Justin Trudeau déplore la déclaration de Legault sur l’«énergie sale»

À six mois des prochaines élections, Justin Trudeau prédit que son plus grand défi sera de rivaliser avec les «politiques d’émotion» et les «solutions faciles» brandies par des politiciens populistes.
Photo: Jake Wright Le Devoir À six mois des prochaines élections, Justin Trudeau prédit que son plus grand défi sera de rivaliser avec les «politiques d’émotion» et les «solutions faciles» brandies par des politiciens populistes.

Justin Trudeau estime que François Legault a commis un impair en qualifiant le pétrole albertain d’« énergie sale ». Son commentaire avive les tensions entre les régions du pays, analyse le premier ministre, qui croit que son rôle consiste justement à apaiser celles-ci.

« Je trouve que ce ne sont pas des commentaires qui contribuent à l’unité canadienne », a lancé M. Trudeau au cours d’une entrevue avec le bureau parlementaire du Devoir mardi après-midi. « Je l’ai appris tout au long de ma carrière. On peut certainement regarder des moments quand j’étais à mes débuts en politique où je ne choisissais peut-être pas les bons mots tout à fait », admet le premier ministre. Mais il note qu’il essaie, depuis, « de ne pas dire des choses qui vont enflammer les tensions entre les régions ».

M. Trudeau croit que « les Québécois apprécient et comprennent […] l’importance de démontrer aux Albertains qui souffrent tellement maintenant, à cause de la perte de milliards de dollars par année de leur économie et par extension de l’économie canadienne, qu’on est là pour essayer de les appuyer dans leur moment de difficulté ».

Les tensions au sein de la fédération ont été exacerbées, il y a dix jours, lorsque les premiers ministres fédéral et provinciaux se sont réunis à Montréal. Les premiers ministres de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick — Rachel Notley, Scott Moe et Blaine Higgs — espéraient y convaincre François Legault de ressusciter le projet d’oléoduc Énergie Est afin de transporter le pétrole de l’Ouest canadien vers les Maritimes. M. Legault a plutôt rejeté l’idée, faisant valoir qu’il préférait mousser l’hydroélectricité verte du Québec et non l’« énergie sale » de l’Alberta.

Il n’en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres. L’hostilité entre l’Alberta et le Québec s’est envenimée depuis. M. Moe a rabroué le Québec en entrevue radiophonique, arguant que ce pétrole « sale » permettait au Québec d’empocher ses 13 milliards de dollars en paiement de péréquation. L’ancien chef du parti albertain Wildrose Brian Jean a appelé à un boycottage des produits du Québec. Le maire de Calgary, Naheed Nenshi, a quant à lui carrément été hué, lors d’une manifestation pro-pipeline lundi, lorsqu’il a pris la parole en français pour interpeller les Québécois.

Ce climat préoccupe Justin Trudeau, qui estime que le Canada en entier doit s’unir pour soutenir l’Alberta, qui vit présentement une crise. « La responsabilité du premier ministre est de garder le pays intact et ensemble, [présents] les uns pour les autres. […] Cette tendance de jouer une région contre une autre, j’ai toujours été très clair que c’était une mauvaise idée pour le Canada. »

Le gouvernement fédéral a d’ailleurs annoncé, mardi, qu’il accorderait 1,6 milliard de dollars pour aider les entreprises énergétiques en difficulté à acheter de nouveaux équipements et à se diversifier. Faute d’oléoducs débouchant sur les côtes, l’Alberta se voit contrainte de vendre son pétrole aux États-Unis, qui, bien au fait de leur position stratégique, achètent le produit à vil prix. L’Alberta chiffre à 80 millions par jour la perte occasionnée par ce rabais.

Cette aide à l’industrie pétrolière, combinée à l’achat de l’oléoduc Trans Mountain, mais aussi à la promesse rompue en matière de réforme électorale, n’est-elle pas de nature à déplaire à la frange plus progressiste de l’électorat qui avait accepté en 2015 de donner une chance au Parti libéral du Canada ? M. Trudeau reconnaît le danger. Il note toutefois que les progressistes ne sont pas les seuls mécontents dont il faut tenir compte.

« Je ne peux pas aller en Alberta sans avoir des manifestations énormes contre moi. Alors, si mon but était d’être populaire un peu partout, j’ai le pire résultat. Mais ce n’est pas ça, mon but. »

Ford en guise de leçon

 

À six mois des prochaines élections, d’ailleurs, Justin Trudeau prédit que son plus grand défi sera de rivaliser avec les « politiques d’émotion » et les « solutions faciles » brandies par des politiciens populistes.

À cet égard, il évoque le cas de Doug Ford en Ontario comme une illustration des limites potentielles d’un tel discours. « Je me dis que d’ici les prochaines élections fédérales, les gens vont peut-être voir qu’il y a beaucoup de promesses que M. Ford a faites qui étaient faciles à faire, mais qui sont moins faciles à livrer. Et qu’il fait d’autres choses qu’il n’avait pas du tout promises. »

Cette déception, M. Trudeau laisse même entendre qu’il pourrait en tirer profit lors de l’élection de l’automne prochain. Car il considère que les conservateurs d’Andrew Scheer ont la même stratégie en critiquant les politiques libérales sans promettre de solutions de rechange. « Une réflexion sur le populisme en Ontario pourrait peut-être amener des gens à avoir une réflexion un peu plus positive à notre égard », dit-il à propos du Parti libéral.

Mais que répond-il à ceux qui disent qu’il se fait moralisateur lorsqu’il parle ainsi, en rejetant parfois d’emblée le discours de ses opposants sans prendre acte des préoccupations citoyennes qui en sont peut-être à l’origine ? Le premier ministre persiste et signe, rappelant qu’il consulte nombre d’experts et de citoyens sur les différents enjeux de l’heure, comme les changements climatiques.

« Excusez-moi, mais ça ne me tente pas d’être doux avec les gens qui veulent complètement se désengager de nos responsabilités internationales. Ma job, en tant que premier ministre, ce n’est pas de plaire à tout le monde, de vouloir être l’ami de tout le monde. C’est d’amener le Canada, les Canadiens, à une meilleure place. »

Les peines minimales restent… pour l’instant

Justin Trudeau admet que son gouvernement n’abolira pas, comme promis en campagne électorale, les nombreuses peines minimales insérées dans le Code criminel par le précédent gouvernement conservateur. « Cela ne se fera pas dans ce mandat-ci. On a choisi de faire d’autres choses pour améliorer notre système de justice », a-t-il dit en entrevue avec Le Devoir. « Ça a été une chose qu’on regarde toujours comme une possibilité, mais qu’on n’a pas pu faire cette fois-ci. » La lettre de mandat de la ministre de la Justice stipulait pourtant qu’elle devait « réviser les changements apportés depuis dix ans à notre système de justice pénale ainsi que les réformes de la détermination des peines ». Sous le règne de Stephen Harper, les peines minimales se sont multipliées pour atteindre le nombre de 72. Elles ont contribué à embourber le système judiciaire, puisque les prévenus y faisant face ont moins tendance à plaider coupables. Certaines reliées aux armes à feu ont été invalidées par la Cour suprême du Canada.


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