Le gouvernement fédéral juge ses règles préélectorales constitutionnelles

Depuis l'instauration de scrutin à date fixe, il est devenu facile pour un parti ou un groupe de pression de contourner les plafonds de dépenses électorales en achetant des publicités juste avant que la campagne ne débute officiellement.
Photo: Getty Images Depuis l'instauration de scrutin à date fixe, il est devenu facile pour un parti ou un groupe de pression de contourner les plafonds de dépenses électorales en achetant des publicités juste avant que la campagne ne débute officiellement.

Le gouvernement fédéral estime que son projet de loi établissant une période préélectorale pendant laquelle les dépenses de chacun sont plafonnées est constitutionnel. Des groupes d’intérêts qui y seront soumis, même s’ils ne l’appuient pas entièrement, se disent prêts à vivre avec.

Depuis que les libéraux de Justin Trudeau sont au pouvoir, le gouvernement est obligé de publier un « énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi déposé.

Cet énoncé indique si le texte est susceptible de résister à une contestation légale. Dans la négative (comme c’était en partie le cas avec la loi sur l’aide médicale à mourir), le gouvernement doit justifier pourquoi il va quand même de l’avant.

Les juristes du gouvernement sont arrivés à la conclusion que le plafond de dépenses préélectorales instauré dans le C-76 pour les partis politiques (1,5 million) et les tiers (1 million) est constitutionnel, même s’il « met en jeu » les libertés d’expression et d’association protégées par la Charte.

Les juristes estiment qu’un tel plafond « soutient les valeurs démocratiques en favorisant l’équité électorale » et que son objectif « est de protéger le droit de l’ensemble des électeurs de participer utilement au processus électoral ».

Contestations judiciaires

 

Le projet de loi C-76, déposé il y a deux semaines, prend acte du fait que depuis l’instauration de scrutins à date fixe, il était devenu facile pour un parti ou un groupe de pression de contourner les plafonds de dépenses électorales en achetant des publicités juste avant que la campagne ne débute officiellement.

Le C-76 instaure une période préélectorale, commençant le 30 juin, pendant laquelle les dépenses sont aussi limitées.

En Ontario, une période préélectorale de six mois fait l’objet d’une contestation judiciaire par un regroupement de syndicats — Working Families Group — qui avait, à la dernière élection ontarienne, financé à coups de millions des publicités s’attaquant aux conservateurs.

En Colombie-Britannique, la période préélectorale a été invalidée par les tribunaux. La différence, toutefois, est que dans ces provinces, l’élection à date fixe se tient au printemps. Les limites de dépenses préélectorales s’appliquent donc alors que l’Assemblée législative siège encore et que les groupes d’intérêts sont susceptibles de vouloir commenter ses activités.

À Ottawa, au contraire, l’élection est à l’automne, après la pause estivale. Le Québec, qui a aussi des élections à date fixe, ne s’est pas encore doté de règles pour la période préélectorale.

Des appuis

 

En entrevue avec Le Devoir, le président du Congrès du travail du Canada (CTC), Hassan Yussuf, dit accepter le nouveau plafond d’Ottawa qui s’appliquera à son organisation.

« Je ne pense pas que les changements qu’ils proposent diminueront notre capacité à fouetter nos troupes », lance le syndicaliste. Au nom de l’équité, il accepte la limite imposée même si, à son avis, elle n’est pas assez élevée pour un aussi grand syndicat que le CTC. Le CTC a consacré près de 307 000 $ en publicités électorales en 2015.

« On pourrait toujours dire que ce n’est pas assez élevé pour une organisation comme la nôtre, mais si c’est ce que le gouvernement décide, nous vivrons avec cette décision, continue M. Yussuf. […] Dans un monde idéal, le plafond pourrait être plus élevé. »

En coulisses, toutefois, un autre syndicaliste rappelle que les campagnes de publicité se mènent de plus en plus sur les réseaux sociaux et ne coûtent qu’une fraction du prix de ce que les campagnes télévisées, radiophoniques ou imprimées d’autrefois coûtaient.

Les réseaux sociaux

 

La National Citizen Coalition (NCC), un groupe de pression de droite, pense de même. « Les réseaux sociaux sont tellement plus abordables que les publicités télévisées et les pleines pages de journaux d’autrefois », dit le président Peter Coleman. Il estime quand même que le plafond est trop bas, même s’il reconnaît que peu de groupes sont assez riches pour l’atteindre.

Son groupe s’oppose pour le principe à tout plafond. C’est la NCC — alors dirigée par Stephen Harper — qui avait en vain tenté de faire invalider par la Cour suprême les limites en période électorale.

Du côté d’Équiterre, on indique ne pas avoir pris de position définitive sur le projet de loi, mais on s’en accommode a priori. « Nous sommes très, très loin des plafonds de dépenses, alors je doute qu’à ce titre la loi ait beaucoup d’impact sur nous », explique le directeur principal, Steven Guilbault.

En 2015, Équiterre avait consacré 83 000 $ à des publicités électorales.

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