Une déclaration d'impôt unique ferait perdre des emplois

Le premier ministre François Legault reconnaît que son projet d’instaurer une déclaration de revenus unique gérée par le Québec entraînerait de nombreuses pertes d’emplois dans la province. Mais, selon lui, cela permettrait de dégager des budgets pour en créer d’autres, dans des domaines plus prioritaires, comme l’éducation.
M. Legault rencontrait son homologue fédéral en matinée jeudi en marge de la retraite du cabinet de Justin Trudeau à Sherbrooke. Il a réitéré sa demande de fusionner les déclarations de revenus fédérale et provinciale que remplissent chaque année les Québécois. M. Trudeau a fermé la porte à cette idée en mai dernier, rappelant que dans le reste du Canada, où il n’existe qu’une seule déclaration de revenus, celle-ci est gérée par le gouvernement fédéral et non par la province.
En outre, Ottawa fait remarquer que l’harmonisation des déclarations de revenus entraînerait des pertes d’emplois. L’Agence du revenu du Canada dit employer 5300 personnes au Québec, en particulier dans des régions où la situation de l’emploi est plus précaire, comme Shawinigan (1360 personnes) et Jonquière (1000).
M. Legault a dit jeudi que « c’est certain » qu’il y aurait des pertes d’emplois. « Quand on dit qu’il y a 500 millions de dollars de dédoublement, ce sont essentiellement des emplois », a-t-il déclaré en point de presse après sa rencontre d’une vingtaine de minutes avec M. Trudeau. « Si on a deux groupes d’employés qui font la même chose et qu’on pourrait seulement avoir un groupe d’employés qui fait le travail des deux groupes, cet argent-là pourrait être investi pour créer des emplois, par exemple, en éducation, en innovation, dans des domaines où ce serait productif et efficace. » Le premier ministre a pris soin de rappeler que le seul groupe d’employés qui demeurerait serait celui de Revenu Québec.
Mais est-il réaliste de penser que les personnes travaillant à Shawinigan dans le recouvrement fiscal pourraient du jour au lendemain devenir enseignants au primaire, par exemple ? « On a des universités, des collèges, on pourrait investir davantage dans l’éducation et l’innovation », a répondu M. Legault, ajoutant qu'« on pourrait remplacer ces emplois par d’autres emplois qui seraient plus utiles pour les Québécois ».
Selon M. Legault, le terrain politique est fertile pour écouter la demande de Québec. « Vous savez qu’Andrew Scheer [le chef du Parti conservateur et adversaire de Justin Trudeau] est d’accord avec la déclaration de revenus unique gérée par le gouvernement du Québec. Il y a une élection fédérale en 2019. Ai-je besoin de vous expliquer ça en détail ? »
Le ministre fédéral François-Philippe Champagne, qui représente la circonscription englobant Shawinigan, a invoqué les emplois de l’ARC dans sa région pour expliquer sa tiédeur envers la déclaration de revenus unique. « Vous verrez toujours un ministre comme moi qui vient d’une région défendre des emplois comme ça en région. »
Il se dit néanmoins ouvert à toute proposition visant à alléger les obligations administratives des Québécois. Le ministre responsable des relations fédérales-provinciales, Dominic Leblanc, a tenu le même discours. « Si on peut se mettre d’accord avec le gouvernement du Québec de n’importe quelle façon pour alléger ou simplifier les obligations qu’ont les Québécois en matière de déclaration de revenus, on reconnaît que c’est une priorité. Mais on a exprimé des inquiétudes concernant les 5000 Québécois qui travaillent pour l’Agence du revenu du Canada au Québec, dans 14 centres différents, et qui traitent des déclarations de revenus pas uniquement du Québec. »
Harmonisation non nécessaire
François Legault a par ailleurs soutenu qu’il ne serait pas nécessaire de changer les règles fiscales québécoises pour instaurer une déclaration fiscale unique. Un des arguments contre l’instauration d’une telle déclaration unique est que les règles fiscales au fédéral et au Québec ne sont pas identiques : les paliers d’imposition ne sont pas les mêmes et les crédits d’impôt (pour les frais médicaux, les intérêts sur les prêts étudiants, les cotisations syndicales, les dons ou encore les pompiers volontaires) ne sont pas déductibles dans les mêmes proportions. Ne faire qu’une déclaration impliquerait d’harmoniser toutes ces règles, faisant perdre de l’autonomie fiscale à l’un ou l’autre des paliers gouvernementaux. M. Legault assure que cela n’est pas inéluctable.
« Il n’est pas question de forcer ni le gouvernement à Québec ni le gouvernement fédéral à complètement s’harmoniser, soutient M. Legault. On peut très bien avoir une déclaration de revenus où il y a des déductions différentes pour le calcul du revenu imposable à Québec et à Ottawa. »
En Ontario, où il existe une déclaration de revenus unique, la déclaration fédérale comprend une annexe pour calculer l’impôt dû à la province qui fait… quatre pages, auxquelles s’ajoutent des grilles de calcul, exactement comme pour la déclaration distincte du Québec.
Et l’immigration
Par ailleurs, la rencontre entre M. Legault et M. Trudeau a été l’occasion de discuter d’immigration. Le gouvernement du Québec demande une compensation financière bonifiée pour l’accueil des migrants irréguliers au chemin Roxham. Il veut réduire les seuils d’immigration de 20 % en plus d’imposer un test de valeurs aux immigrants économiques et un test de français aux migrants dans la catégorie de la réunification familiale.
M. Legault est ressorti de la rencontre avec l’espoir que ces enjeux seront réglés rapidement. « Concernant l’immigration, ce que je comprends, c’est que M. Trudeau est en réflexion, nous dit qu’on devrait avoir bientôt des nouvelles pour baisser temporairement les seuils d’immigration, ajouter des tests de français et des tests de valeurs dans le choix des prochains immigrants. »
Le gouvernement de M. Legault planifie une retraite de son propre cabinet dans deux semaines à Gatineau. On espère, en coulisse, que ces questions seront réglées à ce moment.