le président Trump et moi-même sont très bonnes et constructives », a assuré le premier ministre canadien à la fin d’un sommet de l’OTAN marqué par plusieurs dissensions. Mais il a aussi précisé qu’on « sait très bien que les relations entre le Canada et les États-Unis sont beaucoup plus profondes que les relations entre le président et le premier ministre ».

Plus tôt, Donald Trump avait dit de Justin Trudeau qu’il « est hypocrite [visage à deux faces] ». Mais il a aussitôt ajouté en point de presse que M. Trudeau « est bien gentil, très gentil. La vérité, c’est que je lui ai reproché [mardi] de ne pas payer [assez en investissements en défense] et j’imagine qu’il n’est pas très content ».

Cela dit, M. Trump n’a pas semblé particulièrement perturbé par l’incident. « C’était drôle quand j’ai dit que ce type était hypocrite », a-t-il glissé à un conseiller… pas très loin d’un micro.

Vidéo

 

À la source des échanges entre MM. Trump et Trudeau : des images captées par la BBC mardi soir au palais de Buckingham, lors d’une réception des chefs d’État. On y entend le premier ministre Trudeau discuter — de manière visiblement amusée — avec son homologue britannique, Boris Johnson, et le président français, Emmanuel Macron.

À un moment, M. Trudeau suggère que M. Macron est en retard « parce qu’il a eu une conférence de presse inattendue de 40 minutes » — cela dans le contexte où le président américain a eu de longs échanges avec les médias avant ses rencontres bilatérales. Plus tard, Justin Trudeau raconte que « son entourage [de M. Trump] est tombé des nues ».

Photo: Yui Mok Pool Agence France-Presse Justin Trudeau a discuté, de manière visiblement amusée, avec Emmanuel Macron et Boris Johnson mardi soir au palais de Buckingham, lors d’une réception des chefs d’État.

Les trois se moquaient-ils du président américain, dont le nom n’est jamais mentionné dans cette conversation hachurée ? Justin Trudeau a affirmé mercredi qu’il a simplement « évoqué le fait qu’il y avait eu une conférence de presse imprévue avant [sa] rencontre avec le président Trump et [qu’il était] heureux d’y participer, mais c’était certainement digne de mention ».

Quant aux « mâchoires décrochées » des conseillers de M. Trump, Justin Trudeau a dit qu’il faisait référence au fait que ceux-ci semblaient avoir appris en direct que le prochain G7 aurait lieu à Camp David.

Anecdotique

 

L’affaire a fait grand bruit mercredi — comme tout ce qui implique M. Trump. À Ottawa, les partis d’opposition y ont vu une « autre gaffe » de M. Trudeau à l’international (les conservateurs), voire une preuve de plus que le premier ministre ne serait pas le même en privé qu’en public (les néodémocrates). « On ne s’amuse pas à badiner de façon coquine entre chefs d’État lorsqu’on interpelle le président des États-Unis », a soutenu le bloquiste Yves-François Blanchet.

« Mais du point de vue des relations internationales, ça relève de l’anecdotique », estime Frédéric Mérand, directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. « Il n’y a rien de très étonnant dans les propos qu’on entend — beaucoup moins, en tout cas, que dans l’échange franc et brutal que MM. Macron et Trump ont eu plus tôt. »

Christophe Cloutier-Roy, chercheur à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, est du même avis : « Il n’y a rien de dramatique là-dedans. » Surtout, dit-il, que cela concerne un « président qui n’est pas intéressé par le ballet diplomatique, qui ne suit pas le décorum… » « Il est en rupture totale avec tous les codes de la diplomatie », rappelle Frédéric Mérand.

L’incident de mardi n’aura ainsi pas d'« effet à long terme » dans les relations entre les deux pays, juge l’ancien ambassadeur Guy Saint-Jacques. « Mais ça confirme que Donald Trump n’a pas une haute opinion de Justin Trudeau… et vice-versa », dit-il.

M. Saint-Jacques parle tout de même d’un « geste malheureux, surtout que l’on sait comment le président Trump peut être soupe au lait et se fâcher facilement ». Globalement, l’incident lui fait dire que les « leaders doivent faire preuve de prudence : ce n’est plus seulement une question de craindre qu’un micro soit ouvert quelque part, mais que la technologie permette de capter presque tout ce qui se dit. Les commentaires francs devraient être livrés uniquement dans un environnement sûr. »

Pour Frédéric Mérand, l’imbroglio vidéo rappelle que la diplomatie n’est plus ce « monde secret, feutré, entre gens partageant la même éducation et les mêmes codes ». Et ce qui était « autrefois confiné au salon » a maintenant le potentiel d’être révélé au grand jour.

Une déclaration… malgré tout

Le sommet célébrant les 70 ans de l’OTAN aura eu des airs de rendez-vous manqué étant donné les nombreuses dissensions entre les membres. Mais dans sa déclaration finale adoptée mercredi, l’Alliance reconnaît pour la première fois « l’influence croissante et les politiques internationales de la Chine comme des opportunités et des défis, auxquels nous devons répondre ensemble en tant qu’Alliance ». Elle dénonce par ailleurs les actions agressives de la Russie et avertit qu’elle restera « une alliance nucléaire aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires ». Le texte condamne le terrorisme « sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations ».


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