Bisbille au sujet de la péréquation

Le ministre québécois des Finances, Eric Girard, ne s’émeut pas des reproches formulés par ses homologues des autres provinces à propos de la part démesurée de péréquation que touche le Québec malgré sa bonne situation budgétaire. Il y a une part d’électoralisme dans le discours, croit-il, sans compter que cette analyse ne prend pas en compte les autres formes d’aide versée par le gouvernement fédéral.
Dimanche soir, en prévision de la rencontre annuelle des ministres fédéral et provinciaux des Finances, Ottawa a révélé aux provinces la somme exacte qu’elles recevraient en 2019-2020 à titre de paiement de péréquation. Le Québec obtient 13,1 milliards de dollars de cette enveloppe totalisant 19,8 milliards, soit les deux tiers. Le Québec est historiquement le plus grand bénéficiaire de ce programme en termes absolus, mais jamais au cours des dix dernières années il n’avait atteint ce sommet de 66 % du budget total. La somme que touchera le Québec représente en outre une augmentation de 1,4 milliard par rapport à l’année en cours (+12 %). Les autres provinces recevant de l’aide sont la Nouvelle-Écosse (2 milliards), le Nouveau-Brunswick (2 milliards), l’Île-du-Prince-Édouard (419 millions) et le Manitoba (2,3 milliards). L’Ontario, qui touchait de la péréquation depuis 2009, n’en recevra plus l’année prochaine.
En arrivant à la rencontre, certaines provinces ont fait connaître leur insatisfaction. « Nous sommes préoccupés par la péréquation, a lancé le ministre terre-neuvien Tom Osborne. Nous voyons des augmentations versées à des provinces qui ont des budgets équilibrés, alors que notre province est encore en déficit. » En effet, le Québec prévoit un surplus de 1,7 milliard de dollars pour l’année à venir (après avoir consenti des allégements fiscaux) alors que Terre-Neuve ou encore l’Alberta, deux provinces pétrolières ne touchant pas de péréquation, projettent des déficits de 457 millions et de 7,5 milliards respectivement.
L’Alberta pour sa part ne digère pas que François Legault ait qualifié de « sale » son pétrole vendredi dernier à la rencontre des premiers ministres pour justifier son rejet du pipeline Énergie Est. « Il ne comprend visiblement pas ce qui est en cours dans le secteur de l’énergie en Alberta. Nous innovons pour retirer le carbone de chaque baril », a lancé le ministre Joe Ceci. À cause d’un déficit d’infrastructures pour exporter son pétrole vers des marchés autres que l’américain, l’Alberta est incapable d’obtenir un bon prix pour sa ressource. La province calcule qu’elle perd 80 millions par jour. Elle songe à acheter jusqu’à 7000 wagons pour transporter le pétrole par rail et demande une aide financière à Ottawa pour ce faire.
Au sortir de la rencontre en fin de journée hier, Eric Girard a assuré que les commentaires acerbes faits devant les caméras de télévision n’avaient pas été réitérés pendant la rencontre tenue derrière les portes closes. « Il y a une campagne électorale qui s’en vient en Alberta, et je pense que ça suscite plus d’émotion que nécessaire », analyse-t-il.
Selon M. Girard, les provinces se trompent de cible en s’en prenant à la péréquation. « Il y a des provinces qui vivent des difficultés cycliques qui demandent de l’aide au fédéral. Pour moi, la péréquation est là, mais la situation de crise en Alberta n’a rien à voir avec la péréquation. C’est malheureux, c’est difficile, j’ai de la compassion pour ce qui se passe en Alberta, mais le gouvernement de l’Alberta ne négocie pas avec le Québec pour l’achat de locomotives pour transporter plus de pétrole par rail. »
La péréquation est un programme fédéral visant à assurer un niveau de services comparable aux citoyens où qu’ils se trouvent au pays. Le calcul (extrêmement complexe et comprenant des dizaines de variables) consiste à chiffrer la capacité de chaque province à tirer des revenus de l’activité économique sur son territoire. Une province en deçà de la moyenne nationale recevra de la péréquation. Le ministre des Finances fédéral, Bill Morneau, a d’ailleurs lui aussi rejeté l’adéquation faite entre les soldes budgétaires des provinces et leur admissibilité à la péréquation. « Ce n’est pas le but du système de péréquation. »
M. Girard a rappelé que l’aide aux provinces pouvait prendre d’autres formes, notamment le Programme de stabilisation fiscale, en vertu duquel une province subissant une perte subite de ses revenus de 5 % ou plus peut recevoir d’Ottawa jusqu’à 60 $ par habitant. L’Alberta a touché 251 millions en 2016 à ce titre. Sans compter, a ajouté M. Girard, que « le gouvernement s’est impliqué en achetant le pipeline Trans Mountain [pour 4,5 milliards]. Ce n’est pas rien, ça, comme [aide] ».
Un pipeline
Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a sermonné le Québec au cours d’une entrevue radiophonique en lui rappelant que les pipelines étaient dans l’intérêt de tout le monde au pays, en particulier une province comme la sienne. « Cette province doit permettre au reste du Canada de générer de la richesse qui pourra être partagée. Quand vous empêchez cela de se produire, il y en aura un jour moins à partager. » À cela, M. Girard rétorque que le Québec a apporté sa contribution. L’inversion du flux dans le pipeline 9B, rappelle-t-il, a fait augmenter de 8 % à 40 % la part du pétrole consommée au Québec provenant de l’Ouest canadien.