Logement: nouvelle pomme de discorde entre Québec et Ottawa

La Stratégie sur le logement de 40 milliards de dollars dévoilée mercredi par le gouvernement Trudeau aura vraisemblablement peu d’impact au Québec, puisqu’elle n’est assortie d’aucun argent frais et que le gouvernement Couillard compte de toute façon s’y soustraire.
« Le Québec va revendiquer fort son droit d’être le maître d’oeuvre de ses programmes », a déclaré la nouvelle ministre responsable de l’Habitation à Québec, Lise Thériault. « Ce n’est pas vrai que le gouvernement fédéral va nous assujettir à la Société canadienne du logement et va décider qu’il ajoute des conditions ! »
Mme Thériault se dit d’autant plus déçue de l’annonce de mercredi que son prédécesseur Martin Coiteux avait déjà avisé Ottawa de ses préoccupations dans une lettre en octobre.
La nouvelle Stratégie « dédouble » des programmes déjà existants, dit-elle, en plus d’omettre les besoins du territoire inuit au Nord-du-Québec (Nunavik), alors que 300 millions sont prévus pour les communautés nordiques du Nunavut, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest.
Le gouvernement Couillard souhaite donc conclure une entente asymétrique avec Ottawa pour avoir sa part des fonds tout en gardant le contrôle sur la manière de les dépenser.
Du côté d’Ottawa, on semblait pourtant croire à une participation du Québec. « Nous n’en sommes pas arrivés là encore », avait avancé en après-midi un représentant de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL).
Le Québec s’était retrouvé dans la même situation en santé, domaine qui relève de sa compétence dans la Constitution. Après l’entrée en vigueur de nouveaux programmes fédéraux en 2004, le gouvernement de Jean Charest a négocié son retrait du programme avec compensation. La dernière mouture de cette entente a été conclue en mars dernier par le ministre de la Santé Gaétan Barrette au terme de négociations pour le moins laborieuses. Le Québec a alors obtenu 2,5 milliards sur dix ans.
Trudeau vise « tous les Canadiens »
Le gouvernement Trudeau a ainsi annoncé mercredi qu’il allait injecter 40 milliards de dollars en logement social au cours des dix prochaines années, notamment par une nouvelle allocation au logement de 2500 $ par an visant 300 000 ménages. De cette somme, 8 milliards proviendraient des provinces, par le biais d’ententes dont le contenu fait toujours l’objet de négociations.
Ottawa cherche ainsi à rétablir son « rôle de leader du fédéral en habitation », ont expliqué mercredi les représentants de la SCHL. Au milieu des années 1990, le gouvernement fédéral s’était désengagé de ce secteur, au grand dam des provinces, qui ont depuis dû compenser en injectant davantage de fonds en logement social.

Lorsqu’il s’est fait demander s’il avait la garantie que toutes les provinces adhéreraient à son plan et allongeraient les 8 milliards prévus par Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau a répondu que les guerres de compétence n’avaient pas leur place. « Il n’y a pas un seul maire ou premier ministre qui ne pense pas que le logement pose un défi pour les Canadiens, a-t-il dit. Quel que soit notre palier de gouvernement, nous servons tous les mêmes citoyens, et les citoyens s’attendent à ce que tous les paliers de gouvernement s’attaquent à la question du logement. »
Une approche qu’a vertement dénoncée le conservateur Gérard Deltell. « C’est une autre démonstration que le gouvernement prétend avoir de bonnes relations avec les provinces, mais c’est exactement le contraire. Il fait à sa façon et il impose. » Par communiqué de presse, le chef conservateur Andrew Scheer a aussi dénoncé la stratégie libérale parce qu’elle ne fait rien pour « rendre la propriété immobilière plus abordable ».
« Le droit au logement devrait être un droit de la personne », a déclaré quant à lui le chef du NPD Jagmeet Singh. « Au moment où on devrait voir un plan audacieux, le gouvernement fédéral arrive avec un plan timide. » Il a dénoncé le fait que le gros des investissements viendra après la prochaine élection fédérale.
Pas d’argent frais
À Ottawa, on confirme que les 40 milliards de dollars annoncés ne constituent pas de nouvel argent. « Il n’y aura aucun nouvel impact fiscal que ce qui est inclus dans les budgets 2016 et 2017 », ont indiqué les fonctionnaires fédéraux lors d’une séance d’information. Une source gouvernementale confirme que toutes les sommes ont déjà été annoncées dans le passé par Ottawa. L’annonce porte plutôt sur les façons dont l’argent déjà prévu sera dépensé. Des 40 milliards, 8 devront provenir des provinces et territoires dans le cadre de programmes à coûts partagés, dont la future Allocation canadienne pour le logement, dont les modalités restent inconnues.
Le gouvernement de Justin Trudeau promet qu’il reconnaîtra le « droit à un logement sûr, adéquat et abordable » en déposant et en faisant adopter sous peu une loi. En fait, la loi ne viendra pas ajouter un droit à la Charte des droits et libertés, car cela pourrait avoir des conséquences pécuniaires monumentales pour les gouvernements. La loi créera plutôt une obligation pour le gouvernement fédéral, actuel ou futur, de maintenir une forme ou une autre de stratégie nationale sur le logement. Elle instaurera aussi une obligation de faire rapport au public sur les résultats obtenus grâce à cette stratégie. Ce genre de loi n’est pas très contraignant, car les gouvernements peuvent les abroger facilement. Les libéraux de Justin Trudeau ont par exemple aboli la loi conservatrice sur l’équilibre budgétaire, que les conservateurs avaient présentée comme une garantie qu’il n’y aurait plus de déficits injustifiés à Ottawa…
Néanmoins, Leilani Farha, rapporteur spécial sur le logement convenable des Nations unies, a félicité le Canada pour « sa reconnaissance que le logement est un droit de la personne et son intention de le reconnaître par une stratégie basée sur les droits ».