Les leçons oubliées de Fukushima

Impact des changements climatiques, relance contestée de l’industrie nucléaire, accès des femmes au marché du travail pour stimuler l’économie, le Japon fait face à d’importants défis. Deuxième de trois textes sur quelques enjeux cruciaux au pays du Soleil-Levant.
Le Japon est aux prises avec un profond dilemme énergétique. Près de dix ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima, les Japonais sont toujours aussi divisés quant à l’exploitation de cette source d’énergie dans leur pays. Le gouvernement a relancé l’industrie, mais la population a d’importantes réserves.
Au lendemain de la tragédie de Fukushima, en mars 2011, le Japon promettait à ses citoyens de délaisser l’énergie nucléaire pour miser sur les énergies renouvelables. Le Japon venait de subir le plus puissant tremblement de terre de son histoire : un séisme de magnitude 9 au large de ses côtes qui a causé un tsunami dévastateur ayant secoué deux centrales nucléaires dans la préfecture de Fukushima, au nord de Tokyo. En quelques heures, le niveau de radiation avait octuplé. Des dizaines de milliers de personnes ont été évacuées. Près de 20 000 personnes sont mortes — quoique le gouvernement ne recense pas encore de décès liés directement aux radiations. Les 54 centrales du pays ont été fermées.
Mais à peine un an et demi plus tard, l’élection du premier ministre Shinzo Abe a changé la donne. L’énergie nucléaire a été remise au menu du programme énergétique du gouvernement nippon.
Tokyo prévoit maintenant que le pays pourrait réexploiter 37 centrales nucléaires, au terme des études de sa nouvelle Agence de sûreté nucléaire. Le Japon n’en compte que neuf en activité pour l’instant. Six autres ont récemment obtenu le feu vert pour démarrer leurs opérations.
« Comme le Japon n’a pas de ressources naturelles, le gouvernement a besoin de cette énergie nucléaire », fait valoir Hidenori Nishita, du bureau de l’économie environnementale du ministère de l’Économie du Japon. « Les Japonais sont très nombreux et ils consomment beaucoup d’énergie. Pour assurer la qualité de vie de la population, on doit maintenir le prix de l’électricité et de l’énergie à un niveau raisonnable et stable. »
Un argument qui ne convainc toutefois pas le gouvernement de Fukushima, qui a rejeté le plan de Tokyo. La préfecture refuse catégoriquement l’idée de dépendre à nouveau de l’énergie nucléaire qui lui a causé tant de mal il y a à peine huit ans, et dont la région subit encore les effets. « Le département a établi un plan d’action qui prévoit qu’en 2040, on utilise 100 % d’énergie renouvelable », explique Nobuhide Takahashi, directeur adjoint de l’équipe de revitalisation du gouvernement local.
Et cette décision s’explique simplement. « Bien évidemment, c’est à cause de cet accident à la centrale de Fukushima. La région a été affectée par la radioactivité. »
Mais les séquelles psychologiques se font en outre encore sentir dans la population. « Les habitants de Fukushima se sont sentis vraiment trahis par l’opérateur de la centrale, Tepco, parce qu’il répétait sans cesse que ce genre de site nucléaire était sécuritaire à 100 %. Mais on a eu cet accident, dénonce M. Takahashi. Et les citoyens ne croient plus au mythe de l’énergie nucléaire. »
Le séisme et le tsunami qui l’a suivi ont fait 4100 morts dans le seul département de Fukushima. Près de 165 000 personnes ont été évacuées — soit ceux qui résidaient dans les 12 % du département qui ont été déclarés zone interdite. Un peu plus de 43 000 d’entre eux ne peuvent toujours pas rentrer à Fukushima aujourd’hui, alors que 3 % du département demeure inaccessible — soit l’équivalent de 370 km carrés.
Les citoyens restent encore traumatisés et ont donc choisi de miser sur les sources d’énergie renouvelables. La préfecture compte déjà un parc d’éoliennes et un site d’énergie solaire flottant. « Même les départements voisins se concentrent davantage sur l’énergie renouvelable, après cet accident de Fukushima », relate M. Takahashi.
Trop petit pour le renouvelable
Au ministère de l’Environnement, le sujet crée visiblement un malaise. Lorsque Tatsuya Abe est invité à commenter l’avis de la population sur le nucléaire, il laisse s’échapper un rire nerveux.
« Les discussions sont très partagées », consent le fonctionnaire. Des mères de famille s’y opposent farouchement, inquiètes de la sécurité des centrales. Mais d’autres voient l’apport économique et la création d’emplois qu’entraînerait un redémarrage des centrales.
Le gouvernement japonais martèle qu’il n’a d’autre choix que de renouer avec l’énergie nucléaire. À la suite de la fermeture de ses centrales, il y a huit ans, le Japon a dû se tourner vers l’étranger pour s’approvisionner : son taux d’autosuffisance énergétique est passé de 20 % en 2010 à seulement 8 % en 2016. Et sa consommation d’énergies fossiles a augmenté de 8 % au cours de la même période, pour atteindre 89 % en 2016. La part d’énergie nucléaire du pays a inversement chuté de 10 %, pour se chiffrer à moins de 1 % il y a trois ans, alors qu’elle représentait 11 % de son apport énergétique en 2010, avant l’accident de Fukushima.
« Il faut trouver un équilibre », plaide M. Nishita, du ministère de l’Économie. Le charbon ne coûte pas cher, mais il pollue, tandis que les énergies renouvelables sont vertes, mais plus dispendieuses. « Donc le gouvernement du Japon souhaite relancer l’utilisation de l’énergie nucléaire », résume-t-il.
Outre le coût d’une conversion nationale aux énergies vertes, M. Nishita argue que le petit pays insulaire ne peut tout simplement pas accommoder les imposantes infrastructures qu’il faudrait construire pour les produire. Le gouvernement prévoit qu’en 2030, de 20 % à 22 % de son électricité proviendra du nucléaire ; de 22 % à 24 % des énergies renouvelables ; 26 % du charbon ; et 27 % du gaz naturel.
« Le Japon est occupé en son centre par des chaînes de montagnes et il est bordé de falaises au bord de l’océan. Il n’y a pas d’espace pour construire des parcs d’éoliennes ou des sites solaires, note M. Nishita. Ce n’est pas réaliste de garder un terrain suffisamment grand pour fournir Tokyo en énergie solaire, par exemple. » D’autant plus que les Japonais sont de gros consommateurs d’énergie, souligne-t-il. L’énergie solaire représentait 5 % de l’énergie produite au Japon en 2016, et l’hydroélectricité 7 %.
La préfecture de Fukushima, elle, compte néanmoins trouver le moyen de s’approvisionner entièrement de la sorte. Et elle espère entre-temps se remettre enfin de la catastrophe de 2011, en profitant notamment des Jeux olympiques de Tokyo de 2020 pour tenter d’attirer de nouveau les touristes. Le relais de la flamme olympique débutera d’ailleurs à Fukushima, l’an prochain.
« À la centrale de Fukushima-Daiichi, le problème n’est toujours pas tout à fait réglé. Il y a encore un grand souci de radioactivité, d’eau contaminée, relate Takahiro Sato, du bureau de promotion des J.O. à la préfecture. Mais tous les habitants de Fukushima souhaitent montrer leur courage. »
Notre journaliste a été invitée à Tokyo par le Foreign Press Center Japan.
Consommation d’électricité par habitant
Royaume-Uni 5130 kwhPays-Bas 6713 kwh
France 6940 kwh
Allemagne 7035 kwh
Belgique 7709 kwh
Japon 7820 kwh
Canada 15 546 kwh
États-Unis 12 984 kwh
Source : Banque mondiale, 2014