Un cabinet pour gérer les tensions nationales

Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne Justin Trudeau a présenté les membres de son Cabinet pour son deuxième mandat, cette fois à la tête d’un gouvernement minoritaire.

Aliénation de l’Ouest et nationalisme québécois auront guidé la formation du nouveau conseil des ministres de Justin Trudeau, qui s’est doté, pour y répondre, de lieutenants politiques dans ces deux régions. Dans les Prairies et au Québec, on donne la chance aux coureurs. Mais on prévient du même souffle qu’on mesurera l’efficacité de cette stratégie aux résultats qu’elle apportera.

L’ancien ministre manitobain Jim Carr sera ainsi désormais « représentant spécial du premier ministre pour les Prairies », tandis que le Montréalais Pablo Rodriguez devient lieutenant québécois de Justin Trudeau. Un poste qu’avait refusé de reconduire le premier ministre depuis quatre ans.

« C’est important d’écouter les gens. Et les Québécois ont clairement dit que, même avec un nombre record de députés au sein d’un gouvernement [40 en 2015], ils voulaient une voix encore plus forte », a reconnu M. Trudeau à la suite de l’assermentation de sa nouvelle équipe à Rideau Hall mercredi.

M. Rodriguez sera en outre leader du gouvernement aux Communes — un poste névralgique pour assurer l’adoption d’initiatives libérales en situation minoritaire. Il s’est défendu de n’être du coup que lieutenant québécois à temps partiel — puisqu’il devra surveiller la Chambre de près —, assurant qu’il parcourrait le Québec sans relâche lors des pauses parlementaires.

La ministre québécoise des Relations canadiennes, Sonia LeBel, a qualifié d'« excellente nouvelle » la nomination d’un lieutenant québécois. « Il est trop tôt pour discuter des effets positifs, mais on peut juste saluer, en tant que Québécois, d’avoir eu cette reconnaissance autour de la table. »

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C’est le nombre de ministres qui proviennent du Québec... dont six sont de la grande région de Montréal.

Le Québec a pris du galon au cabinet fédéral. Tous les ministres québécois ont eu droit à une promotion ou au statu quo. François-Philippe Champagne est nommé aux Affaires étrangères, Jean-Yves Duclos est passé au Conseil du Trésor et Mélanie Joly s’est vu confier le Développement économique tout en gardant les Langues officielles. David Lametti (Justice), Marc Garneau (Transports), Diane Lebouthillier (Revenu national) et Marie-Claude Bibeau (Agriculture) ont conservé leur portefeuille.

Justin Trudeau a en outre nommé au conseil des ministres deux nouveaux élus du Québec: le Montréalais Marc Miller hérite des Services aux autochtones, tandis que Steven Guilbeault devient ministre du Patrimoine.

 

Il est trop tôt pour discuter des effets positifs, mais on peut juste saluer, en tant que Québécois, d’avoir eu cette reconnaissance autour de la table.

Le premier ministre s’est défendu d’avoir évité de nommer M. Guilbeault à l’Environnement de peur d’exacerber les frustrations de l’Ouest. La composition du cabinet s’est faite sur la seule base du mérite, a-t-il argué, en plaidant le fait que la voix de M. Guilbeault serait écoutée. « Tous les membres de notre cabinet vont travailler très fort sur les dossiers aussi importants que les changements climatiques », a fait valoir M. Trudeau.

M. Guilbeault a tenu le même discours. « L’environnement n’est pas l’affaire d’une personne au sein du gouvernement. Ça doit être une priorité gouvernementale et clairement, ça l’est. Et ce que je souhaite, c’est que les gens nous jugent, non pas sur qui a été nommé où, mais sur nos actions. »

Une main tendue à l’Ouest

La colère des provinces des Prairies a par ailleurs été prise en compte, avec la nomination de Jim Carr comme conseiller spécial. Il n’est plus ministre, mais pourra participer au cabinet à l’occasion puisqu’il demeure membre du Conseil privé. M. Carr passera beaucoup de temps à Winnipeg, où il se fait soigner pour un cancer. Il mènera en parallèle des consultations dans la région et en fera rapport au premier ministre.

Chrystia Freeland, qui a grandi en Alberta, est quant à elle promue vice-première ministre et usera de sa diplomatie pour devenir ministre des Affaires intergouvernementales (après avoir été aux Affaires étrangères). M. Trudeau a apprécié sa collaboration dans le dossier de l’Accord de libre-échange avec les États-Unis et souhaite désormais en tirer profit au pays pour calmer les tensions entre Ottawa et les provinces de l’Ouest.

Le premier ministre a également pris soin de nommer à l’Environnement et aux Ressources naturelles des ministres qui comprennent les préoccupations des Prairies : Jonathan Wilkinson, qui est de Colombie-Britannique, a grandi en Saskatchewan et Seamus O’Regan vient de Terre-Neuve-et-Labrador, où l’industrie pétrolière est aussi importante.

« On verra aux décisions qu’ils prennent si leurs racines de l’Ouest veulent réellement dire quelque chose », a réagi le premier ministre saskatchewanais, Scott Moe. « Plutôt que de voir des nominations, j’aimerais voir des gestes concrets », a renchéri Brian Pallister, du Manitoba.

Tous deux se sont montrés ouverts à travailler avec le cabinet fédéral, mais ils souhaitent, comme le premier ministre albertain, Jason Kenney, que le gouvernement Trudeau change de cap sur plusieurs enjeux. « J’espère que les ministres responsables de dossiers urgents pour notre province écouteront les Albertains, prendront nos inquiétudes au sérieux et travailleront de façon constructive avec le gouvernement de l’Alberta pour y répondre », a commenté M. Kenney.

Des nouveaux venus

 

Si huit ministres ont conservé leurs fonctions (notamment Bill Morneau aux Finances et Harjit Sajjan à la Défense), 29 de leurs collègues ont changé de ministère. Catherine McKenna passe aux Infrastructures, Bill Blair à la Sécurité publique, Patty Hajdu à la Santé, Carla Qualtrough à l’Emploi, Filomena Tassi au Travail, Mary Ng au Commerce international, entre autres.

Outre MM. Miller et Guilbeault, cinq autres élus font leur entrée au conseil des ministres : Anita Anand (Services publics et Approvisionnement), Dan Vandal (Affaires du Nord), Marco Mendicino (Immigration), Mona Fortier (Prospérité de la classe moyenne et ministre associée aux Finances), et Deb Shulte (Aînés).

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C’est le nombre de femmes membres de ce cabinet paritaire, le deuxième de l'histoire.

Bien que le cabinet demeure paritaire, les femmes sont peu visibles dans les postes les plus prestigieux : les Affaires étrangères, le Conseil du Trésor, la Justice et les Finances seront tous dirigés par des hommes. Et cinq des ministres féminines relèveront de ministères chapeautés par des hommes.

Justin Trudeau a fait valoir qu’il fallait évaluer le féminisme de son gouvernement par l’ensemble de sa gouvernance. « Le travail que nous faisons en tant que cabinet paritaire va bien plus loin que tout simplement les rôles qu’on donne, bien que ces rôles-là soient très importants. »

Le ministre Dominic LeBlanc, qui lutte aussi contre un cancer et qui s’est présenté à Rideau Hall en portant un masque pour se protéger d’une éventuelle infection, occupera des fonctions moins accaparantes. Il sera président du Conseil privé et responsable de superviser la mise en oeuvre des priorités du gouvernement.

Quelques ministres ont quant à eux subi des rétrogradations. Ahmed Hussen est passé de l’Immigration à la Famille, aux Enfants et au Développement social ; Bardish Chagger de leader en Chambre à ministre de la Diversité ; et Joyce Murray perd le Conseil du trésor pour n’en conserver que la responsabilité du Gouvernement numérique. Idem pour Kirsty Duncan (Sciences) et Ginette Petitpas-Taylor (Santé) qui seront leader adjointe et secrétaire parlementaire du leader en Chambre.

Avec Mylène Crête


Un accueil mitigé

Andrew Scheer, chef de l’opposition officielle:
« Nommer un nouveau cabinet était une opportunité pour Justin Trudeau de changer de cap et d’abandonner son approche irresponsable de division du pays avec ses politiques d’échec. Il a plutôt préféré doubler la mise sur les mêmes visages et les mêmes échecs. […] Justin Trudeau ne va qu’intensifier les divisions qu’il a créées durant la campagne électorale. »

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois:
« Nous constatons qu’il s’agit d’un remaniement électoral plutôt qu’un réalignement pour ce gouvernement. […] Ce cabinet populeux témoigne de la volonté de plaire à tout le monde et de réconcilier les intérêts difficilement compatibles de l’Ouest et du Québec, du développement pétrolier et de la lutte contre les changements climatiques. Il est difficile de dégager une vision d’avenir ou une priorité dans ce buffet à volonté. »

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique:
« Je ne me soucie pas particulièrement de celles et ceux qui obtiennent un certain poste au cabinet. Ce qui compte, c’est qu’ils arrêtent de travailler pour faciliter la vie des grandes entreprises ultra-riches et commencent à travailler avec notre équipe pour améliorer la vie des familles. »

Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain:
« On se réjouit de la nomination de plusieurs élus québécois à des postes de ministres, tout particulièrement de six ministres issus de la région métropolitaine. […] La décision [de nommer un lieutenant québécois] répond à des demandes soutenues et envoie un message important. Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. »

Marc-André Viau, directeur des affaires gouvernementales chez Équiterre:
« Nous nous attendons à ce que la question environnementale et la lutte contre la crise climatique dépassent le cadre du ministère de l’Environnement. Et nous sommes [en ce sens] encouragés par le fait que le premier ministre a déclaré en conférence de presse que les changements climatiques ont une incidence sur toute l’action gouvernementale. »


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