Cannabis: un milliard en recettes fiscales

L’an dernier, le directeur parlementaire du budget prédisait un marché du cannabis légal de 655 tonnes en 2018, qui pourrait atteindre 734 tonnes en 2021.
Photo: iStock L’an dernier, le directeur parlementaire du budget prédisait un marché du cannabis légal de 655 tonnes en 2018, qui pourrait atteindre 734 tonnes en 2021.

Avis aux citoyens qui attendent impatiemment de s’acheter légalement de la marijuana : celle-ci pourrait être taxée à près de 25 %. Ottawa a dévoilé son plan fiscal en vue de la légalisation du cannabis et prévoit d’imposer une taxe d’accise d’environ 10 % de même que la TPS et la taxe de vente harmonisée. Ce qui engendrerait des recettes d’environ un milliard de dollars, prédit le fédéral, qui chiffrait pour la première fois ses prévisions fiscales.

Le gouvernement libéral dit avoir du mal à prédire la taille du marché du cannabis. Il estime toutefois qu’il pourrait représenter environ 400 tonnes par année. En y imposant la taxe d’accise prévue de 10 % et une taxe harmonisée d’environ 13 % — selon la province —, Ottawa prévoit pour l’instant que le marché légal de la marijuana récréative pourrait rapporter 1 milliard, que se partageraient le fédéral et les provinces.

« C’est une évaluation très élevée, à mon avis », a tenté de nuancer le secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice, Bill Blair, qui avait d’abord refusé de dévoiler le chiffre. De tels revenus de taxes seraient à son avis le scénario le plus lucratif. M. Blair a refusé de chiffrer le scénario le moins payant, selon les projections de son gouvernement. « C’est un marché illicite, a-t-il fait valoir vendredi,en arguant que le marché noir ne leur avait pas révélé la taille du marché. En ce moment, on fonctionne avec des estimations. »

L’an dernier, le directeur parlementaire du budget prédisait un marché du cannabis légal de 655 tonnes en 2018, qui pourrait atteindre 734 tonnes en 2021.

Bill Blair a réitéré vendredi qu’Ottawa comptait imposer une taxe d’accise de 1 $ par gramme qui sera vendu 10 $ ou moins, ou de 10 % le gramme au-delà de ce prix. Les recettes seraient partagées en parts égales entre Ottawa et la province. D’ici à la prochaine rencontre des ministres fédéral et provinciaux des Finances, prévue dans la capitale fédérale à la mi-décembre, le gouvernement Trudeau mènera des consultations jusqu’au 7 décembre.

Les négociations entre les gouvernements s’annoncent cependant difficiles. Les premiers ministres des provinces avaient rejeté à l’unanimité le plan d’Ottawa, début octobre, en réclamant une plus grande part de la taxe d’accise puisque ce seraient eux qui hériteraient d’une grande part de la facture engendrée par la légalisation de la marijuana.

À Québec, le bureau du ministre des Finances, Carlos Leitão, a répété que la proposition fédérale « ne correspond pas à la réalité des besoins des provinces » qui écoperont de la « grande majorité des coûts ». « Il est donc indispensable que les provinces disposent de la juste part du champ fiscal pour couvrir ces coûts », a-t-on indiqué.

Ottawa devra aussi composer avec les municipalités, qui veulent prendre part aux pourparlers sur l’encadrement de la légalisation. La Fédération canadienne des municipalités a en outre demandé sa part financière, sans la chiffrer, dans une lettre envoyée au gouvernement la semaine dernière. La FCM y note que la légalisation touchera 17 services municipaux, notamment les corps policiers dont les municipalités paient presque 60 % des coûts de service.

Le plan fédéral prévoit d’imposer la taxe d’accise de 50 ¢ par gramme — il reviendra aux provinces d’imposer l’autre part de 50 %, ou une somme plus élevée si elles le souhaitent.

Le gouvernement de Justin Trudeau pourrait-il ajuster son plan fiscal pour répondre aux demandes des provinces ou des municipalités ? « Pour l’instant, c’est ce qu’on a proposé », a rétorqué le secrétaire parlementaire du ministre des Finances, Joël Lightboung, en refusant de présumer de l’issue des consultations et des négociations que mènera le ministre Bill Morneau avec ses homologues provinciaux le mois prochain.

Taxe de vente de surcroît

 

Le gouvernement Trudeau a par ailleurs annoncé qu’il imposerait aussi la taxe sur les produits et services (TPS), de même que la taxe de vente harmonisée dans les provinces concernées.

Au Québec, le gouvernement aura le loisir d’imposer ou non la TVQ. Le bureau du ministre Leitão n’a pas voulu préciser s’il le fera, puisque le projet de loi québécois s’apprête à être déposé à l’Assemblée nationale.

Les prix pourraient donc varier d’une province à l’autre. L’exemple cité par le fédéral vendredi prévoyait du cannabis à 8 $ le gramme. Avec une taxe d’accise de 1 $ et une TPS/TVH de 13 %, le prix atteindrait 10,17 $ en Ontario. Au Québec, si la TVQ était imposée, le même gramme de marijuana coûterait 10,35 $, tout comme au Nouveau-Brunswick. Mais le prix serait de 9,45 $ en Alberta, où il n’y a pas de taxe de vente.

Bill Blair juge que son gouvernement a su trouver un équilibre en optant pour un prix suffisamment élevé pour ne pas encourager une consommation excessive, mais pas trop afin de rivaliser avec le marché noir.

 

Les producteurs de marijuana médicinale, qui se préparent à rejoindre le marché récréatif, sont du même avis. Le patron d’OrganiGram, Larry Rogers, trouve que le plan fiscal d’Ottawa « semble raisonnable ».

Chez Tweed, le gramme de marijuana oscille entre 6 $ et 12 $. « On pense que le taux proposé nous permettra quand même d’être compétitifs avec le marché noir, a déclaré leur représentant québécois, Adam Greenblatt. Mais ça ne devra pas être plus élevé que ça. »

Bien que certaines souches de cannabis soient vendues plus cher que le prix moyen de 10 $ le gramme sur le marché noir, il estime que les consommateurs seront prêts à débourser la différence pour « des variétés exclusives » et des produits « de qualité » — comme ils le font lorsqu’ils se paient une bonne bouteille de vin à la SAQ plutôt qu’un vin de dépanneur.

 

Hausse de taxe

Afin d’éviter que la marijuana médicinale soit désormais moins chère que la marijuana récréative, Ottawa a choisi d’y imposer aussi la taxe d’accise. « On ne veut pas que les niveaux de taxe incitent les gens à utiliser de façon abusive ce système [d’accès à la marijuana médicale] », a fait valoir Bill Blair.

Or, les patients doivent obtenir une prescription d’un médecin qui surveille leur dossier, ce qui minimise le risque d’abus, rétorque Colette Rivet, de l’Association Cannabis Canada, qui rassemble 19 producteurs de marijuana médicale.

Les producteurs sont déçus, eux qui tentaient déjà de soustraire leurs produits à la TPS et à la TVH. « Les patients médicaux ne devraient pas être assujettis du tout à une taxe sur leur médicament », a fait valoir Mme Rivet.

« Alourdir le fardeau des patients avec un 10 % de plus à ce qu’ils paient déjà va nuire à beaucoup de monde », a déploré surTwitterKirk Tousaw, l’avocat qui s’est battu en cour pour la légalisation de la marijuana médicinale.

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