Éthique canadienne à l’étranger: des dents pour l’ombudsman

«Mon travail en tant que ministre du Commerce international est de protéger notre très grande réputation», a fait valoir François-Philippe Champagne lors de l’annonce à Ottawa.
Photo: Geoff Robins Agence France-Presse «Mon travail en tant que ministre du Commerce international est de protéger notre très grande réputation», a fait valoir François-Philippe Champagne lors de l’annonce à Ottawa.

C’est avec un concert d’éloges qu’a été accueillie la création de l’ombudsman canadien indépendant pour la responsabilité sociale des entreprises.

La plupart des ONG qui militent pour rendre les entreprises plus éthiques dans leurs opérations à l’étranger se réjouissent en effet que le nouvel ombudsman obtienne le pouvoir de déclencher des enquêtes et de forcer les entreprises à lui fournir les documents qu’il réclame.

Emily Dwyer, la coordonnatrice du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises, se félicite des changements apportés. « Nous sommes très encouragés par l’annonce. On y retrouve plusieurs éléments essentiels qu’on réclamait pour avoir un ombudsman efficace. »

Le Canada s’était doté en 2009 d’un conseiller en responsabilité sociale des entreprises de l’industrie extractive. Ce conseiller offrait un service de médiation entre l’entreprise canadienne et les civils touchés par le projet minier lorsqu’une allégation de mauvaises pratiques était formulée. Mais le tout restait volontaire, déplore Mme Dwyer : le refus d’une des deux parties d’y participer faisait avorter le processus.

Ce ne sera plus le cas avec le nouvel ombudsman, qui déclenchera les enquêtes de son choix et aura le pouvoir de forcer les entreprises récalcitrantes à collaborer. Les outils de coercition qui seront mis à sa disposition n’ont cependant pas encore été dévoilés. Ottawa prétend être le premier pays au monde à se doter d’une telle structure.

Avant de crier victoire

 

Pour la même raison, le groupe Développement et Paix se réjouit de l’annonce, bien que son directeur général, Serge Langlois, se montre prudent : il veut voir la nouvelle entité à l’oeuvre avant de crier victoire.

Les entreprises minières canadiennes ont eu mauvaise presse à l’étranger au cours de la dernière décennie. Barrick Gold a été critiquée parce qu’à la mine tanzanienne North Mara, opérée par Acacia Mining, qu’elle possède à 64 %, 65 décès et 270 blessures ont été recensés par les services de sécurité depuis 2006.

Nevsun Resources fait l’objet d’une poursuite parce que des sous-traitants à sa mine d’or Bisha en Érythrée utiliseraient des esclaves.

« Mon travail en tant que ministre du Commerce international est de protéger notre très grande réputation », a fait valoir François-Philippe Champagne lors de l’annonce à Ottawa. La « feuille d’érable », a-t-il fait valoir, « est une marque de commerce extraordinaire dans le monde, et si elle procure un avantage extraordinaire, elle vient aussi avec des responsabilités ».

L’ombudsman aura le pouvoir, au terme de ses enquêtes, de recommander des compensations financières, des changements de comportements d’entreprise, des excuses. Le tout fera l’objet d’un rapport public.

Les pénalités prévues en cas de manquement sont les mêmes que sous l’ancien régime : la possibilité qu’Ottawa ordonne à ses missions économiques de ne plus aider l’entreprise fautive, une fin des subventions versées par Exportation et Développement Canada. Mais surtout, l’humiliation publique.

« Vous verrez que les actionnaires, les investisseurs, les institutions financières prendront note d’un comportement déclaré fautif », a prédit le ministre Champagne.

Quelles lois ?

Une question centrale demeure : à l’aune de quels critères les entreprises canadiennes seront-elles jugées ? Dans bien des pays où sont présentes ces entreprises, les lois sont beaucoup moins strictes.

Le ministre Champagne a indiqué que les « principes directeurs » seront rendus publics « assez prochainement ». Un groupe consultatif regroupant industriels, ONG et syndicats sera mis sur pied pour conseiller le gouvernement sur ces questions.

Le mandat de l’ombudsman se limitera aux industries extractive, textile, pétrolière et gazière, mais sera étendu à d’autres secteurs dans l’année suivant son entrée en fonction. L’ombudsman devrait entrer en fonction au printemps, après l’expiration en mars du mandat de l’actuel conseiller.

L’Association minière du Canada (AMC) appuie la décision d’Ottawa, mais elle déplore le pouvoir de contrainte octroyé à l’ombudsman qui le fait s’éloigner d’un rôle de médiateur.

« Ça crée un processus plus conflictuel qui va donner plus de travail aux avocats, mais qui ne va pas nécessairement aider les communautés », déplore le président de l’AMC, Pierre Gratton. Selon lui, cela fera surtout plaisir aux ONG « qui pourront mener des campagnes ».

Le budget du nouvel ombudsman n’a pas encore été déterminé, mais selon nos informations, il pourrait être le double de celui du conseiller actuel, qui s’élève à un demi-million de dollars.

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