L'heure juste: la politique est marketing

Les partis ne s’adressent pas à tous les électeurs, mais à ceux qu’ils veulent garder dans leur giron et à ceux qu’ils croient pouvoir rallier à leur cause. Et ils savent où les trouver. En photo, le premier ministre, Justin Trudeau.
Photo: Darryl Dyck La Presse canadienne Les partis ne s’adressent pas à tous les électeurs, mais à ceux qu’ils veulent garder dans leur giron et à ceux qu’ils croient pouvoir rallier à leur cause. Et ils savent où les trouver. En photo, le premier ministre, Justin Trudeau.

Le rituel est connu. Pour donner le vrai coup d’envoi à leur campagne, les partis font tout un plat du dévoilement de leur slogan et de leurs premières publicités. Le lancement d’une nouvelle marque de voiture serait à peine différent. Ce n’est pas un hasard, le marketing politique est devenu indissociable depuis longtemps des rendez-vous électoraux.

Le déclenchement officiel de la campagne n’a pas encore eu lieu qu’on y goûte déjà. Les publicités partisanes ont commencé à envahir le petit écran, la radio et les plateformes numériques, toutes affublées des fameux slogans. Les libéraux nous disent de « Choisir d’avancer ». Au NPD, « On se bat pour vous ». Le Bloc québécois affirme que « Le Québec, c’est nous ». Les Verts scandent « Ni à droite ni à gauche. Vers l’avant ensemble ». Et le Parti conservateur, lui, promet « Plus. Pour vous. Dès maintenant » en français et clame qu’il est temps pour vous de passer devant (Time for you to get ahead).

On peut se demander à quoi cela rime, mais tout ceci est soupesé pendant des mois par des stratèges et spécialistes des communications à l’aide de consultations, sondages et groupes témoins. « Il n’y a rien de fortuit », insiste Thierry Giasson, spécialiste de la question et professeur de sciences politiques à l’Université Laval.

Les slogans, puis les publicités, sont « des repères pour les électeurs, des raccourcis ou des indices de ce que le parti veut faire ». Ce sont les premiers jalons de la construction de la trame narrative de campagne, d’où leur importance, explique-t-il. Quant au slogan, ajoute-t-il, il doit aussi inspirer la base militante et les supporteurs à qui il servira de cri de ralliement.

Les partis ne s’adressent pas à tous les électeurs, mais à ceux qu’ils veulent garder dans leur giron et à ceux qu’ils croient pouvoir rallier à leur cause, études de marché à l’appui, si on peut parler ainsi. Et les partis savent où les trouver. Les banques de données des électeurs qu’ils entretiennent avec tant de jalousie — et de secret — et les sondages pour lesquels ils dépensent volontiers servent à cela.

Luc Dupont, professeur en communications à l’Université d’Ottawa, s’intéresse depuis longtemps à ces slogans et publicités partisanes pour comprendre à qui s’adressent les partis et décoder ce que pensent vraiment les stratèges en coulisses. Il note que seuls le PLC et le PC sont actuellement présents à la télévision, ce qui démontre leur intérêt pour une frange de la population plus indécise, moins informée mais plus friande de culture populaire télévisuelle.

Il souligne aussi un fait nouveau à ses yeux, soit que tous les principaux partis, sauf le NPD, ont choisi des slogans qui ne se limitent pas à les identifier, mais à marquer l’opposition avec l’adversaire. Les libéraux martèlent en somme que choisir les conservateurs équivaut à retourner en arrière. Le Bloc affirme être le seul à pouvoir parler au nom des Québécois. Les conservateurs, eux, se présentent comme les défenseurs des laissés-pour-compte du gouvernement Trudeau.

Dans le cas du NPD, l’essentiel du message se retrouve dans les publicités et sur le site Web, note M. Dupont, et montre que ce qui préoccupe les stratèges est la méconnaissance du chef, Jagmeet Singh. Quant aux verts, leur appel à tous, en rappelant en sous-entendu que le sort de la planète préoccupe tout le monde, est audacieux, juge-t-il. Mais c’est ce que les sondages démontrent, relève Thierry Giasson, et le parti a vu cet effet à l’oeuvre en Colombie-Britannique.

Mais la donne serait-elle en train de changer ? Depuis quelques décennies, le consumérisme et le marketing politiques se sont imposés en politique avec pour résultat que les partis ne peuvent plus compter sur l’attachement partisan des citoyens. L’électorat est fragmenté et de plus en plus de citoyens abordent les campagnes électorales comme une opération de magasinage. Les partis, de leur côté, élaborent leurs politiques dans le même esprit, traitant l’électeur en consommateur ou en contribuable et non plus en citoyen, a documenté la journaliste au Toronto Star, Susan Delacourt, dans son livre Shopping For Vote.

Un large segment de la population aborde l’offre politique avec ses seuls besoins individuels en tête, relève le professeur Giasson. L’anxiété économique y est pour beaucoup et comme le spectre de la dernière récession flotte encore, les partis d’opposition y font volontiers référence, note-t-il.

Le mouvement écologiste a longtemps dénoncé cette approche consumériste qui a éclipsé la recherche du bien commun et freiné la réponse aux problèmes environnementaux, relève Mme Delacourt dans son ouvrage. Mais si l’anxiété économique est toujours dans le peloton de tête des inquiétudes des citoyens, celle provoquée par les changements climatiques la devancerait de quelques points, selon certains sondages.

Le slogan du PC est le seul qui vise uniquement l’anxiété économique. On saura le 21 octobre si cette approche peut encore suffire ou si, dans le contexte actuel, les électeurs recherchent des solutions capables de faire le pont entre leurs deux anxiétés.



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