Le Canada face à un test de crédibilité climatique

Si la tendance se maintient, le prochain gouvernement canadien sera conservateur ou libéral, avec ou sans majorité aux Communes. Mais que ce soit un parti ou l’autre qui l’emporte, le Canada appuiera son action climatique sur des mesures insuffisantes ou, au mieux, qui restent à préciser pour juger de leur efficacité au cours des prochaines années.
Si les conservateurs prennent le pouvoir, les politiques fédérales ne seront clairement pas en phase avec ce qui doit être fait pour lutter contre la crise climatique, estime le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau.
« Ils misent sur les innovations technologiques et les rénovations de bâtiments, qui seront nécessaires, mais ne suffiront pas. Avec les conservateurs, on aura un clair recul dans la lutte contre les changements climatiques. Leur abolition de la taxe carbone, qui ne sera pas à un niveau suffisant même à 50 $ la tonne pour atteindre les objectifs de 2030, serait très néfaste », explique M. Pineau.
Même son de cloche du côté d’Annie Chaloux, professeure à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. À l’instar de M. Pineau et de plusieurs économistes, elle insiste d’ailleurs sur l’importance de non seulement maintenir la taxe carbone, mais aussi de l’augmenter au cours des prochaines années. Le directeur parlementaire du budget a calculé que cette tarification doit atteindre au moins 102 $ la tonne d’ici 2030, afin de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre au pays.
Selon Mme Chaloux, il n’est par ailleurs pas exclu qu’un gouvernement conservateur minoritaire choisisse malgré tout d’aller de l’avant avec sa promesse phare d’abolition de la taxe carbone, une idée soutenue par plusieurs gouvernements provinciaux. « Il pourrait très bien se lancer dans ce débat, quitte à retourner en élections. »
Si le gouvernement est libéral et minoritaire, elle estime possible que le débat sur l’expansion du pipeline Trans Mountain ne soit pas terminé. « Faut-il que l’État finance la construction ? La question risque de se poser, surtout si le gouvernement a besoin d’un appui des néodémocrates ou du Parti vert au Parlement. »
Horizon 2050
Au-delà de l’enjeu du rachat de ce pipeline, Pierre-Olivier Pineau et Annie Chaloux saluent l’engagement libéral en faveur de la carboneutralité du Canada à l’horizon 2050, un objectif nécessaire selon la science climatique. « Mais aucun détail n’a été fourni en termes de propositions pour réaliser cet objectif », souligne M. Pineau. « C’est décevant, mais malheureusement compréhensible dans la réalité politique dans laquelle nous sommes. Ils ne voulaient sans doute pas s’exposer à des accusations indiquant qu’ils veulent que les Canadiens changent leur style de vie, ce qui sera nécessaire pour atteindre les cibles. »
Pour atteindre les objectifs fixés par les libéraux, Mme Chaloux estime que le Canada devra rapidement aller de l’avant avec l’idée de cibles de réductions qui soient « contraignantes » pour les années à venir, accélérer l’électrification des transports et mettre un terme aux subventions aux carburants fossiles.
Selon Pierre-Olivier Pineau, les transformations nécessaires passent impérativement par des changements importants dans le mode de vie des Canadiens. « Nous devrons conduire moins et avoir moins de camions sur les routes, habiter dans des villes et villages plus denses et dans des bâtiments moins énergivores, consommer moins de produits à forte teneur en carbone et manger moins de protéines animales. Même les verts n’osent annoncer de telles choses à la population. »