Des milliards à gauche et à droite

Le ministre des Finances, Bill Morneau, s’est défendu d’acheter les électeurs à six mois du début de la campagne électorale.
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne Le ministre des Finances, Bill Morneau, s’est défendu d’acheter les électeurs à six mois du début de la campagne électorale.

Pour son quatrième et dernier opus budgétaire avant le scrutin d’octobre, le ministre des Finances Bill Morneau a choisi un titre qui, en reprenant le mantra électoral libéral, annonce bien ses couleurs : « Investir dans la classe moyenne ». De fait, ce budget injecte des milliards dans tous les secteurs susceptibles d’offrir des angles d’attaque aux adversaires du Parti libéral, en logement et en assurance médicaments pour parer le NPD et dans le contrôle des frontières pour neutraliser les conservateurs.

Pour l’année 2019-2020, les revenus d’Ottawa s’élèveront à 338,8 milliards de dollars et les dépenses, à 355,6 milliards, pour un déficit anticipé de 19,8 milliards. (Celui de l’année en cours sera moins élevé que prévu, à 14,9 milliards au lieu de 18,1.) Les libéraux de Justin Trudeau ne diminuent donc pas de manière considérable l’ampleur des déficits anticipés pour les prochaines années, et ce, même si l’embellie économique amène d’importants revenus supplémentaires. La raison est simple : toute la marge de manoeuvre dégagée est utilisée pour financer de nouvelles dépenses. Et elles sont nombreuses.

Le budget préélectoral de M. Morneau consacre ainsi 4 milliards à de nouvelles dépenses cette année et 5,7 milliards en 2020-2021. Même pour l’année 2018-2019, qui se termine dans deux semaines, Ottawa injecte 4,2 milliards imprévus. Ce sont les villes qui seront contentes : Ottawa leur accorde un versement forfaitaire de 2,2 milliards par le truchement du Fonds de la taxe sur l’essence fédéral, qui servira à améliorer leurs routes, le transport collectif ou encore leurs infrastructures culturelles et sportives. La part du Québec sera de 504 millions. Les fonctionnaires ont indiqué que le gouvernement de François Legault pourrait utiliser une partie de ce montant pour compléter le financement du projet de tramway à Québec. Il manque actuellement 800 millions au montage financier.

Le ministre des Finances, Bill Morneau, s’est défendu d’acheter les électeurs à six mois du début de la campagne électorale. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, plaide-t-il. « Depuis le début, nous avons décidé qu’il est très important de faire des investissements dans la classe moyenne au Canada. » Il a mis en garde contre l’approche conservatrice consistant à « couper très rapidement » et à équilibrer le budget « à n’importe quel prix ».

Le discours de M. Morneau à la Chambre des communes a été retardé d’une heure, puis interrompu à de nombreuses reprises par les tactiques dilatoires des conservateurs. Ils voulaient contester le refus de la majorité libérale, plus tôt dans la journée, de convoquer à nouveau l’ancienne ministre Jody Wilson-Raybould en comité pour discuter de l’affaire SNC-Lavalin.

Les conservateurs ont d’ailleurs quitté en bloc la Chambre en guise de protestation. Le chef Andrew Scheer n’a eu aucun commentaire à propos du contenu du budget, qu’il estime n’avoir « aucune légitimité ». « Le budget n’est pas un plan économique sérieux pour le pays. Il a été préparé sur un nuage de scandale. […] Il n’est rien de plus qu’une tentative de limiter les dégâts avec un seul objectif : détourner l’attention des Canadiens de sa corruption. »

Pour séduire les électeurs de gauche, et couper l’herbe sous le pied des troupes néodémocrates de Jagmeet Singh, les libéraux s’attaquent donc aux problèmes d’accès à la propriété. M. Singh demandait qu’Ottawa permette aux nouveaux acheteurs d’étaler leur hypothèque sur trente ans plutôt que les vingt-cinq permis à l’heure actuelle. Bill Morneau choisit une autre voie : il rehausse à 35 000 $ le montant pouvant être pigé dans un REER pour acheter une première maison et autorise la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) à financer sans intérêt 5 % d’une maison afin d’abaisser les mensualités de l’acheteur. Ottawa bonifie aussi et prolonge son programme incitatif à la construction de logements locatifs : il y ajoute 500 millions dès 2019-2020, ce qui constitue une hausse de près de 50 % de l’enveloppe, 750 millions l’année suivante, puis maintient ce niveau de financement jusqu’au moins en 2023.


Toujours pour neutraliser leur gauche, les libéraux vont de l’avant avec leur intention d’instaurer un programme national d’assurance médicaments. On crée une Agence canadienne des médicaments qui aura notamment le mandat de négocier les prix pour tous les régimes d’assurance au pays. Ottawa promet aussi de prendre à sa charge le coût des médicaments onéreux destinés au traitement de maladies rares.

 

Ottawa instaure aussi un programme pour aider les travailleurs voulant retourner sur les bancs d’école, prenant la forme d’un congé payé de quatre semaines et d’un remboursement partiel des frais de scolarité. Le gouvernement fédéral augmente aussi le plafond de revenus qu’un aîné peut gagner sur le marché du travail sans que son Supplément du revenu garanti soit diminué d’autant. Les Autochtones reçoivent pour leur part 4,5 milliards sur cinq ans pour bonifier les services sociaux et médicaux destinés aux enfants, augmenter l’accès à l’éducation postsecondaire et valoriser les langues autochtones. Ottawa prévoit aussi de donner accès à tous les Canadiens à l’Internet haute vitesse par un investissement de « 5 à 6 milliards », somme dont au moins le tiers est conditionnel à la participation du secteur privé.


Enfin, pour contrecarrer M. Singh lorsqu’il reproche aux libéraux d’avoir invoqué les retraités de SNC-Lavalin pour justifier les pressions exercées sur Mme Wilson-Raybould, mais de ne pas avoir pensé à ceux de Sears, qui se sont retrouvés le bec à l’eau lors de la faillite, le budget promet de resserrer les règles afin notamment de permettre aux tribunaux d’examiner les paiements versés à la haute direction avant une faillite.

M. Singh n’a pas été convaincu par les mesures libérales. « Ils donnent juste des miettes aux Canadiens », a-t-il lancé. Il estime que les incitatifs d’accès à la propriété n’aideront pas les millénariaux qui n’ont pas de REER garni, il déplore l’absence d’argent pour financer des garderies et qualifie de « demi-mesure » les gestes pour les médicaments.

La droite aussi

 

Les troupes de Justin Trudeau ont aussi pensé à leur droite. Le budget 2019 annonce une somme de 1,18 milliard de dollars pour les cinq prochaines années afin de répondre à l’afflux de migrants irréguliers. La somme servira à renforcer la frontière de manière générale en ajoutant du personnel autant de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) que de l’Agence des services frontaliers (ASF) ainsi que des caméras de surveillance. Le montant servira aussi à financer des missions de fonctionnaires dans les pays générateurs de migrants irréguliers afin de faire la pédagogie du système canadien et surtout donner l’heure juste quant à leurs chances réelles d’être acceptés par le Canada.


Toutefois, cette somme n’inclut pas de bonification de l’indemnité aux provinces, dont le Québec, accueillant ces migrants. La négociation est encore en cours. De manière générale, Ottawa reconnaît que l’afflux de migrants irréguliers demeurera élevé pour encore deux ans. On budgète donc pour 50 000 personnes au lieu de 26 000. Enfin, le budget indique qu’on créera trois nouveaux postes de juges fédéraux pour traiter plus rapidement les demandes.

Le budget comprend par ailleurs une pléiade de mesures destinées à des clientèles très ciblées. On promet d’éliminer la TPS sur les ovules utilisés en procréation assistée ainsi que sur les appareils destinés aux soins des pieds. On offre 12 millions sur trois ans à un organisme favorisant l’intégration des personnes autistes et un demi-million pour améliorer l’accessibilité des guichets automatiques. On injecte 22 millions sur trois ans pour lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants en ligne. Ottawa reconnaît également « le besoin démontré d’un point de passage supplémentaire » à Ottawa-Gatineau et s’engage à mettre à jour les études existantes sur la construction d’un nouveau pont entre les deux villes frontalières.

Le chef bloquiste a déploré l’absence de mesures dans le budget pour répondre aux demandes du Québec. Ce budget est conçu à son avis pour qu’Ottawa puisse « multiplier la distribution d’enveloppes avec des chèques avec des petits drapeaux du Canada dans le coin entre maintenant et l’élection ».


Avec Marie Vastel  

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