Ottawa n’acceptera plus jamais les informations obtenues sous la torture

L’amendement fait partie d’une des quelque 250 modifications proposées au projet de loi C-59. Les néodémocrates veulent par exemple retirer au SCRS son pouvoir de perturbation.
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne L’amendement fait partie d’une des quelque 250 modifications proposées au projet de loi C-59. Les néodémocrates veulent par exemple retirer au SCRS son pouvoir de perturbation.

Le gouvernement de Justin Trudeau ne fait pas confiance à ses éventuels successeurs en matière de torture. Il codifiera dans une loi la directive donnée à ses agences de renseignement leur interdisant d’utiliser des informations obtenues sous la torture, a appris Le Devoir. L’idée est de compliquer la tâche à tout futur premier ministre qui voudrait revenir en arrière.

Les libéraux déposeront au cours des prochains jours un amendement à leur projet de loi C-59 sur le terrorisme pour y ajouter les dispositions sur la torture. « Ça formalisera les bonnes pratiques canadiennes », explique le député Michel Picard, qui pilote ce changement.

Le Canada s’oppose à la torture depuis longtemps, mais les gouvernements ne se donnent pas tous les mêmes règles lorsqu’il s’agit d’utiliser (ou pas) des renseignements provenant de sources étrangères douteuses.

Les conservateurs de Stephen Harper avaient par exemple décrété en 2010 que si les informations portées à l’attention du Canada pouvaient « sauver la vie de Canadiens », il ne fallait pas les écarter. « Ignorer cette information seulement à cause de sa source représenterait un risque inacceptable à la sécurité publique », disait la consigne.

De plus, si le Canada estimait qu’il existait un « risque substantiel » que l’information réclamée ou partagée fasse subir à quelqu’un de mauvais traitements, il fallait l’autorisation du sous-ministre pour aller de l’avant.

À l’automne 2017, les libéraux ont resserré les normes. En cas de « risque substantiel » de torture, les renseignements ne peuvent plus du tout être utilisés.

Selon les informations recueillies par Le Devoir, l’amendement libéral instaurera aussi une obligation de rapport annuel public sur la mise en application de la directive. On devrait y retrouver des statistiques sur le nombre de fois où la directive a été appliquée par chacune des six agences visées y étant soumises (Défense nationale, Service canadien du renseignement de sécurité, Gendarmerie royale du Canada, Agence des services frontaliers, Affaires mondiales et Centre de la sécurité des télécommunications).

Loi antiterroriste

 

L’amendement, qui sera rendu public au cours des prochains jours, recueille l’appui des libéraux, ce qui en garantit l’adoption. Il fait partie d’une des quelque 250 modifications proposées au projet de loi C-59.

Les néodémocrates veulent par exemple retirer au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) son pouvoir de perturbation. Ce pouvoir controversé avait été octroyé aux espions canadiens en 2015 par les conservateurs, et les libéraux, malgré leurs promesses d’adoucissement de la Loi antiterroriste, ne le leur retirent pas avec C-59.

Ce pouvoir permet aux espions de s’infiltrer et de faire des gestes — même illégaux — pour faire dérailler un plan terroriste. Les policiers disposent déjà de ce pouvoir, mais comme leurs actions mènent au dépôt d’accusations, leurs gestes font l’objet d’un examen par les tribunaux. Ce n’est pas le cas des agents du SCRS, dont les gestes restent dans l’ombre parce qu’ils ne procèdent à aucune arrestation.

Pas d’argent pour Abdelrazik

Abousfian Abdelrazik, ce Canadien qui a croupi six ans au Soudan parce que le Canada refusait de lui délivrer son passeport pour rentrer au pays, devra s’adresser aux tribunaux pour obtenir une compensation financière. Le gouvernement du Canada a annulé à la dernière minute les séances de médiation qu’il avait lui-même suggérées pour régler le litige à l’amiable. M. Abdelrazik réclame 27 millions de dollars. Le Canada a versé environ 10,5 millions à chacun des cinq hommes ayant été maltraités à l’étranger sur la foi de renseignements erronés — Maher Arar, Omar Khadr, Abdullah Almalki, Ahmad Abou el-Maati et Muayyed Nureddin. Or, dans ces cinq cas, explique l’avocat de M. Abdelrazik, Paul Champ, « le Canada avait passivement partagé de l’information, alors qu’ici, le SRCS a demandé au Soudan de l’arrêter et a envoyé des questions à lui poser ». L’ex-ministre Lawrence Cannon, qui a refusé de délivrer un passeport jusqu’à ce qu’un tribunal lui ordonne de le faire, est personnellement visé pour 3 millions.


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