Les appels se multiplient contre le Tribunal de la sécurité sociale

Alors que les délais de traitement des dossiers d’assurance-emploi continuent d’exploser au Tribunal de la sécurité sociale (TSS), une trentaine d’organismes canadiens demandent au gouvernement de procéder à une réforme en profondeur du tribunal. Et le ministre Jean-Yves Duclos se dit prêt à apporter des changements.
Selon de nouvelles données obtenues par Le Devoir auprès du TSS, le délai moyen pour un appel unique en assurance-emploi était de 219 jours en date du 30 août. Depuis la mise en place du tribunal, en avril 2013, ce délai ne cesse de s’allonger : il était de 109 jours au terme de la première année, de 154 jours en 2016 et de 183 jours l’an dernier.
Concrètement, il y a près de 2500 dossiers d’assurance-emploi en attente pour la division générale du TSS, et 600 dossiers devant la division d’appel. Le TSS est la structure d’appel qui permet à un chômeur de contester le refus d’une demande de prestation d’assurance-emploi.
Le cabinet du ministre Duclos, responsable du Développement social, ne fait pas mystère du problème. « Nous avons vu les délais augmenter depuis 2013, et ce sont les Canadiens qui attendent, souligne au Devoir le directeur des communications du ministre, Mathieu Filion. Les décisions du tribunal ont un impact sur la vie des gens, l’attente peut être très longue. »
Il confirme ainsi qu’il sera « important de revoir la structure pour rendre le tribunal plus efficace et performant, pour que les gens obtiennent les décisions dans un délai raisonnable ». « M. Duclos est prêt à apporter des changements au tribunal », précise son porte-parole. Mais jusqu’à quel point ? « Nous ne commenterons pas le type de changements qu’il souhaite apporter. »
Le ministre attend d’un jour à l’autre un rapport préparé par la firme KPMG, qui a reçu en mars le mandat de « vérifier [si le TSS] remplit toujours son rôle de la manière la plus efficiente possible ». Cet examen avait été recommandé au ministre par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences et du développement social.
Campagne
Dans ce contexte de révision, le TSS fait l’objet d’une vaste campagne pancanadienne de la part de dizaines d’organismes qui souhaitent une réforme majeure de la structure, voire son abolition complète.
Trente-deux organismes, majoritairement hors Québec, ont signé à la fin de la semaine dernière une lettre ouverte demandant au gouvernement « une remise en question globale » du TSS. Les signataires incluent des centrales syndicales, différents organismes de services juridiques communautaires ou de soutien aux chômeurs. Ils proviennent de toutes les provinces canadiennes.
Plus tôt en août, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a réclamé au gouvernement le « remplacement » du TSS, jugé « trop imparfait pour qu’on puisse l’améliorer ». Dans le mémoire qu’elle a soumis à KPMG, la centrale demande aussi le « rétablissement des anciens mécanismes d’appels » abolis par la création du TSS.
Dans la foulée, le Nouveau Parti démocratique a aussi invité il y a une dizaine de jours le premier ministre Trudeau à « éliminer le fiasco qu’est le TSS ». « On le constate, ce tribunal ne fonctionne tout simplement pas, affirmait la porte-parole du parti en matière d’emplois, Brigitte Sansoucy. Le processus est trop complexe, les délais sont trop longs […]. La réalité, c’est que ce sont les citoyens qui paient le prix de la mauvaise gestion de ce tribunal. »
La lettre ouverte signée par les 32 organismes soutient pour sa part que les objectifs à la base de la réforme du processus d’appel de l’assurance-emploi (le rendre plus rapide et efficace) « n’ont jamais été atteints ». « Au contraire, les appelants sont pris avec un processus qui génère frustrations et délais et qui s’apparente trop souvent à un déni de justice », soutient-on.
On dénonce que l’ancienne structure — un système en deux étapes, comprenant un conseil arbitral tripartite et un juge-arbitre — a été remplacée par un tribunal « beaucoup trop complexe [qui] exige un niveau élevé d’expertise juridique ».
Les signataires demandent ainsi le retour d’une formule où trois personnes évaluent les dossiers, dont un représentant des travailleurs (actuellement, un seul membre du TSS juge) ; des délais plus courts ; et l’abandon de certaines étapes obligatoires qui ralentissement le processus de contestation.
Le TSS est né dans la foulée de la controversée réforme du régime d’assurance-emploi décidée par le gouvernement Harper en 2012. Les libéraux de Justin Trudeau ont aboli de grands pans de cette réforme, mais ont laissé intacte la structure d’appel mise sur pied par les conservateurs.