Chine: John McCallum ou le rôle d'un ambassadeur en terrain miné

L’actuel ambassadeur du Canada en Chine, John McCallum, est un ancien politicien qui cumule plusieurs postes de ministres dans différents gouvernements libéraux, dont celui de Justin Trudeau.
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne L’actuel ambassadeur du Canada en Chine, John McCallum, est un ancien politicien qui cumule plusieurs postes de ministres dans différents gouvernements libéraux, dont celui de Justin Trudeau.

L’ambassadeur du Canada en Chine, John McCallum, est-il allé trop loin en commentant le dossier hyperdélicat de la dirigeante de Huawei ? La question divise d’anciens diplomates… et permet d’éclairer la réalité du travail diplomatique.

Laissons John McCallum juger lui-même sa sortie controversée de cette semaine : « En tant qu’ambassadeur du Canada en Chine, je n’ai aucun rôle à jouer dans l’évaluation des arguments [juridiques du dossier de Meng Wanzhou], ni à me prononcer sur le processus d’extradition. »

C’est pourtant précisément ce que l’ancien ministre libéral a fait en début de semaine, en conférence de presse devant des médias sino-canadiens, dans la circonscription ontarienne qu’il a longtemps représentée. M. McCallum a alors énuméré une liste de « solides arguments [que le clan Meng devrait] faire valoir devant un juge » canadien pour éviter une extradition vers les États-Unis. Notamment : la politisation de son dossier par le président américain Donald Trump.

« Je suis désolé que mes propos ayant trait aux procédures judiciaires concernant Mme Meng aient semé la confusion, a-t-il ajouté dans une lettre de contrition publiée jeudi. Je me suis mal exprimé. Ils ne reflètent pas fidèlement ma position sur la question. Comme le gouvernement l’a toujours dit clairement, il n’y a eu aucune intervention politique dans ce dossier. »

Guy Saint-Jacques, prédécesseur de M. McCallum en Chine, « présume que le but de son intervention était d’expliquer la position du gouvernement, de rappeler qu’on est pris avec un problème qu’on aurait voulu éviter, mais que le Canada est un État de droit et qu’on a un traité d’extradition à respecter avec les États-Unis. C’était ça, le message… et il aurait dû s’en tenir à ça. »

Car, selon lui, l’ambassadeur est allé trop loin en « faisant la job des avocats » de Meng Wanzhou, dont l’arrestation en décembre a provoqué une crise diplomatique entre Ottawa et Pékin.

Photo: Darryl Dyck La Presse canadienne La directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, lors de son arrestation à Vancouver, en décembre

« Quand on intervient publiquement comme ambassadeur, on doit faire preuve de retenue, éviter de s’immiscer dans des processus complexes, soutient M. Saint-Jacques. John McCallum aurait pu rappeler qu’on a un système transparent et impartial, que Meng Wanzhou a de bons avocats, qu’elle a été relâchée, etc. Mais quand je l’ai entendu spéculer, je me suis dit : “Mon Dieu, qu’est-ce qu’il fait ?” »

L’ancien diplomate estime que M. McCallum a « mis le ministre de la Justice dans une position difficile » avec sa sortie. Au lendemain de l’arrestation de Mme Meng, la ministre Judy Wilson-Raybould (remplacée depuis par David Lametti) avait rappelé que ce serait à elle de prendre la décision finale d’autoriser une extradition, suivant la recommandation des tribunaux. « Ce n’était pas à l’ambassadeur de laisser entendre qu’il y avait des raisons politiques à l’arrestation de Mme Meng », dit Guy Saint-Jacques.

Rôle de porte-parole

 

« Diplomate en résidence » des Hautes Études internationales de l’Université Laval, l’ex-ambassadeur Pierre Guimond rappelle pour sa part que c’est « tout à fait la job d’un ambassadeur d’intervenir dans un dossier primordial — il est toujours impliqué dans les relations bilatérales importantes ».

Quand on intervient publiquement comme ambassadeur, on doit faire preuve de retenue, éviter de s’immiscer dans des processus complexes

« L’ambassadeur est le porte-parole du gouvernement dans son pays hôte », souligne-t-il. Il dispose d’une « bonne marge de manoeuvre » quand vient le temps de représenter le Canada auprès des médias et des dirigeants du pays où il est affecté. « Mais c’est sûr qu’il y a une zone grise quand l’ambassadeur parle depuis le Canada sur des enjeux bilatéraux délicats », reconnaît M. Guimond.

« Son boulot n’est généralement pas de faire des déclarations dans son pays d’origine… même si ça peut l’être. Dans ce cas, il ne faut pas oublier qu’il demeure un porte-parole du gouvernement canadien, et que son auditoire demeure le gouvernement où il est en poste. »

Ambassadeur du Canada en Chine de 1990 à 1994, Fred Bild est de ceux qui ont trouvé acceptable la sortie de John McCallum, à quelques nuances près. « L’analyse qu’il a faite de la force de la plaidoirie de défense de Mme Meng était parfaitement valable, pense-t-il. Tous les points qu’il a soulignés étaient corrects et je n’y vois rien d’extraordinaire par rapport à ce qu’est le travail d’un ambassadeur — c’est-à-dire notamment d’expliquer au gouvernement de son pays hôte comment fonctionne [le Canada]. »

« L’esprit de son intervention était de rappeler que nous ne cherchions pas à emprisonner Meng Wanzhou, mais à nous acquitter de notre obligation par rapport au traité d’extradition. »

Plus politique ?

En demandant cette semaine le congédiement de John McCallum, le chef conservateur Andrew Scheer affirmait qu’il était « tout à fait inacceptable que l’ambassadeur, un ancien ministre libéral occupant un poste politique, s’ingère dans une affaire juridique indépendante ».

La nomination de M. McCallum comme ambassadeur était forcément politique. Mais cela donne-t-il une couleur nécessairement politique à tout ce qu’il fait ? Pierre Guimond relève qu’une « fois nommés, tous les ambassadeurs sont égaux, et leur mandat est le même. Ce sont des employés de l’État qui agissent sur instruction pour faire leur travail. »

Fred Bild pense que ça ne change pas grand-chose aux yeux des Chinois. « Ils nous ont toujours donné la valeur d’avoir notre gouvernement derrière nous. » « La proximité de certains ambassadeurs avec le chef de l’État peut peut-être changer la dynamique des relations, ajoute M. Guimond. Mais le travail est le même. »

« Quand j’ai rencontré M. McCallum [pour la passation des pouvoirs], je lui ai dit : si vous pensez que les Chinois vont trouver que c’est une bonne nouvelle [qu’il vienne du cabinet Trudeau], je peux vous dire qu’ils s’en foutent complètement et que ça ne vous donnera pas un meilleur accès qu’à tout autre ambassadeur », affirme pour sa part Guy Saint-Jacques.

Plus largement, ce dernier estime que les nominations politiques dans des postes stratégiques d’ambassadeur « comportent un risque ». « Il faut être bien préparé pour être ambassadeur, dit-il. Beaucoup arrivent là en pensant que ce sera la belle vie, avec une belle résidence, pas trop de pression, des réceptions… J’ai prévenu John McCallum qu’il aurait des cas consulaires pénibles à gérer, des messages difficiles à transmettre. Ce n’est pas une sinécure. »

Avoir des ambassadeurs sans expérience en poste à Paris (Isabelle Hudon), à Pékin, à Berlin (Stéphane Dion) ou à Washington (David MacNaughton) semble indiquer, selon M. Saint-Jacques, que « Justin Trudeau n’apprécie pas pleinement la valeur ajoutée d’un ambassadeur professionnel qui va parler la langue du pays, comprendre les coutumes et être bien préparé pour gérer des situations délicates ».

Et en matière de situation délicate, le cas Meng se qualifie aisément, conviennent les trois ex-ambassadeurs…



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