Seconde victoire pour Trudeau et sa taxe carbone

Et de deux. Après la Saskatchewan, c’est au tour de l’Ontario d’essuyer un revers dans sa contestation de la taxe carbone du gouvernement fédéral. Une bonne nouvelle pour Justin Trudeau, à quatre mois d’une élection au cours de laquelle le sujet est assuré de susciter les débats.
La décision de la majorité des juges de la Cour d’appel de l’Ontario est catégorique. « La nécessité d’avoir une approche collective à une question d’enjeu national et le risque qu’une ou davantage de provinces n’y participent pas permettent au Canada d’adopter une norme nationale minimale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La loi [fédérale] fait cela, et rien de plus », tranchent quatre des cinq juges, dans une décision rendue vendredi. « Les frais imposés par la loi sont eux-mêmes constitutionnels. Ils sont de nature réglementaire et liés aux objectifs de la loi. Ce ne sont pas des taxes. »
Il n’en fallait pas plus pour que la ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, crie victoire. « La Cour a rejeté cette dernière tentative des conservateurs de diviser notre pays et d’empêcher le gouvernement fédéral de protéger l’environnement des Canadiens », a-t-elle déclaré par communiqué.
Le premier ministre ontarien s’est cependant dit « déçu » de la décision. « Nous avons promis d’utiliser tous les outils à notre disposition pour contester la taxe carbone et nous allons continuer de nous battre pour tenir promesse », a répliqué Doug Ford, en annonçant que son gouvernement fera appel à la Cour suprême du Canada.
La Saskatchewan a elle aussi été déboutée par sa Cour d’appel, début mai, et le premier ministre Scott Moe a porté la cause devant la Cour suprême.
La Cour a rejeté cette dernière tentative des conservateurs de diviser notre pays
Ces décisions ont été dénoncées par la ministre libérale Catherine McKenna, qui a jugé « regrettable » que des premiers ministres conservateurs, « appuyés par Andrew Scheer, continuent de gaspiller l’argent des contribuables pour lutter contre notre position devant les tribunaux, plutôt que de prendre des mesures concrètes pour lutter contre les changements climatiques ».
Le jugement de la Cour d’appel de l’Ontario a justement refroidi les ardeurs du Nouveau-Brunswick, qui songeait aussi à contester la taxe carbone. « Je ne suis pas certain qu’il soit opportun pour moi de continuer une contestation provinciale à ce stade-ci », a avoué le premier ministre, Blaine Higgs, au Devoir.
M. Higgs estime qu’il n’est pas logique de « jeter de l’argent par les fenêtres ». Il envisage plutôt d’intervenir dans la cause de la Saskatchewan qui pourrait être entendue par la Cour suprême en décembre — à moins que le tribunal ne la fusionne à l’appel de l’Ontario et ne reporte l’audience.
Le premier ministre n’exclut pas non plus d’intervenir dans la campagne électorale fédérale contre Justin Trudeau — à l’instar de Jason Kenney de l’Alberta.
M. Kenney, pour sa part, n’a pas l’intention de reculer. Le premier ministre albertain a réitéré vendredi qu’il contestera la taxe fédérale devant sa propre Cour d’appel.
Que la Cour suprême tranche
Le professeur de droit à l’Université d’Ottawa David Robitaille salue le jugement, qui entérine la position qu’il a défendue devant la Cour en tant que représentant d’Équiterre et du Centre québécois du droit de l’environnement.
Mais, à son avis, mieux vaudrait maintenant que les autres provinces abandonnent leur renvoi respectif pour se concentrer sur l’appel de la Saskatchewan en Cour suprême, qui tranchera au final. « Les autres provinces, qu’on pense à l’Alberta ou au Nouveau-Brunswick, vont carrément instrumentaliser leur Cour d’appel si elles font des renvois aussi. À mon avis, c’est devenu politique. Aller devant sa cour d’appel est tout à fait correct, il y avait des questions juridiques importantes [à trancher], mais là, ça fait deux cours d’appel qui se prononcent. »
M. Robitaille observe toutefois que la cause du Manitoba est un peu différente, car sa contestation a été déposée devant la Cour fédérale et soulève des questions distinctes de droit administratif. Le Manitoba a d’ailleurs indiqué qu’il ira de l’avant.
La majorité des juges de la Cour d’appel ontarienne a conclu que la tarification du carbone par Ottawa « relève de la compétence du Parlement de légiférer en ce qui a trait aux questions d’“intérêt national” » en vertu de la clause de la Constitution qui lui permet « de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada ». Une clause sur laquelle s’était aussi reposée la majorité des juges de la Cour d’appel de la Saskatchewan.
L’Ontario affirmait qu’Ottawa outrepasse ses champs de compétence et que les provinces devraient avoir le droit d’encadrer la lutte contre les changements climatiques comme bon leur semble sur leur territoire.
La majorité des juges à la Cour d’appel a statué que la loi fédérale « laisse amplement de latitude à une loi provinciale ». Les juges notent d’ailleurs que l’Ontario n’a jamais argué que la loi fédérale entrait en conflit avec l’une des siennes.
Le juge Grant Huscroft signe seul une dissidence. Il stipule que les GES sont émis par presque toutes les activités réglementées par les provinces — comme le secteur manufacturier, l’agriculture, les mines ou le chauffage résidentiel. « L’idée d’une autorité fédérale sur les émissions de GES constituerait un virage énorme, en transférant le pouvoir de légiférer des législatures provinciales au Parlement du Canada », estime-t-il.