Jody Wilson-Raybould, indépendante de nature

Jody Wilson-Raybould se réjouit de voir les sondages nationaux prédire un gouvernement minoritaire.
Photo: Jonathan Hayward La Presse canadienne Jody Wilson-Raybould se réjouit de voir les sondages nationaux prédire un gouvernement minoritaire.

Le Devoir est allé prendre le pouls de la course sur la côte ouest. Aujourd'hui, une visite dans Vancouver-Granville.

Jody Wilson-Raybould n’a pas dit son dernier mot. Justin Trudeau a beau l’avoir exclue de l’équipe libérale, dans la foulée du scandale SNC-Lavalin, la députée de Vancouver-Granville refuse de se laisser écarter. Et, fait rare, elle pourrait bien réussir à se faire réélire en tant qu’indépendante, car la lutte est archi-serrée entre elle et le rival libéral.

Les locaux électoraux de Jody Wilson-Raybould et de Taleeb Noormohamed se trouvent à à peine 800 mètres l’un de l’autre. Dans les deux cas, les bénévoles s’activent au téléphone et accourent pour faire du porte-à-porte, car à trois semaines du scrutin, la candidate indépendante et le libéral sont au coude-à-coude dans les sondages.

Au quartier général de l’ancienne ministre de la Justice, Joan et Rob offrent leurs services presque tous les jours pour aider leur députée à se faire réélire. Le couple lui avait déjà prêté main-forte en 2015. Il a quitté le Parti libéral avec elle, le printemps dernier, furieux du sort qui lui a été réservé dans la foulée de l’affaire SNC-Lavalin. « Plus que furieux », renchérit Joan. Elle souhaite maintenant que Jody Wilson-Raybould retourne à Ottawa comme députée indépendante. « Pour envoyer un message », affirme-t-elle, les sourcils froncés et le ton sévère.

Il ne s’agit pas seulement de ce que vous voulez faire, mais de savoir comment vous allez y arriver. Vous êtes presque entièrement dépendant de la bonne volonté des autres, en tant qu’indépendant.

« Je n’avais jamais prévu de me trouver dans cette situation », dit Jody Wilson-Raybould dans son petit bureau électoral au sud du centre-ville de Vancouver. « J’étais la candidate confirmée du Parti libéral dans la circonscription, jusqu’à ce que le premier ministre m’expulse. Je ne crois pas qu’une personne seule puisse décider lorsque le travail d’une autre personne en politique fédérale est terminé », dit-elle, sans jamais mentionner le nom de son ancien patron, contre qui elle est visiblement toujours en colère.

Jody Wilson-Raybould indique qu’elle veut encore servir, même si elle reconnaît que peu de candidats indépendants ont réussi à se faire élire au fédéral. Ils ont été six, au cours des 30 dernières années, dont Gilles Duceppe, Gilles Bernier (le père de Maxime Bernier) en Beauce et, plus récemment, André Arthur à Québec. « Je sais que c’est un défi. Mais je sens chez les gens un réel désir de faire la politique un peu différemment. »

L’attrait d’une équipe

À cela, Taleeb Noormohamed rétorque qu’il ne faut pas oublier que la politique est un sport d’équipe. Jody Wilson-Raybould a beau marteler qu’elle défend toujours les mêmes valeurs progressistes que lorsqu’elle était au gouvernement libéral, celui qui tente de lui succéder note qu’elle n’a plus les mêmes moyens pour faire avancer ces idées. « Vous ne pouvez pas le faire seul », insiste cet ancien fonctionnaire du Bureau du Conseil privé à Ottawa. « Il ne s’agit pas seulement de ce que vous voulez faire, mais de savoir comment vous allez y arriver. Vous êtes presque entièrement dépendant de la bonne volonté des autres, en tant qu’indépendant. »

La campagne de Taleeb Noormohamed tourne à plein régime : huit personnes au téléphone tous les jours, des équipes qui se partagent le porte-à-porte dans cette circonscription aisée qui rassemble des maisons huppées mais aussi des appartements surpeuplés à cause de la crise du logement qui sévit dans la région.

La centrale du parti a même dépêché de gros canons pour tenter de garder Vancouver-Granville dans le giron libéral. La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, était justement de passage pour encourager les bénévoles lundi. Sa collègue à l’Environnement, Catherine McKenna, l’a précédée au mois d’août. Tout comme Jean Chrétien qui a fait le détour jusqu’à Vancouver et l’ex-chef libéral Bob Rae qui y sera prochainement.

Taleeb Noormohamed, 42 ans, demeure moins connu que sa rivale, qui a défrayé la chronique et ouvert les bulletins de nouvelles tout l’hiver après avoir accusé Justin Trudeau d’avoir exercé une pression indue pour qu’elle intervienne afin d’accorder un accord de réparation à SNC-Lavalin.

Sept mois plus tard, le scandale n’est malgré tout que peu évoqué par les électeurs. « Les gens veulent passer à autre chose. Ils n’ont pas de député au sein du gouvernement depuis maintenant près d’un an et cette circonscription connaît de réels enjeux qui nécessitent l’attention du fédéral, affirme M. Noormohamed, qui est revenu à Vancouver en 2007. Il y a un désir d’avoir un député qui soit membre du gouvernement et qui les défende à la table de décisions. »

Jody Wilson-Raybould corrobore le fait que les électeurs lui parlent peu du scandale en soi. Mais les gens en parlent, dit-elle, pour la remercier et saluer les politiciens « qui ont de l’intégrité, qui sont honnêtes ».

Et aux libéraux qui affirment qu’elle aurait moins de poids comme députée indépendante qu’un élu du gouvernement, l’ancienne leader autochtone de 48 ans rétorque qu’elle ne serait plus bâillonnée par un parti, justement. « Je peux représenter les électeurs directement, plutôt que de me faire dire quoi dire et comment voter, ce qui est la façon de faire des partis politiques. »

L’épouvantail conservateur

Mme Wilson-Raybould se réjouit de voir les sondages nationaux prédire un gouvernement minoritaire. « Cela fait de meilleures lois et de meilleures politiques, puisque les gens doivent réellement s’entendre et travailler ensemble pour faire adopter des projets de loi. » En tant qu’ex-libérale, elle assure qu’elle appuierait toute mesure progressiste présentée par un gouvernement, quel qu’il soit. Elle refuse de dire si elle appuierait un gouvernement minoritaire conservateur. Ce que ne manque pas de souligner M. Noormohamed.

Le candidat libéral martèle en outre à ceux qui voudraient encourager une candidate indépendante, comme Joan et Rob, qu’un vote pour Jody Wilson-Raybould est un vote pour Andrew Scheer. Car dans une élection aussi serrée, tout siège perdu pour les libéraux aide en contrepartie les conservateurs. « Si vous souhaitez une politique qui se fait différemment, ce n’est pas le résultat que vous obtiendrez. Et cela ne vous livrera certainement pas un gouvernement progressiste. Cela vous livrerait Andrew Scheer. »

Un risque que rejette la principale intéressée. Le site de projections électorales 338Canada.com accordait 32 % d’appuis à M. Noormohamed il y a 12 jours, contre 29 % pour Mme Wilson-Raybould et 21 % pour le candidat conservateur Zack Segal. Le NPD et le Parti vert suivaient loin derrière, à 9 % et 7 %.

M. Noormohamed a beau avoir confiance de remporter la bataille, il lui faudra encore cogner aux portes. Car lundi soir, de la moitié des résidents qui étaient chez eux lors de son porte-à-porte, une seule lui a assuré son vote. Deux autres ont affirmé, un peu sèchement, que leur choix n’était toujours pas arrêté. Un troisième a annoncé qu’il voterait… « indépendant cette fois-ci ».

Demain: La bataille de Vancouver

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