Trudeau exclut Wilson-Raybould et Philpott du caucus libéral

Le premier ministre Justin Trudeau a confirmé en début de soirée mardi l’expulsion du caucus libéral de Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott.
Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne Le premier ministre Justin Trudeau a confirmé en début de soirée mardi l’expulsion du caucus libéral de Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott.

Le couperet est finalement tombé sur les deux anciennes ministres libérales. Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott ont été expulsées de leur caucus mardi soir par le premier ministre, Justin Trudeau, qui s’est appuyé sur un « consensus écrasant » de ses députés.

« Depuis le début, j’ai abordé cette situation avec patience et compréhension », a déclaré M. Trudeau devant son caucus, qui avait été exceptionnellement convoqué en fin de journée. « Ma logique était que le vrai changement est difficile, il nécessite de la patience et de la compréhension. Mais être membre d’un caucus comporte à la fois des droits et des responsabilités. » Des cris d’approbation ont alors fusé dans la salle.

M. Trudeau a expliqué qu’il s’est décidé à couper les ponts à cause de l’incapacité des deux femmes à dire « franchement qu’elles ont confiance dans cette équipe ». « L’ancien Parti libéral était tristement célèbre pour ses déchirements internes. […] En tant que chef, j’ai pris l’engagement de changer cela. Les guerres civiles à l’intérieur d’un parti font incroyablement de dommages, car elles laissent croire aux Canadiens qu’on s’intéresse plus à nous-mêmes qu’à eux. »

Mme Wilson-Raybould a effectivement refusé d’affirmer sa confiance envers son chef depuis sa comparution en comité parlementaire en février, mais Mme Philpott, elle, n’avait pas hésité à le faire mardi. « J’appuie le premier ministre. J’ai une préoccupation et c’est ma confiance quant à un enjeu précis. Mais en général, je soutiens le premier ministre et notre gouvernement », avait-elle dit. Cela n’a visiblement pas été suffisant.

L’enregistrement en catimini par Mme Wilson-Raybould de sa conversation avec le greffier du conseil privé — enregistrement que M. Trudeau a évoqué mardi soir et qualifié d’« inadmissible » — a plombé la confiance de l’équipe envers elle et, par association semble-t-il, envers Mme Philpott. « Il y a des doutes raisonnables qu’elle [Jane Philpott] était au courant [de l’existence de cet enregistrement] », a soutenu la ministre Mélanie Joly. 
 

Une seule voix discordante s’est fait entendre, celle du député Wayne Long. « Je suis déçu. J’aurais souhaité un dénouement différent. J’aurais voulu leur donner l’occasion de s’adresser au caucus. »

Il n’y a finalement pas eu de vote pour déterminer le sort des deux femmes. Les présidents des caucus régionaux ont plutôt consulté leurs membres respectifs au cours des derniers jours et ont fait rapport au premier ministre lundi soir. « Il y avait un écrasant consensus », soutient le président du caucus, Francis Scarpaleggia, parce que la situation était devenue « intenable ». « Vendredi [jour de la divulgation de l’enregistrement secret] a accéléré les choses. »

Être membre d’un caucus comporte à la fois des droits et des responsabilités.

Sur Twitter, Mme Wilson-Raybould a écrit qu’elle « garde la tête haute » et qu’elle estime pouvoir se « regarder dans le miroir en sachant qu’[elle] a fait ce qui était nécessaire ». Dans une déclaration écrite, Mme Philpott a pour sa part indiqué trouver cette décision « décourageante ». Elle déplore qu’on expulse les voix discordantes « plutôt que de reconnaître l’évidence », à savoir que des gestes inappropriés ont été posés envers l’ancienne procureure générale. « Il est franchement absurde de laisser entendre que j’aurais quitté l’un des portefeuilles de premier plan du gouvernement par souci d’avancement personnel ou uniquement par amitié pour Jody Wilson-Raybould. »

Plus tôt dans la journée, Mme Wilson-Raybould avait plaidé pour son maintien dans l’équipe en faisant parvenir à tous ses collègues une lettre. Elle les invitait à se souvenir des principes qui les ont motivés à se lancer en politique en 2015.

« Nous étions déterminés à rompre avec les vieilles habitudes cyniques de centralisation du pouvoir entre les mains de quelques collaborateurs non élus, de marginalisation de centaines de députés qui ont une expertise et des idées à faire valoir, et de gouvernance en coulisses, loin du regard des Canadiens, écrit-elle. Je croyais que nous allions respecter les normes les plus élevées dans l’intérêt du public et non pas simplement faire des choix à des fins partisanes. »

Elle disait à ses collègues savoir qu’ils sont « nombreux » à se « sentir fâchés, blessés et frustrés ». Mais elle a soutenu que le sentiment était réciproque. « Je suis fâchée, blessée et frustrée parce que je suis persuadée que je prônais les valeurs que nous nous sommes tous engagés à défendre. » Elle estime que toute cette saga n’est pas de sa faute. « Ce n’est pas moi qui ai tenté d’intervenir dans des délibérations délicates, ce n’est pas moi qui ai rendu l’affaire publique et ce n’est pas moi qui ai nié publiquement ce qui s’est passé. »

Ce n’est pas moi qui ai tenté d’intervenir dans des délibérations délicates, ce n’est pas moi qui ai rendu l’affaire publique et ce n’est pas moi qui ai nié publiquement ce qui s’est passé

Son plaidoyer n’aura pas eu l’effet escompté. « C’est trop tard, à mon avis. C’est trop tard. Il faut passer à autre chose », disait le député montréalais Emmanuel Dubourg.

Sur le fond, les langues se délient et plusieurs estiment que Mme Wilson-Raybould a manqué à son devoir en refusant d’entendre les représentations faites par l’entourage du premier ministre à propos de SNC-Lavalin. Ces représentations visaient à la convaincre de solliciter un avis légal extérieur, par exemple celui de l’ancienne juge de la Cour suprême Beverley MacLachlin. On lui rappelait aussi — sans jamais explicitement lui demander de l’utiliser — qu’elle détenait en vertu de la loi le pouvoir de donner la directive à la directrice des poursuites pénales de négocier avec SNC-Lavalin plutôt que de déposer des accusations criminelles.

Le ministre Jonathan Wilkinson (Pêches) estime que son ex-collègue se trompe en jugeant inappropriées ces interventions. Lui qui a été fonctionnaire et conseiller d’un premier ministre provincial croit que les conversations entre l’ex-ministre et l’entourage de Justin Trudeau « sont tout à fait normales et totalement appropriées. En fait, les Canadiens auraient pensé que nous étions irresponsables si nous n’avions pas soupesé ces possibilités avant de prendre une décision ».

Le député de Québec Joël Lightbound va encore plus loin. « Je ne suis pas frustré, je suis en colère, je suis dégoûté par le peu de sérieux qu’elle a accordé sur le fond à un accord de réparation pour SNC-Lavalin — quand elle dit avoir pris une décision en douze jours, alors qu’elle était en vacances. »

Toutefois, M. Lightbound était moins critique envers Jane Philpott. « C’est un cas séparé, à mon avis. C’est moins tranché. » En soirée, il se disait néanmoins « tout à fait à l’aise » avec la décision de l’expulser elle aussi. Le député de Mont-Royal, Anthony Housefather, pensait lui aussi que « la décision par rapport à Mme Philpott est complètement différente » et invitait à « considérer chacune individuellement ». Il n’a pas été possible d’obtenir ses commentaires en soirée.



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