Incidents à caractère sexuel dans l’armée: les effets pervers de l’opération «Honour»

Selon le vérificateur général, plusieurs victimes ont préféré se taire «de peur de déclencher un processus officiel».
Photo: Sean Kilpatrick Archives La Presse canadienne Selon le vérificateur général, plusieurs victimes ont préféré se taire «de peur de déclencher un processus officiel».

Dans la foulée des révélations concernant l’omniprésence des comportements sexuels inappropriés dans les Forces armées canadiennes, l’opération Honour a été mise en place. Trois ans plus tard, le vérificateur général constate que celle-ci a eu un effet pervers : la sous-déclaration des incidents.

Dans son rapport déposé mardi, Michael Ferguson rappelle que la grande opération militaire d’éradication des comportements inappropriés comprend le « devoir de signaler ». Toute personne au fait d’un incident, dont la victime elle-même, doit le dénoncer à un supérieur. Et comme aucune définition de ce que constitue un « incident » n’a été fournie, l’obligation s’applique à « à peu près tout, de la blague à l’agression sexuelle ».

Ce manque de clarté et de nuances a eu deux conséquences : la sous-déclaration des incidents et « l’alourdissement du fardeau administratif » des autorités responsables de gérer les cas.

En effet, note le rapport de M. Ferguson, certaines victimes « voulaient simplement que cesse le comportement reproché. Elles préféraient que l’incident soit réglé par le superviseur de l’auteur présumé du comportement. Certaines victimes voulaient simplement recevoir des excuses ou désiraient que quelqu’un avise l’auteur présumé que son comportement était inacceptable ». Mais comme cette option n’était pas possible, plusieurs victimes ont préféré se taire « de peur de déclencher un processus officiel ». Ainsi, des commandants se sont trouvés dans un « dilemme éthique » : respecter leur obligation de signaler le comportement inapproprié ou respecter la volonté de la victime de ne pas porter plainte officiellement.

De plus, note le rapport, comme la définition du comportement sexuel inapproprié est très large, même des cas plus légers comme une blague inappropriée ont été signalés à la police militaire. « La police militaire n’avait pas suffisamment de ressources pour faire face à l’alourdissement de sa charge de travail, ce qui a causé des arriérés et des retards dans le traitement des plaintes. » Le vérificateur général recommande donc aux Forces armées canadiennes de définir plus clairement quel type d’incident doit être rapporté à quelles autorités compétentes.

Du soutien inadéquat et des règles incohérentes

 

Par ailleurs, le vérificateur général note que le soutien offert aux victimes varie grandement d’une région à l’autre. Le soutien en personne, en particulier, est plus difficile à obtenir en raison du nombre limité d’heures d’ouverture. Les Forces s’engagent à établir un niveau minimal de service qui devra être fourni partout.

Le vérificateur général note aussi que les dossiers ne se règlent pas toujours dans les temps voulus. Après analyse d’un échantillon représentatif de 46 cas, il note que 31 d’entre eux se sont réglés en sept mois en moyenne. L’obligation était de régler les cas dans les 30 jours, mais cette obligation a été abolie cet été et remplacée par l’obligation de régler le cas « le plus rapidement et le plus efficacement possible ».

Les dossiers n’ont pas non plus été traités de manière uniforme. La sanction imposée au contrevenant « variait grandement ». Le vérificateur général note en effet que le commandant de l’auteur de l’incident a « toute latitude pour décider du genre d’activité que l’auteur devra réaliser comme mesure corrective ». Cela peut aller de l’obligation de suivre des séances de formation à la rédaction d’une dissertation. Ce manque d’uniformité, note M. Ferguson, pourrait mener les victimes et les auteurs des incidents à « juger que le processus n’est pas équitable ». M. Ferguson constate aussi que dans « bon nombre de cas », la chaîne de commandement n’avait pas avisé la victime si des mesures administratives avaient été prises contre son agresseur. « Les militaires pourraient avoir pensé qu’aucune mesure n’a été prise », écrit-il.

Par ailleurs, le vérificateur général a été étonné de constater que les formateurs offrant des séances de sensibilisation au comportement sexuel inapproprié n’étaient pas toujours compétents. « De l’avis général, les formateurs étaient eux-mêmes souvent complices de comportements sexuels inappropriés », indique le rapport. M. Ferguson demande qu’on évalue les formations données pour s’assurer qu’elles soient adéquates.

Le vérificateur général souligne en conclusion que les membres des forces armées se sont plaints que la définition de comportement inapproprié était « trop vaste » et que l’opération Honour « avait créé un climat de crainte et de frustration et qu’elle avait miné l’esprit de camaraderie. Certains craignaient toute interaction sociale, même la plus simple, de peur de se retrouver accusés d’avoir eu un comportement sexuel inapproprié ». « Les militaires nous ont en effet expliqué qu’ils étaient moins à l’aise et en confiance lorsqu’ils travaillaient ensemble. »

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