Jagmeet Singh emprunte au Bloc pour séduire les Québécois

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) n’a pas dit son dernier mot au Québec. Bien qu’il soit en queue de peloton dans les sondages, le chef Jagmeet Singh a dévoilé dimanche une plateforme toute particulière pour la province, en promettant aux Québécois davantage de pouvoirs en matière d’environnement et de langue française. Mais la liste de promesses néodémocrates s’avère en partie une série d’intentions.
L’objectif du NPD fait peu de doutes. Sa plateforme « Ensemble pour le Québec » reprend certaines propositions de longue date du Bloc québécois. Son chef adjoint Alexandre Boulerice s’est même permis d’emprunter le credo des bloquistes, en présentant son manifeste pour le Québec. « Le NPD est la meilleure force politique pour les Québécois. Le NPD, c’est notre parti. On représente les intérêts du Québec. Et on s’en va se battre pour vous à Ottawa », a-t-il lancé à Sherbrooke, alors que les bloquistes se targuent de défendre ces mêmes intérêts depuis 25 ans.
Cette offre est la suite logique du travail commencé par Jack Layton. Nous sommes convaincus que nous pouvons bâtir une société plus prospère, plus durable et plus juste ensemble. Mais pour réussir, nous avons besoin des Québécois.
Jagmeet Singh espère que son offre distincte saura convaincre les Québécois de lui donner une chance et de permettre à ses troupes de conserver ses 14 circonscriptions au Québec. Les derniers sondages le placent en quatrième ou en cinquième position, parfois derrière le Parti vert, et indiquent que le NPD pourrait ne conserver qu’un ou deux sièges. « Reconnaître la particularité du Québec ne suffit plus : nous devons nous engager vers une nouvelle ère où Ottawa est un partenaire plutôt qu’un donneur d’ordres », promet donc la plateforme québécoise.
Un gouvernement néodémocrate reconnaîtrait ainsi que les projets d’infrastructures ayant une incidence environnementale — comme les oléoducs– — ne devraient pas échapper à une évaluation environnementale québécoise ni à l’accord du gouvernement et de la population de la province. Bien que le NPD s’engage à ne pas imposer de projet au Québec, il ne va pas jusqu’à promettre de légiférer afin que la province ait un droit de veto.
Même chose lorsque le parti dénonce l’« erreur historique » qui a mené à ce que le Québec ne signe pas la Constitution canadienne. M. Singh souhaite « créer les conditions gagnantes » pour permettre au Québec d’intégrer le cadre constitutionnel canadien, explique le NPD. Mais il ne s’engage pas pour autant à tenir des négociations en ce sens. « Ça va prendre des efforts. Mais on est là et on a le courage de le faire », s’est contenté de dire le chef néodémocrate dimanche.
Inspiration bloquiste
Le NPD promet en outre de faire appliquer la loi 101 dans les entreprises relevant du fédéral — comme les banques ou les compagnies de télécommunications. Le parti avait appuyé un projet de loi bloquiste en ce sens, en 2009, et déposé sa propre version en 2011. Le Bloc dénonce cependant le fait que la version néodémocrate (morte au feuilleton) accordait au gouvernement le pouvoir d’exempter toute entreprise et rendait en réalité, à son avis, le projet de loi inutile.
Le Québec aurait par ailleurs droit à une hausse de son transfert fédéral en matière d’immigration. Le NPD le ferait passer de 490 à 563 millions de dollars par année, dans l’espoir que la province bonifie ses programmes de francisation. Le parti souhaite « s’assurer que le Québec bénéficie au maximum de l’immigration », selon sa plateforme, qui ne fait pas mention de la volonté du gouvernement caquiste de réduire son accueil.
Les néodémocrates réitèrent qu’ils octroieraient au Québec un droit de retrait avec compensation de tout programme fédéral de dépenses dans des domaines de responsabilité provinciale.
Ils rappellent aussi qu’ils exigeraient que les juges nommés à la Cour suprême soient bilingues. Un gouvernement néodémocrate s’engagerait même à formaliser le processus de sélection des magistrats québécois pour que la nomination provienne d’une liste de candidats présélectionnés par le gouvernement québécois. Justin Trudeau a consulté Québec, en marge de la nomination du juge Nicholas Kasirer cette année, mais c’est son comité consultatif qui avait retenu la liste de candidats potentiels.
Un gouvernement néodémocrate taxerait les géants du Web. Il « consulterait formellement » le Québec lors de négociations commerciales internationales. Il « discuterait » avec Québec de la possibilité de céder les pouvoirs et le transfert fédéral en matière de culture. Il mènerait des consultations dans le but de voir s’il peut moderniser ses lois pour contraindre les géants du Web à protéger la langue française — en exigeant une part de contenu francophone produit par Netflix, par exemple.
Le NPD propose enfin — comme il l’avait fait en 2015 et comme le Bloc avant lui en 2011 — de permettre aux artistes d’étaler leurs revenus dans leurs déclarations de revenus pour équilibrer les bonnes et les moins bonnes années. Les néodémocrates exempteraient aussi d’impôt la première tranche de 10 000 $ de revenus tirés de redevances artistiques.
À chacun son optimisme
Le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, ne s’est pas offusqué de voir le NPD reprendre ses idées. « Ce que j’en ai vu, c’est passablement du réchauffé », a-t-il commenté, en arguant que la plateforme du Bloc québécois offrait « plus » et « mieux » que celle du NPD. « Je ne suis pas un fanatique des sondages, mais les derniers que j’ai vus mettaient difficilement le NPD au pouvoir », a-t-il raillé.
Jagmeet Singh, lui, refuse de se laisser abattre par ces mêmes coups de sonde. « On peut faire des gains au Québec. On a un programme audacieux », a-t-il insisté.
Et pour convaincre les Québécois, M. Singh a abondamment évoqué la mémoire de Jack Layton, qui avait détaillé son offre distincte pour le Québec à Sherbrooke, lui aussi, en 2006. « Cette offre est la suite logique du travail commencé par Jack Layton, a-t-il affirmé. Nous sommes convaincus que nous pouvons bâtir une société plus prospère, plus durable et plus juste ensemble. Mais pour réussir, nous avons besoin des Québécois. »
Avec Stéphane Baillargeon