Subventions conditionnelles: l’État sombre dans le fascisme, accusent des chrétiens

Ottawa a resserré les règles en décembre après qu’il a été révélé que le programme avait versé près de 57 000$ au Canadian Centre for Bio-Ethical Reform, un groupe pro-vie qui distribue des images de fœtus avortés sur la place publique.
Photo: Gabor Degre The Bangor Daily News / AP Ottawa a resserré les règles en décembre après qu’il a été révélé que le programme avait versé près de 57 000$ au Canadian Centre for Bio-Ethical Reform, un groupe pro-vie qui distribue des images de fœtus avortés sur la place publique.

Un regroupement d’associations chrétiennes estime que le gouvernement de Justin Trudeau sombre dans le « fascisme », le « maccarthysme » et la « tyrannie » en exigeant d’eux qu’ils s’engagent à respecter le droit à l’avortement et à reconnaître la multiplicité des genres avant de pouvoir toucher des fonds fédéraux.

« C’est contraire à la Charte des droits et libertés », a lancé en conférence de presse Tony Soldano, pasteur à la All People’s Church. « En tant qu’institutions religieuses, nous avons des droits et nous avons une place dans ce pays. » M. Soldano était accompagné de cinq autres leaders chrétiens.

Le président du Canada Christian College, Charles McVety, fait valoir qu’un tel test de valeurs n’aurait pas passé la rampe s’il avait été imposé par un gouvernement conservateur. « Si Stephen Harper, quand il était au pouvoir, avait conçu un test par lequel une personne devait reconnaître le créationnisme pour décrocher un emploi, nous ne l’aurions pas davantage appuyé, parce que c’est mal. Les tests idéologiques n’ont pas leur place au Canada. »

M. McVety a rappelé qu’il n’était pas illégal au Canada de s’opposer à l’avortement, pas plus que de ne pas croire à l’existence de plus de deux genres humains. « Pourquoi faudrait-il que le gouvernement avalise ce que vous pensez et dites avant de recevoir du financement ? »

Le Programme d’Emplois d’été Canada finance chaque année quelque 70 000 emplois destinés à des étudiants âgés de 15 à 30 ans. Ottawa a resserré les règles en décembre après qu’il a été révélé que le programme avait versé près de 57 000 $ au Canadian Centre for Bio-Ethical Reform, un groupe pro-vie qui distribue des images de foetus avortés sur la place publique.

La nouvelle règle exige des demandeurs de subventions qu’ils signent une attestation selon laquelle l’emploi et le mandat de l’organisme financé « sont conformes aux droits de la personne au Canada, y compris les valeurs sous-jacentes à la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que d’autres droits. Ceux-ci incluent les droits en matière de procréation et le droit de ne pas faire l’objet de discrimination fondée sur […] l’expression de genre ».

Peter Marshall, le président des Canadian Religious Broadcasters, prédit qu’une telle règle pourrait être étendue, par exemple pour l’octroi du statut fiscal d’organisme de bienfaisance. « Il faut s’attaquer à cela avant qu’il ne soit trop tard. Ceci est fondamentalement fasciste, tyrannique, communiste. »

Les groupes religieux sollicitent des subventions d’Emplois d’été Canada pour des activités telles que des camps de jour. Depuis que la controverse a éclaté, la ministre responsable, Patricia Hajdu, a précisé que l’attestation ne visait pas les croyances des groupes, seulement leurs activités. Une église pro-vie qui voudrait embaucher un étudiant servant des repas à des sans-abri ne serait pas visée, a-t-elle assuré. Alors pourquoi l’attestation n’a-t-elle pas été reformulée ?

« Plusieurs des groupes ne sont pas nécessairement honnêtes dans leur demande, a soutenu Mme Hajdu. Dans le cas du Canadian Centre for Bio-Ethical Reform, leur demande disait que les étudiants allaient faire des tâches administratives alors qu’en fait, ils concevaient le dépliant avec les foetus avortés et les distribuaient. »

Légal ?

Les groupes religieux déplorent qu’en voulant protéger le droit à l’avortement, le gouvernement canadien viole leur liberté de conscience et de religion, aussi protégée par cette même Charte. Le professeur de droit de l’Université de Montréal Stéphane Beaulac démonte cet argument. Selon lui, la formulation du gouvernement est habile : en parlant des « valeurs sous-jacentes », on demande seulement aux groupes d’appuyer la logique des droits, pas des droits particuliers. Pour cette raison, M. Beaulac prédit que l’attestation passera le test des tribunaux.

Le groupe Toronto Right to Life Association s’est déjà adressé à la Cour fédérale pour faire invalider l’attestation. Puisque la date limite pour soumettre une demande de subvention est ce vendredi, le groupe demandait aussi une suspension d’urgence. La Cour a refusé mardi soir la demande d’injonction. Pour sa part, Charles McVety dit être prêt à se rendre « jusqu’en Cour suprême » s’il le faut pour défendre ses droits.

La position de Justin Trudeau ne fait pas l’unanimité au sein de ses propres troupes. Le député John McKay a admis au Devoir qu’il était mal à l’aise de partager son opinion. M. McKay est pro-vie, mais il a pu rester dans la famille libérale parce qu’il a été élu avant que Justin Trudeau ne décrète l’obligation d’appuyer des positions pro-choix.

Avec Marie Vastel

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