Trudeau doit répondre de l’affaire SNC-Lavalin

Justin Trudeau a dû répondre à des questions sur l’affaire SNC-Lavalin à la première journée de la campagne électorale.
Photo: Dave Chan Agence France-Presse Justin Trudeau a dû répondre à des questions sur l’affaire SNC-Lavalin à la première journée de la campagne électorale.

Et c’est parti pour cinq semaines et demie. Justin Trudeau a officiellement donné le coup d’envoi de la campagne électorale fédérale mercredi matin à Rideau Hall, conviant comme convenu les électeurs aux urnes le 21 octobre. Mais lui qui voulait plaider la nécessité d’un second mandat pour achever son oeuvre de consolidation de la classe moyenne a été rattrapé par l’affaire SNC-Lavalin.

Le Globe and Mail a révélé en matinée que le privilège protégeant les secrets du cabinet n’avait pas davantage été levé pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qu’il ne l’avait été pour le Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique. Ainsi, tout comme le commissaire Mario Dion, la GRC n’a pas eu accès à certains documents en lien avec l’affaire SNC-Lavalin et les personnes qu’elle rencontre sont limitées dans ce qu’elles peuvent dire. La GRC n’a pas ouvert d’enquête officielle sur cette affaire, mais elle en interroge des acteurs pour déterminer s’il y a lieu d’en ouvrir une pour entrave à la justice. La GRC a rencontré mardi l’ancienne ministre Jody Wilson-Raybould.

Avant même de lancer sa propre campagne, le chef conservateur, Andrew Scheer, a demandé à son rival libéral de reconsidérer sa position. « La seule raison pour laquelle Justin Trudeau va continuer de refuser de lever le privilège, c’est parce qu’il y a quelque chose à cacher de plus grave que ce que l’on sait aujourd’hui. »

M. Trudeau a soutenu que cette décision relevait du Conseil privé. « Nous respectons toujours les décisions prises par notre fonction publique. Nous respectons la décision du greffier », a-t-il dit. Mensonge, a rétorqué M. Scheer en soutenant que « la décision de lever le secret du cabinet revient au premier ministre ».

Deux sources consultées par Le Devoir donnent raison à M. Scheer. Le professeur de droit constitutionnel Peter Russell explique que le greffier du Conseil privé prend la décision, mais le premier ministre dont il relève peut la renverser. « M. Trudeau a choisi de ne pas désapprouver son greffier », résume M. Russell. L’ancien greffier Mel Cappe (1999-2002) abonde dans le même sens. « Le secret du cabinet relève du premier ministre et il peut le lever. Mais tous les greffiers conseilleront au premier ministre de ne PAS lever ce privilège. » Ceci afin de permettre aux ministres de parler librement.

Ceci dit, secret levé ou pas, la GRC n’entamerait pas d’enquête maintenant, puisqu’elle a pour règle de ne pas entamer d’activités touchant la classe politique en période électorale. La GRC avait été blâmée pour avoir influencé le cours de la campagne de 2005-2006 en annonçant l’ouverture d’une enquête à propos de Ralph Goodale, ministre libéral qu’elle avait finalement blanchi en 2007.

La classe moyenne interpellée

 

Le lancement des hostilités électorales a été l’occasion pour chaque chef fédéral d’exposer son offre politique. Sans surprise, le chef libéral a réclamé un second mandat pour poursuivre son oeuvre. Justin Trudeau a rappelé que, pendant son règne, plus d’un million d’emplois ont été créés, le taux de chômage a atteint un creux historique et 300 000 enfants sont sortis de la pauvreté grâce à la nouvelle allocation canadienne pour enfants. Renouer maintenant avec les conservateurs ramènerait selon lui « l’austérité ».

« Nous avons un choix à faire : continuer d’aller vers l’avant et bâtir sur les progrès réalisés, ou retourner en arrière avec les politiques des années Harper. Les conservateurs aiment dire qu’ils sont en faveur des gens, mais ils réduisent les impôts pour les mieux nantis et réduisent les services pour tous les autres. »

Le chef conservateur Andrew Scheer, lui, a présenté M. Trudeau comme un premier ministre dépensier, déconnecté de la classe moyenne et qui « a perdu l’autorité morale de gouverner ». « Le compte à rebours pour que le Canada se débarrasse de Justin Trudeau est officiellement lancé », a-t-il déclaré. M. Scheer a soutenu, sans le démontrer, que « Justin Trudeau a augmenté les taxes et les impôts de 80 % de la classe moyenne ».

Le chef conservateur a donné le coup d’envoi de sa campagne nationale à Trois-Rivières où il compte sur l’ancien maire de la ville, Yves Lévesque, pour ravir cette circonscription au NPD et ainsi étendre la représentation de son parti au-delà de la région de Québec.

De son côté, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a décidé de lancer sa campagne à Québec où le parti ne compte plus aucun député depuis le balayage de 2011. Dans cette région où la Coalition avenir Québec (CAQ) est solidement implantée, le chef bloquiste a mis de l’avant ses affinités avec le gouvernement caquiste. « C’est à Québec qu’il y a notre seul parlement national avec un gouvernement qui, pour la première fois depuis longtemps, affiche un nationalisme décomplexé qui, il faut le dire, fait du bien. »

M. Blanchet a soutenu qu’après avoir « flirté » successivement avec les trois principaux partis fédéraux, les Québécois seront prêts à donner une nouvelle chance à son parti « renouvelé ». « C’est notre devoir à nous de vous convaincre que la laïcité, c’est nous, que le français, c’est nous, que les régions, c’est nous, que l’énergie propre, c’est nous », a-t-il lancé en évoquant son slogan électoral Le Québec, c’est nous. Ce à quoi M. Scheer a répondu que les bloquistes « seront toujours des spectateurs impuissants qui jouent aux gérants d’estrade ».

Pour sa part, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a insisté sur le fait qu’il aura le « courage » de s’en prendre aux « lobbyistes et intérêts corporatifs », aux « blanchisseurs d’argent et spéculateurs », aux « lobbyistes du secteur des télécommunications » et aux « grands pollueurs » pour offrir aux citoyens ce dont ils ont besoin, soit un système de santé élargi, des logements abordables, des forfaits cellulaires moins coûteux et une lutte contre les changements climatiques plus robuste.

Quant à la cheffe du Parti vert, Elizabeth May, elle a soutenu que ce sera « l’élection la plus importante de l’histoire du Canada ». « Nous dirons la vérité aux Canadiens quant à la gravité de l’urgence climatique. Nous ne faisons pas cela pour effrayer les gens, mais pour leur donner de l’espoir. Nous avons un plan. »

Avec Guillaume Bourgault-Côté et Isabelle Porter

À voir en vidéo