Justin Trudeau, une marque entachée

La crise autour de SNC-Lavalin et des démissions de Jody Wilson-Raybould et de Jane Philpott aura-t-elle permis de révéler que Justin Trudeau est un « faux féministe » ? Les conservateurs l’affirment sans ambages. Et sans aller aussi loin, plusieurs observateurs notent qu’elle affecte assez brutalement l’image de marque que le premier ministre a bâtie.
« Deux femmes qui étaient perçues comme des vedettes… c’est sûr que ça va nuire à l’image de marque de M. Trudeau », reconnaissait mardi l’ancienne ministre libérale Sheila Copps en entretien avec Le Devoir.
Cela parce que ces deux politiciennes symbolisaient le projet de réconciliation avec les Autochtones en plus d’incarner concrètement cet engagement d’un féminisme appliqué partout.
Avec leurs sorties fracassantes, « on touche le coeur de trois marques, estime Thierry Giasson, du Groupe de recherche en communication politique. Celle du gouvernement Trudeau, celle du Parti libéral du Canada et celle de Justin Trudeau personnellement », dit-il en énumérant différentes valeurs tournant autour de la diversité, de la transparence, de la réconciliation, etc.
Or, « la marque est fondamentale en politique, soutient M. Giasson. C’est ce qui crée le lien de confiance avec les électeurs. Si la marque est entachée, le lien de confiance l’est également. Et Justin Trudeau ne semble pas saisir l’importance de cela. »
Au moment de présenter son Conseil des ministres paritaire, M. Trudeau avait marqué les esprits en situant ce symbole comme une évidence : ce fut le fameux « Parce qu’on est en 2015 ». « La nomination de Jody Wilson-Raybould s’inscrivait totalement dans ce cri du coeur de 2015, pense Thierry Giasson. Ce n’était pas juste la parité, il y avait toute cette question de mettre une femme autochtone à la tête d’un ministère majeur. » Tout comme la nomination de la très respectée Jane Philpott comme ministre aux Services autochtones avait envoyé le signal de l’importance que revêt cet enjeu pour Justin Trudeau, note-t-il.
Un problème avec les femmes ?
Or, la démission de Mme Philpott lundi a été perçue par plusieurs comme la preuve que M. Trudeau n’arrive pas à appliquer ce qu’il prétend défendre. Dans le National Post, la chroniqueuse Christie Blatchford se questionnait mardi sur le sens à donner au départ des deux ministres-vedettes.
« Soit le premier ministre a un problème avec les femmes, soit les femmes sont simplement plus braves et ont plus de principes que les autres membres du caucus, soit la manière dont la politique est pratiquée sous le gouvernement Trudeau laisse certaines des femmes qui se sont présentées pour lui profondément désillusionnées et tristes. »
Dans le Toronto Star, Susan Delacourt écrivait que les événements récents sont la preuve que, « oui, les femmes font de la politique différemment dans ce gouvernement — mais pas de la manière anticipée par M. Trudeau ». Une chroniqueuse du magazine Maclean’s ajoutait qu’il « est complètement inédit de voir deux femmes puissantes être les actrices principales d’une histoire qui paralyse la capitale ».
« Quand vous incluez des femmes, ne vous attendez pas au statu quo, a quant à elle affirmé lundi la députée libérale Celina Caesar-Chavanne (qui s’est signalée par des sorties remarquées en faveur de Mme Wilson-Raybould récemment). Attendez de nous que nous prenions les bonnes décisions, que nous nous tenions debout et que nous partions quand nos valeurs sont compromises. Merci Jane Philpott d’avoir exprimé cela si bellement. »
L’expérience
Les départs des deux ministres touchent le « coeur de ce qui devait être la marque de ce gouvernement — plus ouvert aux femmes, aux Autochtones et aux recrues », avançait aussi Susan Delacourt dans sa chronique de mardi.
Mais selon Sheila Copps, il faut « regarder ça sous un autre angle ». « Je veux bien que ce soit deux vedettes, deux femmes très respectées, dit-elle. Mais les deux n’avaient aucune expérience politique avant d’entrer au cabinet. Quand on a fait la politique sur le droit d’auteur [au milieu des années 1990], on avait 80 lobbyistes, 150 réunions… Mais là, il y a 11 rencontres et Mme Wilson-Raybould se fâche puis démissionne ? Je trouve que tout le processus est bizarre. »
Thierry Giasson pense pour sa part que ce serait une fort mauvaise ligne pour les libéraux de présenter Mme Wilson-Raybould comme quelqu’un de « naïve politiquement ». « Dans son témoignage devant le Comité de la justice, elle a souligné qu’on lui avait demandé d’aller chercher des avis externes, ce qui sous-entendait qu’on remettait en question sa compétence. Et cela nous ramène au symbole qu’elle incarne — une femme, une Autochtone — et à tout le discours infantilisant que la politique a souvent réservé à ces deux groupes. »
Machisme
Sur ces enjeux, les conservateurs ont tranché : pour eux, il est clair que l’attitude du premier ministre à l’égard de Jody Wilson-Raybould trahit une forme de machisme.
« Chercher à détruire psychologiquement une femme forte et agir ainsi à la demande d’un faux féministe qui se sert des femmes au lieu de les soutenir, c’est faire reculer la cause des femmes », a affirmé en Chambre la députée Michelle Rempel le 28 février.
Mme Rempel a aussi établi un lien entre l’actuelle situation et… le mouvement #MoiAussi sur les agressions sexuelles. « Au cours de la dernière année, le débat sur les droits des femmes a tourné essentiellement autour de la nécessité de croire leur version des faits », a-t-elle rappelé.
Dans le cas présent, « l’ancienne procureure générale a présenté des preuves […], mais le premier ministre affirme néanmoins qu’on ne devrait pas la croire. Pourquoi le premier ministre dit-il aux Canadiens que nous devrions croire toutes les femmes, sauf celles qui l’accusent »?