Filles-mères: Ottawa sommé de s’excuser

Le Canada doit présenter ses excuses officielles aux filles-mères et aux enfants qu’elles ont été forcées de placer en adoption pendant l’après-guerre, somme un comité sénatorial. Bien que ces adoptions aient été gérées par les provinces et les organisations religieuses, le gouvernement fédéral a financé ces maisons de maternité, notent les sénateurs, et doit donc lui aussi en assumer la responsabilité.
« Chaque fois qu’un gouvernement contribue à la violation de droits de la personne, il devrait s’excuser », a tranché le sénateur Art Eggleton jeudi, en présentant le rapport « Honte à nous » du comité sénatorial des affaires sociales.
Sa collègue Chantal Petitclerc pose le même constat. « Quand il s’agit de bafouer des droits de la personne, quand il s’agit de situations comme celles-là, je ne pense pas que le premier ministre puisse trop s’excuser. […] Les excuses ne sont pas juste nécessaires. Elles sont pertinentes, elles sont utiles et elles ont un impact. »
J’espère que ce rapport va mettre un peu de pression pour une réflexion, pour des excuses, pour une reconnaissance à tout le moins du rôle qu’ont eu les différents groupes religieux
Entre 1945 et 1971, le comité sénatorial estime que près de 600 000 enfants de mères célibataires ont été jugés illégitimes et placés en adoption. Pas moins de 95 % des mères célibataires de l’époque ont dû renoncer à élever leur bébé.
Les filles-mères de l’après-guerre étaient placées dans des foyers de maternité pour mères célibataires. « Ces mères étaient souvent victimes de violence verbale et émotive, avaient un contact limité avec le monde extérieur et, dans plusieurs cas, n’ont jamais eu le droit de voir leur bébé », a relaté le sénateur Eggleton.
L’exemple australien
Son comité s’est inspiré des excuses officielles présentées en Australie, il y a cinq ans, aux mères célibataires qui y ont subi le même sort. L’aveu du gouvernement a fait boule de neige et les États du pays se sont ensuite excusés à leur tour, tout comme les organisations religieuses qui avaient dirigé les foyers.
« C’est ce qu’on souhaite ici aussi », a noté la sénatrice Petitclerc, qui s’est avouée déçue que les groupes religieux aient tous décliné l’invitation du comité. « J’espère que ce rapport va mettre un peu de pression pour une réflexion, pour des excuses, pour une reconnaissance à tout le moins du rôle qu’ont eu les différents groupes religieux. »
Les sénateurs réclament que le fédéral s’excuse d’ici un an et qu’il offre un soutien psychologique aux mères touchées et à leurs enfants.
Entre 300 000 et 450 000 célibataires auraient été forcées de céder ainsi leur bébé, selon Valerie Andrews de l’organisme Origins Canada, qui vient en aide aux personnes séparées par l’adoption.
Impossible de savoir combien d’entre elles sont toujours en vie. Mais leurs proches, les pères de ces bébés et les autres enfants qu’elles ont pu avoir par la suite représentent probablement près de deux millions de personnes, selon Mme Andrews, qui a elle-même été séparée de son bébé à 17 ans.
Or, le fédéral finançait ces foyers de maternité. « C’était prévu au Régime d’assistance publique du Canada à l’époque, a rappelé le sénateur Eggleton. Le gouvernement, certainement, est responsable de l’argent qu’il dépense. »
« Sentiment de vide »
Le bureau du ministre de la Famille et du Développement social, Jean-Yves Duclos, ne s’est pas prononcé sur les recommandations du rapport, préférant « prendre le temps de l’étudier attentivement ». « La “rafle des bébés” est un chapitre sombre et douloureux, qui a incontestablement laissé à ces jeunes mères un héritage d’amertume et de souffrance », a consenti un porte-parole.
Eugenia Powell racontait au comité, en mars, qu’une travailleuse sociale lui avait expliqué qu’elle se marierait probablement et qu’elle oublierait ce bébé. « Comment une mère peut-elle oublier son bébé ? avait-elle déploré. Je continue à éprouver un profond sentiment de vide dans ma vie. »
Le comité réclame en outre que le fédéral collabore avec les provinces pour s’assurer qu’elles offrent toutes des dossiers d’adoption ouverts qui permettent de connaître l’identité des parents.
La nouvelle loi 113 au Québec prévoit que ces informations seront dorénavant disponibles aux enfants adoptés — à moins qu’un parent le refuse explicitement, refus qui cesserait d’avoir effet un an après son décès.