L’heure juste: brouillard ministériel

Le dévoilement mercredi du nouveau Conseil des ministres du premier ministre Justin Trudeau en dit long sur les ponts qu’il souhaite rebâtir et sur ses préoccupations électorales futures. Les signaux sont toutefois brouillés quand on tente de cerner les orientations qui sous-tendent plusieurs choix.
En faisant de Chrystia Freeland sa vice-première ministre et ministre des Affaires intergouvernementales, de Jim Carr son représentant spécial auprès des Prairies et de Pablo Rodriguez son lieutenant québécois, Justin Trudeau semble dire qu’il a compris que son entourage et lui n’avaient pas les meilleures antennes dans l’Ouest et au Québec ni les meilleurs réflexes pour répondre aux insatisfactions de ces régions. Les résultats électoraux, reflet d’une polarisation régionale préoccupante pour le gouvernement fédéral, ne lui laissaient pas vraiment le choix.
Il est moins clair cependant comment M. Carr et Mme Freeland, dont les responsabilités se chevauchent, arrimeront leur travail. Il en va de même au Québec. Le premier ministre François Legault a toujours dit que son interlocuteur restera son homologue fédéral, mais qui sera celui de ses ministres, Mme Freeland, M. Rodriguez ou les deux ? Le risque de messages croisés est réel.
On le voit déjà dans le dossier de la lutte contre les changements climatiques, cette fois entre le représentant spécial, Jim Carr, le ministre des Ressources naturelles, Seamus O’Regan, et le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Jonathan Wilkinson. En marge de la première réunion du Cabinet jeudi, le premier a déclaré que le gouvernement était « ouvert » à modifier la nouvelle Loi sur l’évaluation environnementale, une demande pressante des premiers ministres conservateurs des Prairies. M. O’Regan est allé dans le même sens, mais M. Wilkinson et le bureau du premier ministre ont vite précisé qu’il n’était pas question de toucher à la loi, mais d’examiner des « propositions constructives » pour ce qui est de sa mise en oeuvre.
Le choix de M. Wilkinson à l’Environnement, au lieu de l’écologiste Steven Guilbault opposé au pipeline Trans Mountain, indique un recadrage de la stratégie gouvernementale, mais les contours restent flous. On répète vouloir faire davantage pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais d’une manière qui irrite moins l’Ouest. M. Wilkinson vient du secteur des technologies propres et aborde aisément l’enjeu climatique d’un point de vue économique. On ne peut rien déduire de plus de la composition de ce nouveau Cabinet où siégera quand même M. Guilbault en tant que ministre du Patrimoine.
En matière d’économie, on promet une certaine stabilité avec le maintien en poste de plusieurs ministres clés, de Bill Morneau aux Finances à Marc Garneau aux Transports en passant par Navdeep Bains à l’Innovation et à l’Industrie. Mais on ne perd pas de vue la prochaine élection avec la multiplication de postes secondaires à forte saveur clientéliste, ce qui entraîne un morcellement des responsabilités qui incite à se demander qui fera quoi.
Mélanie Joly devient ministre du Développement économique, ce qui, selon ses dires, veut dire du développement régional. Il y a aussi une ministre du Développement économique rural, Maryam Monsef. Mary Ng, qui a été promue ministre du Commerce international, reste ministre de la Petite Entreprise. Et Mona Fortier hérite du nouveau portefeuille de la… Prospérité de la classe moyenne ! Pas de la lutte contre la pauvreté ou de la promotion de l’égalité des chances, mais de la classe moyenne. Elle avait bien du mal jeudi à expliquer ce qu’elle ferait de plus que ce que peut faire le ministre des Finances.
En matière d’administration publique, on a eu la sagesse de nommer un ministre d’expérience au Conseil du Trésor (Jean-Yves Duclos) alors que les négociations des conventions collectives des fonctionnaires piétinent. Mais que penser de la nomination d’Anita Anand, une juriste émérite mais nouvelle élue inexpérimentée, à la tête de l’énorme ministère des Services publics et de l’Approvisionnement, qui est responsable de la stabilisation du catastrophique système de paye Phénix ?
La liste des membres des comités du Cabinet aurait pu permettre de mieux comprendre ces choix et l’interaction entre les différents acteurs, mais en date de vendredi, on n’avait toujours vu que la liste des comités et les noms de leurs présidents et vice-présidents, mais pas ceux des autres membres.
Il faudra aussi attendre la publication des lettres de mandat des ministres pour saisir la véritable mission que le premier ministre a confiée à chacun. On croyait les avoir rapidement puisqu’en 2015, elles avaient été publiées moins de 30 jours après les élections. Habituellement, les ministres ont rapidement ces documents en main. Qu’on attende encore la publication de celles de cette année est révélateur de la difficulté de se redéfinir comme l’exige cette situation de gouvernement minoritaire et de tensions régionales.