Bilan environnement: des rouges vert pâle

Les troupes libérales se sont fait un devoir de réhabiliter la science au sein de l’appareil gouvernemental.
Photo: Le Devoir Les troupes libérales se sont fait un devoir de réhabiliter la science au sein de l’appareil gouvernemental.

Les électeurs seront conviés aux urnes le 21 octobre prochain pour trancher une question somme toute assez simple : les libéraux méritent-ils de prolonger leur passage aux commandes du Canada ? En cette veille électorale, Le Devoir propose un bilan en sept volets du mandat occupé de Justin Trudeau. Aujourd’hui : l’environnement.

En matière d’environnement, c’est un euphémisme que de dire que le gouvernement libéral a navigué en eaux troubles. Les écologistes ne lui pardonnent pas d’avoir acheté un oléoduc pour mieux en garantir l’agrandissement et d’avoir fait siennes les timides cibles conservatrices de réduction de gaz à effet de serre (GES). Mais d’autres, l’environnementaliste devenu candidat Steven Guilbeault en tête, font valoir que les libéraux ont enclenché une réforme qui, bien que frileuse, engage le Canada sur la bonne voie.


Pour la première fois au pays, le gouvernement fédéral a imposé aux grands émetteurs industriels des plafonds d’émissions de GES au-delà desquels ils doivent acheter des droits de pollution, soit auprès de l’État, soit auprès d’entreprises plus performantes. Le plan a été critiqué parce que les plafonds, qui devaient au départ correspondre à 70 % des émissions moyennes de chaque secteur industriel, ont été relevés à 80 %, voire 90 % dans certains cas. Les fonctionnaires ont rétorqué que cela ne faisait pas de différence, car l’instauration de limites, quelles qu’elles soient, met un prix sur la pollution et incite à l’action.

Les libéraux ont aussi adopté des provinces qu’elles se dotent d’un plan de lutte contre les changements climatiques et imposé une taxe sur le carbone aux récalcitrantes, soit la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et, à compter de janvier, l’Alberta. La taxe de 20 $ la tonne augmentera graduellement pour atteindre 50 $ en 2022.

Mais voilà : les libéraux ont endossé la cible conservatrice de réduire les GES du pays de 30 % sous leur niveau de 2005 d’ici 2030, ce qui impliquerait de les ramener à 513 mégatonnes (Mt) d’équivalent de CO2. Or, le plan libéral déboucherait plutôt sur un total de 592 Mt. Le directeur parlementaire du budget (DPB) a calculé que, pour combler cet écart de 79 Mt, il faudrait continuer d’augmenter la taxe jusqu’en 2030 pour qu’elle atteigne 102 $ la tonne. Les libéraux ont rejeté cette option (sans fermer pour autant la porte à une hausse) et soutiennent que l’écart sera comblé par la plantation d’arbres et le financement de nouvelles technologies. D’autres mesures seront aussi annoncées en campagne, promet-on.

La taxe sur le carbone rapportera 2,4 milliards au Trésor dès cette année, mais elle ne financera pas beaucoup le changement, car seulement 10 % de la somme sont destinés à des projets d’amélioration de l’efficacité énergétique. Le reste est retourné aux contribuables sous forme de remboursement d’impôt. Les libéraux se sont fait reprocher de faire des cadeaux électoraux en autorisant un premier versement ce printemps alors que la taxe n’a commencé à être imposée que le 1er avril.

Les libéraux ont aussi mis au rebut certaines réformes conservatrices. Ils ont ainsi mis fin à la discrimination des poissons qui faisait en sorte que seuls ceux pêchés à des fins récréatives, commerciales ou traditionnelles voyaient leur habitat protégé lors de la construction d’un projet affectant un cours d’eau. De même, ils ont restauré l’obligation d’obtenir un permis fédéral pour construire un « ouvrage majeur » ayant une grande incidence sur la navigation. Sous les conservateurs, un permis était nécessaire seulement pour les projets touchant l’un ou l’autre des trois océans, 97 lacs et 62 rivières listés.

De même, les libéraux ont opéré une vaste refonte du processus d’évaluation environnementale des grands projets. Des durées maximales d’évaluation ont été instaurées, une agence unique a été créée et le critiqué Office national de l’énergie a été remplacé par une nouvelle instance au rôle similaire. Les libéraux ont annulé le changement de 2012 qui autorisait seulement les personnes « directement affectées » par un projet à participer aux audiences publiques. Et ils ont dressé une liste de 20 critères devant être pris en compte, notamment les connaissances autochtones, les solutions de rechange au projet proposé et sa contribution « à la durabilité ». Toutefois, la ministre conserve le pouvoir ultime d’approuver un projet en prenant en compte l’« intérêt public », critère qui a été dénoncé parce que subjectif et soumis aux aléas politiques.

En parallèle, les libéraux ont instauré un moratoire sur le transport maritime d’hydrocarbures au large de la Colombie-Britannique, entre la pointe nord de l’île de Vancouver et l’Alaska, soit une bande d’environ 500 kilomètres.

Si ces mesures ont été conspuées par l’Alberta, la Saskatchewan et les conservateurs en général pour avoir, à leur avis, nui à l’industrie pétrolière, elles n’ont pas pour autant apaisé les progressistes, qui ne digèrent pas l’achat de l’oléoduc Trans Mountain au coût de 4,5 milliards de dollars (coût jugé élevé par le DPB). Ottawa a voulu par cette transaction faciliter les travaux d’agrandissement du pipeline, la construction d’une infrastructure fédérale pouvant moins facilement être bloquée en justice. Ottawa espère encore pouvoir revendre l’oléoduc une fois tous les obstacles levés et plusieurs coalitions autochtones préparent une offre.

Photo: Jonathan Hayward La Presse canadienne Un manifestant brandit une affiche en opposition à l’achat de l’oléoduc Trans Mountain par le gouvernement canadien. 

Pour faire passer la pilule, Justin Trudeau a promis que les éventuels profits de la vente seront consacrés à la transition énergétique, tout comme le demi-milliard de dollars que le Trésor prévoit d’engranger chaque année en revenus fiscaux supplémentaires lorsque la ressource canadienne sera vendue à meilleur prix à l’étranger.

Baleines, plastique et science

 

En matière de lutte contre la pollution par le plastique, les libéraux s’en sont tenus aux promesses. Ils entendent dresser d’ici 2021 une liste d’objets qui seront interdits « lorsque les données scientifiques et les circonstances le justifie[ront] ». Ils songent aussi à rendre les entreprises responsables du traitement post-consommation des objets-déchets qu’elles produisent.

Face à la mortalité de baleines noires dans le golfe du Saint-Laurent, Ottawa a fermé des zones de pêche et imposé des limites de vitesse pour protéger cette espèce en voie de disparition. Comme ces mesures n’ont pas empêché d’autres décès de survenir, le gouvernement a financé une mission d’observation pour mieux comprendre les risques de collision. Les libéraux ont aussi interdit la production, l’utilisation et l’importation de produits contenant de l’amiante.

Enfin, les troupes libérales se sont fait un devoir de réhabiliter la science au sein de l’appareil gouvernemental. À peine 24 heures après leur arrivée au pouvoir, elles ont rétabli le questionnaire détaillé obligatoire du recensement et ont redonné aux fonctionnaires scientifiques le droit de parler aux journalistes. Elles ont aussi restauré le poste de scientifique en chef du Canada aboli en 2008.

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