Qu’est-ce que le sondage donne?

Photo: Alice Chiche Le Devoir Tout annonce une soirée électorale fébrile lundi.

Ce ne sont plus seulement les sondages qui se multiplient, mais aussi les sites d’agrégateurs de sondages, ceux de projections de sièges… et même les compilations des différentes projections de sièges. Ce qui fait beaucoup de chiffres, certes, et pas mal de lectures divergentes. N’empêche que cette campagne se termine sur une certitude partagée partout : c’est serré.

« On n’a pas vu ça depuis la campagne fédérale de 2004 », dit la sociologue Claire Durand (Université de Montréal), spécialiste des sondages et présidente de la World Association for Public Opinion Research.

Prenez l’agrégateur de votre choix, et vous arriverez plus ou moins au même résultat : les libéraux de Justin Trudeau et les conservateurs d’Andrew Scheer sont au coude-à-coude au niveau national, alors qu’au Québec, les bloquistes d’Yves-François Blanchet sont à égalité avec les mêmes libéraux.

Sinon, la carte est brouillée en Colombie-Britannique, où les conservateurs sont légèrement devant. Ailleurs, on note des avances plus nettes des libéraux (en Ontario et dans les Maritimes), ou écrasantes des conservateurs (Alberta et Prairies).

 

Tout annonce donc une soirée électorale fébrile lundi. Mais le rappel de ce qui s’est passé en 2004 incite aussi à une certaine prudence. Il y a 15 ans, les sondeurs s’étaient en effet lourdement trompés dans leurs prévisions — du moins en apparence. Dans la semaine précédant le jour du vote, les maisons de sondages donnaient ainsi une avance d’un point des libéraux de Paul Martin sur les conservateurs de Stephen Harper. Sauf qu’au soir du vote, les premiers ont obtenu sept points de plus que les seconds.

31%
C’est l’appui dont bénéficie le Bloc québécois en cette fin de campagne électorale, selon la firme Léger. Ce pourcentage grimpe à 39 % auprès des francophones. 

« Ce n’était pas un problème de méthodologie, indique Claire Durand en citant des études faites par la suite. Les gens avaient vraiment changé d’idée à la dernière minute. » « La principale erreur a été de croire que le résultat du vote serait le même que les intentions de vote constatées la semaine précédente », avait alors commenté Frank Graves, président d’Ekos.

Un exemple plus récent incite aussi à considérer avec prudence ce que les chiffres disent. Il y a un an, les sondages de fin de campagne prédisaient une lutte serrée entre le Parti libéral du Québec et la Coalition avenir Québec (CAQ). Or, le vote libéral s’est finalement effondré au-delà de toute prévision, alors que le parti de François Legault est allé chercher quelque cinq points de plus qu’anticipé — de même qu’une solide majorité. Dans ce cas, relève Mme Durand, c’est autant la décision des indécis que l’effet de ceux qui ont changé d’idée à la dernière minute qui a expliqué le mouvement vers la CAQ.

En attendant le dépouillement des votes lundi — et le positionnement des indécis —, que retenir du portrait que les sondages esquissent ? Décryptage des tendances générales.

La progression du Bloc. Prenons les résultats enregistrés par la firme Léger pour mesurer le chemin parcouru par le Bloc québécois durant cette campagne : à la fin de l’été, juste avant le déclenchement des élections, le Bloc était crédité d’environ 20 % des intentions de vote (légèrement au-dessus de ce que furent les résultats du Parti québécois en 2018). Six semaines plus tard, Léger estime à 31 % le niveau d’appui de la formation souverainiste, chiffre qui grimpe à 39 % auprès des francophones.

Ce bond spectaculaire est mesuré dans tous les sondages récents : la moyenne des appuis du Bloc tourne autour de 30 %. Transposée en sièges, une telle popularité pourrait donner jusqu’à 40 sièges au Bloc, selon les différents sites (souvent plus autour de 35). En excluant les circonscriptions où les luttes sont trop serrées pour prédire un vainqueur potentiel, on note qu’une dizaine de circonscriptions gagnées par les libéraux en 2015 — et un nombre similaire de circonscriptions néodémocrates — pourraient passer au Bloc lundi.

Le recul des libéraux. Quand il a lancé le pays en élections, Justin Trudeau pouvait envisager d’ajouter quelques députés aux 40 que le Québec lui a fournis en 2015. Les sondages lui donnaient une avance d’au moins dix points sur ses adversaires. Mais celle-ci a fondu tout au long de la campagne, et les libéraux sont actuellement donnés gagnants dans une trentaine de circonscriptions dans la province — cela tout en partageant le premier rang des intentions de vote avec le Bloc.

À l’échelle nationale, le portrait est similaire : un net recul par rapport à 2015. Les sites qui recensent tous les sondages pour en faire une moyenne (qui varie d’un à l’autre selon la méthodologie employée) s’entendent pour donner aux conservateurs et aux libéraux environ 31 % d’appuis. Ceux qui transposent ces appuis en nombre de sièges accordent ensuite en moyenne quelque 135 circonscriptions aux libéraux — jamais moins de 130, et jusqu’à 165 pour l’un d’eux. Il faut 170 élus pour former un gouvernement majoritaire, et les libéraux en avaient obtenu 184 il y a quatre ans.

Outre au Québec, les libéraux pourraient aussi perdre une dizaine de circonscriptions dans les Maritimes (où ils avaient tout raflé en 2015), une quinzaine en Ontario, cinq ou six en Colombie-Britannique : le tout mis ensemble, la soirée de lundi s’annonce stressante pour Justin Trudeau et son équipe.

Le problème des conservateurs. Lui aussi plein d’espoir envers le Québec en début de campagne, Andrew Scheer la termine en perte de vitesse dans la province : un recul d’au moins sept points dans les appuis entre le déclenchement et maintenant. Avec le résultat probable que les conservateurs ne gagneront pas un siège de plus en 2019 qu’en 2015 (une douzaine de circonscriptions à l’époque).

Plus concentrés que le vote libéral (l’Alberta et les Prairies faussent les données), les appuis des conservateurs pourraient autrement lui donner entre 115 et 132 circonscriptions au pays, selon les projections et avec une moyenne qui tourne plus autour de 125 sièges. Cela dit, et c’est le suspense qui accompagne cette fin de campagne, certains situent les conservateurs une bonne dizaine de sièges derrière les libéraux… alors que d’autres les mettent là aussi à quasi-égalité.

La remontée du NPD. Selon plusieurs observateurs, Jagmeet Singh aura été la révélation de cette campagne à l’échelle nationale. Ce qui explique peut-être pourquoi le Nouveau Parti démocratique termine la course en progression dans les sondages, avec près de 19 % d’appuis à travers le pays. Dans l’état actuel des choses, cela pourrait vouloir dire une quarantaine de circonscriptions pour les néodémocrates, qui en avaient obtenu 44 en 2015.

Par contre, le NPD risque d’encaisser des pertes importantes au Québec, où ils avaient remporté 16 sièges il y a quatre ans. Avec un appui estimé à moins de 15 %, la plupart des projections évoquent des scénarios où les néodémocrates conserveraient une poignée de circonscriptions (deux ou trois).

Les verts au neutre. Pour le Parti vert, qui espérait une percée importante dans une élection où la question environnementale a été abondamment abordée, 2019 pourrait plutôt être l’année de la grande déception : on situe les appuis des verts autour de 8 % à l’échelle nationale, avec des gains potentiels de deux circonscriptions.

Mais toutes ces projections demeurent précisément des projections. Les politiciens se plaisent à répéter que le seul sondage qui compte est celui de l’élection : c’est une réponse pratique pour éviter des questions difficiles au fil de la campagne… mais c’est bien là que tout se joue.

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