Ingérence étrangère: il faudra éviter de crier au loup à répétition

«Pour le moment nous n’avons pas vu de menaces directes à l’élection générale de 2019», ont assuré des fonctionnaires fédéraux mardi, lors d’une séance d’information sur les préparatifs en vue du scrutin.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne «Pour le moment nous n’avons pas vu de menaces directes à l’élection générale de 2019», ont assuré des fonctionnaires fédéraux mardi, lors d’une séance d’information sur les préparatifs en vue du scrutin.

Le gouvernement se veut rassurant, à trois mois de l’élection fédérale. À l’heure actuelle, les agences de renseignement ne voient pas encore de menaces directes sur le scrutin. Mais elles admettent du même souffle que les pays adeptes de cyberinfluence ne se gêneront pas pour tenter d’influer aussi sur la joute électorale canadienne.

Ottawa dévoilait mardi la directive du cabinet qui encadrera le panel mis sur pied pour veiller au respect de l’intégrité de l’élection du mois d’octobre. Celui-ci pourra avertir les Canadiens s’il constate qu’un incident important « compromet la capacité des Canadiens de participer à des élections libres et justes » ou que l’incident « mine la crédibilité de l’élection ». Le gouvernement fédéral annonçait la création de ce panel en janvier dernier pour répondre aux tentatives d’ingérence étrangère constatées lors de l’élection présidentielle américaine de 2016 ou celle d’Emmanuel Macron en France en 2017.

« Soyons clairs ! Pour le moment nous n’avons pas vu de menaces directes à l’élection générale de 2019 », ont assuré des fonctionnaires fédéraux mardi, lors d’une séance d’information sur les préparatifs en vue du scrutin.

Le Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) ne se fait toutefois pas d’illusions. « Nous nous attendons à ce que les acteurs étrangers intensifient leurs activités plus l’élection approche, car c’est l’un de leurs outils de prédilection pour promouvoir leurs intérêts », a reconnu un autre fonctionnaire, sans toutefois nommer la Russie ou la Chine. Reste que ce sont certains des pays que les autorités canadiennes ont à l’oeil. « Lorsque le processus démocratique a été fragilisé dans certaines grandes démocraties, c’était par une influence étrangère », a rappelé un autre représentant fédéral, pour expliquer que le panel chargé de surveiller le bon fonctionnement de l’élection surveille d’abord et avant tout l’ingérence provenant de l’étranger. Une tentative interne pourrait cependant aussi être dénoncée par panel, si elle pose une réelle menace au processus électoral.

Cinq hauts fonctionnaires seront chargés d’évaluer les risques de désinformation ou de perturbation électorale, et d’avertir le premier ministre sortant, les partis politiques, Élections Canada et le public canadien s’ils constatent des « circonstances exceptionnelles qui pourraient nuire à la capacité du Canada de tenir des élections libres et impartiales », stipule la directive du cabinet.

« Le seuil pour avertir le public sera très élevé », ont assuré les fonctionnaires mardi, afin d’éviter que le public ne soit alerté à de nombreuses reprises et que l’équipe du gouvernement se retrouve à être celle qui perturbe l’élection. « Le rôle du panel ne sera pas d’arbitrer le débat politique. C’est un dernier recours. »

Les hauts fonctionnaires devront trancher au cas par cas, en fonction des menaces décelées pendant la campagne électorale que leur rapporteront les agences de renseignement canadiennes.

 

Ce qui est tout à fait normal, selon Stephanie Carvin, professeure adjointe en sécurité nationale à l’Université Carleton. « Il n’y a pas de ligne rouge bien définie. Et ce sera le plus gros défi. » Si le groupe tire la sonnette d’alarme trop rapidement, son avertissement ne sera pas jugé crédible. Mais s’il attend trop longtemps, il risque d’être trop tard et l’influence aura déjà commencé à « percoler » dans l’électorat.

Le greffier du Conseil privé, le conseiller du premier ministre pour la sécurité nationale, et les sous-ministres de la Justice, de la Sécurité publique et des Affaires étrangères décideront à l’unanimité s’ils alertent les Canadiens d’une tentative d’ingérence. S’il n’y a pas de consensus quant à la gravité d’une menace, les Canadiens n’en seront pas avertis. Si les hauts fonctionnaires jugent au contraire qu’il faut aviser le public d’une menace crédible, à large échelle et qui n’a pas été démystifiée, personne – pas même le premier ministre – ne pourra les en empêcher. Le groupe surveillera toutes les tentatives de faire chanter un candidat, de pirater un parti politique ou de propager avec une intention malveillante de la désinformation comme des fausses vidéos.

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