Droits linguistiques: un coup de pouce d'Ottawa

La bataille autour des services francophones ontariens se transportera-t-elle sur le terrain juridique ? L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) s’est en tout cas réjouie mardi de la remise sur pied par Ottawa du Programme de contestation judiciaire, qui servira notamment pour ce type d’action.
« C’est une excellente nouvelle pour nous de voir ce programme rétabli », a indiqué au Devoir le président de l’AFO (principal représentant des Franco-Ontariens), Carol Jolin. « Dans notre cas, on va réunir jeudi des juristes [spécialisés en droits linguistiques] pour voir quelles sont les actions possibles, et si le programme peut nous aider par la suite. »
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) a aussi applaudi au retour du Programme de contestation judiciaire (PCJ), qui avait été utilisé par les opposants à la fermeture de l’hôpital Montfort il y a une vingtaine d’années. « À la lueur des événements de la semaine dernière en Ontario », il s’agissait selon la fédération d’une « urgence ».
« Les francophones de l’Ontario sont en train de s’organiser pour résister et pour faire valoir leurs droits — sans compter toutes les autres causes qui attendent déjà un peu partout au pays, a souligné le président de la FCFA, Jean Johnson. Il faut qu’ils puissent avoir accès au PCJ s’ils en ont besoin. »
Ce programme a connu une histoire mouvementée : créé en 1978, aboli en 1992, rétabli en 1994, aboli de nouveau en 2006 (mais partiellement remplacé par un autre programme d’appui aux droits linguistiques). Les libéraux fédéraux avaient annoncé en février 2017 qu’ils restauraient le PCJ, tout en élargissant son mandat.
Il aurait fallu plus de dix-huit mois pour concrétiser cet engagement : la gestion du programme a d’abord été confiée à l’Université d’Ottawa ; un comité est ensuite parti à la recherche de candidatures pour composer les deux comités d’experts indépendants du PCJ (un pour les dossiers liés aux langues officielles, l’autre pour les droits de la personne).
La ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, a confirmé mardi que la composition de ces comités est terminée. Le financement est déjà là — 5 millions par année, dont un minimum de 1,5 million réservé aux dossiers linguistiques. Ne reste qu’à élaborer les « critères d’admissibilité et les lignes directrices du financement », ce qui serait une question de « semaines ».
« Il y a aujourd’hui un outil de plus qui est à la disposition de la communauté franco-ontarienne pour se défendre devant les tribunaux », a soutenu Mme Joly en point de presse.
Plus large
Mais il n’est pas certain pour autant que les Franco-Ontariens choqués par la décision du gouvernement Ford d’annuler le projet de création d’une université francophone et d’abolir le Commissariat aux services en français se qualifieraient, a pris soin d’ajouter la ministre. Ce sera au comité d’experts d’évaluer toute demande. Pour autant qu’Ottawa soit fâché des coupes de Doug Ford — ce que le premier ministre Trudeau a réitéré mardi —, son aide à la contestation sera indirecte.
Le PCJ accorde du financement aux gens ou aux groupes qui veulent recourir au système judiciaire pour « faire valoir leurs droits linguistiques ». C’est le comité d’experts qui reçoit les demandes et évalue leur pertinence. « Au fil des ans, le programme a contribué à clarifier et à faire valoir ces droits, qui sont garantis en vertu de la Constitution canadienne », rappelait le gouvernement Trudeau mardi.
Mélanie Joly a souligné qu’il sera désormais possible de faire financer des causes touchant notamment le « soutien à la vitalité des communautés linguistiques ».
Sur le front politique, Mme Joly a autrement confirmé qu’elle aura un entretien vendredi avec Caroline Mulroney, ministre ontarienne déléguée aux Affaires francophones. Cette dernière a autrement refusé une invitation d’un comité parlementaire fédéral d’aller défendre la décision de Queen’s Park à Ottawa. Plus largement, le dossier a continué mardi d’alimenter les divisions entre conservateurs et libéraux, et ce, aux deux paliers de gouvernement.
Une cause ?
Au-delà du PCJ, des constitutionnalistes consultés par Le Devoir ne s’entendent pas à savoir si les Franco-Ontariens ont entre les mains une cause juridique.
« C’est clair que oui », pense Frédéric Bérard, codirecteur de l’Observatoire national en matière de droits linguistiques (Montréal). « Non », répond pour sa part l’autre codirecteur de cet observatoire, Stéphane Beaulac. « Je crois qu’en principe, c’est un oui pour l’université, mais que ce serait plus compliqué pour le Commissariat », avance Érik Labelle Eastaugh, directeur de l’Observatoire international des droits linguistiques (Moncton).
« Il y a des similitudes avec le cas de Montfort, selon M. Bérard. On a protégé l’hôpital en vertu de l’article 16 de la Charte canadienne — qui consacre l’égalité du français et de l’anglais —, pour arriver à la conclusion qu’on ne pouvait réduire les services aux francophones. Il me semble que le même raisonnement peut s’appliquer pour le rôle du commissaire », dont les fonctions seront transférées vers l’Ombudsman.
M. Labelle Eastaugh voit lui aussi des ressemblances avec Montfort… mais pour le cas de l’université, cette fois. « Si c’est une décision administrative, comme dans le cas de Montfort, elle peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire pour voir si cela se fait dans le respect du droit et des principes de la Constitution. »
Stéphane Beaulac estime quant à lui que « les protections constitutionnelles n’incluent pas le fait d’avoir un Commissaire aux services en français, ou une université en français ».
Le débat que l’AFO tiendra jeudi s’annonce ainsi contrasté… et ses conclusions, incertaines.