Ottawa rachète Trans Mountain pour 4,5 milliards de dollars

Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne Le ministre des Finances Bill Morneau a fait savoir mardi que le fédéral souhaite avant tout mettre un terme aux «inquiétudes» entourant la construction de l’oléoduc Trans Mountain.

Le gouvernement de Justin Trudeau a non seulement décidé de racheter l’oléoduc Trans Mountain, mais aussi le projet d’expansion de ce même pipeline, afin de garantir sa réalisation. Ottawa offrira 4,5 milliards de dollars à la pétrolière texane Kinder Morgan et promet par la suite de revendre cette nouvelle infrastructure d’exportation de pétrole des sables bitumineux.

Évoquant une mesure « exceptionnelle » prise pour « protéger » la réputation du Canada sur la scène internationale, le ministre des Finances, Bill Morneau, a fait savoir mardi que le gouvernement fédéral souhaite avant tout mettre un terme aux « inquiétudes » entourant la construction de cet oléoduc.

Le gouvernement Trudeau s’est donc entendu avec la pétrolière Kinder Morgan pour racheter le pipeline Trans Mountain, en fonction depuis les années 1950, toutes les infrastructures connexes, mais aussi le projet d’expansion de ce même oléoduc.

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Pour mettre la main sur ces actifs pétroliers, Ottawa investira 4,5 milliards de dollars de fonds publics, par l’entremise d’Exportation et Développement Canada. « Cet investissement comporte un prix équitable pour les Canadiens et les actionnaires de l’entreprise », a souligné le ministre des Finances, dans le cadre d’un point de presse tenu mardi en compagnie du ministre des Ressources naturelles, Jim Carr.

« Notre gouvernement estime que l’entente commerciale que nous avons conclue avec Kinder Morgan constitue la meilleure façon de protéger des milliers de bons emplois bien rémunérés tout en générant, pour les Canadiens, un bon rendement du capital investi. Il s’agit d’un investissement dans l’avenir du Canada », a aussi fait valoir Bill Morneau.

Le ministre n’a pas voulu s’avancer sur une éventuelle augmentation de la facture pour le gouvernement, au-delà des 4,5 milliards de dollars promis à Kinder Morgan. Selon Ottawa, ce montant serait le maximum à débourser. Le coût total de la construction a néanmoins été évalué à 7,4 milliards de dollars par la pétrolière.

Pipeline à vendre

Avec ce plan de sauvetage d’un projet controversé et rejeté par le gouvernement de la Colombie-Britannique, le fédéral espère que la construction du projet d’expansion de Trans Mountain reprendra dès cet été.

Le ministre Morneau a toutefois assuré que le gouvernement ne souhaite pas demeurer propriétaire de ces infrastructures à long terme. Le fédéral compte ainsi, « au moment opportun », les revendre « à un ou à plusieurs nouveaux propriétaires ».

Idéalement, le gouvernement Trudeau souhaite même trouver un nouvel acquéreur d’ici le mois d’août. Ottawa promet du même souffle d’offrir une « indemnité fédérale en vue de protéger tout nouveau propriétaire éventuel contre les coûts associés aux retards attribuables à des actes politiques ».

Vives réactions

 

Les partisans du projet d’expansion de Trans Mountain ont immédiatement salué le geste du fédéral. La première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, a d’ailleurs insisté sur la création d’emplois liée à la construction du nouveau pipeline, tout en affirmant que l’exploitation à long terme de cette infrastructure peut aller de pair avec l’action contre les changements climatiques.

« Nous sommes heureux d’avoir abouti à cette entente sur une transaction qui sera avantageuse pour les Canadiens, les transporteurs du projet d’expansion de Trans Mountain et les actionnaires de Kinder Morgan », a pour sa part souligné Steve Kean, le président et chef de la direction de Kinder Morgan.

Les groupes environnementaux ont tous, à l’opposé, dénoncé cette décision du gouvernement Trudeau. « Le gouvernement Trudeau se met à la barre du Titanic des pipelines de sables bitumineux qui ne peut qu’entrer en collision frontale avec ses engagements de réconciliation avec les Premières Nations et de respect de l'Accord de Paris », a affirmé le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin.

« Peu importe qui construit ce pipeline, cela ne change rien aux risques qu’il pose pour le climat, l’environnement, l’économie et les droits des Autochtones, a insisté Steve Cornish, chef de la direction de la Fondation David Suzuki. […] Ce n’est pas le moment d’investir des fonds publics dans les énergies fossiles justement quand le reste du monde se tourne massivement vers les énergies propres. »

Avant d’être élus, en 2015, les libéraux de Justin Trudeau avaient promis de mettre un terme aux subventions au secteur des énergies fossiles.

Inquiétudes

 

Avec l’expansion du pipeline Trans Mountain, quelque 325 millions de barils de pétrole des sables bitumineux seraient transportés chaque année de l’Alberta aux côtes de la Colombie-Britannique, en vue de l’exportation vers les marchés asiatiques.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique s’oppose toutefois au projet. Victoria a même demandé récemment à la Cour d’appel de la province de reconnaître son droit de légiférer pour protéger son territoire contre la « menace » d’un déversement de pétrole. Les démarches juridiques lancées par la Colombie-Britannique visent précisément à restreindre le transport de pétrole brut sur son territoire.

Il faut dire que ce projet ferait passer la capacité quotidienne de transport de 300 000 barils à 890 000 barils. Pour exporter tout ce pétrole des sables bitumineux, jusqu’à 34 pétroliers quitteraient chaque mois un port situé à Burnaby, en banlieue de Vancouver, contre 5 pétroliers actuellement. Or, soutient Victoria, « un seul déversement menacerait des milliers d’emplois en Colombie-Britannique ».

Dans une lettre envoyée le mois dernier à son homologue de la Colombie-Britannique, George Heyman, la ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, rappelait toutefois qu’Ottawa a déjà pris des mesures pour réduire les dommages en cas de déversement de pétrole.

Elle citait notamment une capacité accrue de remorquer des navires en difficulté, et l’établissement de cinq nouveaux postes d’intervention d’urgence. La responsable de l’action fédérale contre les changements climatiques réaffirmait aussi « l’engagement de notre gouvernement à mettre en avant le projet » de Kinder Morgan, « car cette infrastructure vitale est d’intérêt national ».

GES en hausse

 

Selon les différentes évaluations produites au sujet des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au projet de Kinder Morgan, celles-ci équivaudraient à l’ajout de trois millions de véhicules sur les routes.

Or, le gouvernement Trudeau s’est engagé à réduire ses émissions de 30 % d’ici 2030, par rapport à 2005. Cette « cible », qui est la même que celle défendue par le gouvernement de Stephen Harper, signifie qu’il faudra ramener les émissions de GES à 517 millions de tonnes en 2030.

Cet engagement, pris par le gouvernement Trudeau dans le cadre de son adhésion à l’Accord de Paris sur le climat, impose donc de réduire considérablement les émissions du Canada. Les plus récentes données fédérales indiquent toutefois que le Canada est en voie de rater cet objectif, notamment en raison de la croissance attendue des émissions de GES, principalement en raison de la croissance du secteur pétrolier et gazier.

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